Voyage
Pour revitaliser une région en perdition, le Japonais Fram Kitagawa a installé 200 œuvres d’art contemporain en pleine nature. La visite de cette gigantesque galerie à ciel ouvert dure trois jours. Le temps de laisser opérer le charme du slow art signé Yayoi Kusama, Carsten Höller, Jenny Holzer, Christian Boltanski, Dominique Perrault et Marina Abramovic…
Certes, il faut trois jours pour parcourir la quasi-totalité de cette exposition permanente en pleine nature. Mais le slow art, cette expérience culturelle lente, parfois compliquée et pleine de détours, est l’antidote parfait à la vie dans la futuriste mégalopole géante dont le centre est Tokyo. D’autant que, outre les maisons de Marina Abramovic et de James Turrell, l’Echigo-Tsumari Art Field accueille ses hôtes dans des hôtels de campagne à la fois modestes et inspirés, avec une préférence pour la Katakuri House, une ancienne école dont les chambres à tatamis sont décorées d’une œuvre d’art, dont les murs des parties communes sont constellés de lithographies de Jean-Michel Alberola, et dont les délicats repas sont agrémentés d’herbes, de baies et de légumes sauvages cueillis dans la montagne.
Parcours du combattant
L’Art Field est l’enfant de Fram Kitagawa, l’une des principales figures du monde de l’art au Japon. Militant d’extrême-gauche durant ses études, il s’est donné tôt pour but de détruire le système de l’art-marchandise. Dans les années 80, il monte sa galerie Art Front, à Tokyo, tout en présentant une exposition itinérante baptisée Apartheid Non !. Installée dans un semi-remorque géant surmonté d’un ballon rouge, elle a traversé 194 villes du Japon. En 1994, la nouvelle ville de Tachikawa, dans la banlieue ouest de Tokyo, fait appel à lui pour ériger, dans ses rues, les œuvres monumentales de 36 créateurs. Cette première réussite dans le domaine de l’art public pousse la ville de Tokamachi, dans la préfecture de Niigata, à lui demander, en 1995, des idées pour revitaliser la région d’Echigo-Tsumari.
Le déclin de l’agriculture et de l’industrie de la soie, ainsi que l’exode rural (la ville est passée de 123 000 habitants, en 1955, à 70 000 aujourd’hui) et le vieillissement de la population plombent en effet la vitalité de son économie et le moral de ses habitants. Lui-même originaire de Niigata, Fram Kitagawa accepte, s’assure d’avoir carte blanche, et démarre un incroyable parcours du combattant qui durera cinq ans. Face à l’hostilité des politiciens et des businessmen locaux et au scepticisme des habitants (qui, n’ayant pas la moindre idée de ce qu’est l’art contemporain, doivent accepter que les œuvres soient érigées sur leurs terrains), il s’accroche, cajole et persuade en mobilisant une escouade de volontaires (étudiants en art, associations…) chargés de convaincre, maison par maison, de ses bonnes intentions. « Surtout, j’ai demandé aux artistes japonais et internationaux de séjourner à Echigo-Tsumari. Cela leur a permis de comprendre les problèmes des habitants et de leur expliquer le projet. Et cela a marché, car l’engagement des artistes a redonné aux gens la fierté de vivre dans la région », explique-t-il. Fram Kitagawa finit par décrocher au dernier moment l’accord de certains villages et le financement des bourgs de Tokamachi et Matsudai, ce qui lui permet d’organiser, en 2000, la première triennale d’Echigo-Tsumari.