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The Good Culture // Gastronomie

Alice Tuyet (Daimant Collective) : « Si c’était à refaire, j’aurais été moins honnête avec mes banquiers »

Gastronomie

The Good Culture

The Good Life tire le portrait de celles et ceux qui font la restauration d’aujourd’hui à Paris et ailleurs. Rencontre avec Alice Tuyet, fondatrice de Daimant Collective aux manettes de Plan D et de Faubourg Daimant, à l’offre uniquement végétale.

A la table de Faubourg Daimant, Alice Tuyet, fondatrice du groupe Daimant Collective, nous accueille avec ses croquettes dites « cochonnes », l’un des tubes à la carte du restaurant. La panure à croquer renferme du tofu fumé, un confit d’échalote, des champignons, le tout enrobé d’un bouillon de légumes pris dans de l’agar agar pour singer le côté gélatineux des abats. : « J’adorais les pieds de cochon mais je voulais en proposer dans une autre version. » Aucun produit d’origine animale dans son nouveau restaurant ouvert depuis septembre, mais une cuisine tout autant rassembleuse, telle est sa démarche.

Les fameuses croquettes « cochonnes ».
Les fameuses croquettes « cochonnes ». Leo Kharfan

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Créative contrariée

Pour mieux comprendre la fierté d’Alice Tuyet, voyant ses croquettes végétales étonner la capitale, il faut remonter à ses années collèges. Elle est en sport-études à l’internat de l’Opéra de Paris. Elle s’entraîne quatre à six heures par jour face à une professeure qui était une « machine à broyer les faibles ». Elle s’envole pour un stage pratique au célèbre ballet du Théâtre Marinski à Saint-Petersbourg. En somme, un quotidien réglé comme du papier à musique mais sous le poids de l’exigence.

En regardant en arrière, on sent une pointe de regret : « Ça m’a permis de canaliser ma sensibilité, même si ça n’a pas fait du bien à mon côté maniaque du contrôle. » Elle dansait dans l’espoir d’en faire son métier, mais sa famille juge l’univers encore trop incertain puisque artistique. Banquière, avocate ou bien chirurgienne, rien de moins n’était envisagé pour elle. S’en suivent les grandes études, de HEC à Sciences-Po, les voyages aux Etats-Unis, les « grosses boîtes » pour les quelles elle travaille.

Le marketing digital est son domaine mais la machine finit par s’enrayer. Peut-être trop pudique pour y revenir directement, elle aura décrit ses années comme des « heures grises » sur son blog personnel, en parlant d’une dépression où la nourriture aura joué un rôle aussi envahissant que réconfortant. Il s’agit pour elle de retrouver un nouveau lien apaisé avec son alimentation. Elle prend dès lors la tangente, s’engage dans des petits boulots dans les restaurants, rédige des critiques de restaurants parisiens pour le blog Le grumeau et crée le podcast Patate pour échanger avec les acteurs de la scène culinaire à Paris.

Faubourg Daimant.
Faubourg Daimant. Thomas De Bruyne

Réconciliation végétale

Dans ces moments-là, sa famille reste très présente, du moins dans ses pensées : « Mes grands-parents, arrivés du Vietnam après la guerre, se sont installés en banlieue parisienne, à Garges-lès-Gonesse. Ma grand-mère y avait monté son restaurant L’Auberge du bonheur, un traiteur asiatique comme on en connaît de nombreux, où l’on pouvait choisir entre spécialités chinoises, thaïlandaises et vietnamiennes. » Sa mère passait ses journées derrière les fourneaux à mitonner blanquette et bourguignon pour nourrir la famille. Alice Tuyet rejoint aujourd’hui pleinement l’héritage culinaire, mais à sa sauce : « Quand j’ai annoncé à mes parents que j’étais devenue végane, ils n’ont pas compris, pour eux c’était impensable. »

Une joyeuse table de mets vegan.
Une joyeuse table de mets vegan. Leo Kharfan

Il y a 8 ans, on me regardait avec des grands yeux inquiets, on ne connaissait littéralement pas le terme même ‘vegan’. »

Son inconfort grandissant à consommer des produits d’origine animale et ses souvenirs de cuisine française et nourricière dont elle a été biberonnée l’amènent à faire le pont entre le végétal et la tradition gastronomique française A Faubourg Daimant, on trouve des boulettes de légumineuses en sauce bourguignonne, des panais cuisinés comme une blanquette. « Je ne veux pas faire la leçon aux gens qui viennent ici passer un bon moment. Les alternatives à la viande entre autres ne sont pas des simili industriels mais des produits bruts« .

Alice Tuyet affiche joyeusement à la carte des “chair de lentilles” ou même des « jus de carcasses de légumes » comme autant de licences poétiques pour fédérer autour de la table : « bien sûr il y a l’engagement contre la souffrance animal, à titre personnel comme avec les membres de l’équipe qui m’entourent, mais je voulais une cuisine fédératrice, ne pas afficher vegan sur tout le menu. »

Une sauce oui, mais vegan !
Une sauce oui, mais vegan ! Leo Kharfan

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« Vas-y, fonce »

Faubourg Daimant ne s’est pas fait en un jour et sans encombre. L’entrepreneuse avait déjà ouvert Plan D en 2022, son premier restaurant street-food légumier où elle mettait la main à la pâte, entre les fourneaux et la salle, se rappelant ses différents stages en restauration notamment à Grand Coeur, l’adresse parisienne de Mauro Colagreco : « Je n’ai pas suivi de CAP, c’est le seul diplôme que je me suis autorisé à ne pas passer. J’ai appris sur le tas, en autodidacte. »

L’échoppe de sandwich de la rue du Faubourg Poissonnière n’était pas le restaurant dont elle rêvait au départ. Elle aurait voulu frapper un plus grand coup : « Je n’avais pas osé assumer totalement le végétal. Quand on commence on ne veut pas brusquer, l’erreur c’est d’être consensuelle. » L’adresse trouve ses amateurs mais elle a peur d’être enfermée dans la vente du déj’ à emporter quand elle rêve plutôt de tables, de nappes et de grand soir.

« Je pense que j’ai été beaucoup trop honnête avec mes banquiers dès le départ, sourit-elle. J’aurais dû leur laisser croire que je comptais monter un restaurant de barbecue pour qu’ils me suivent un peu plus sur les finances. » Deux rencontres finissent par lui donner plus grande confiance : la première, Perla Servan-Schreiber, confidente et soutien de poids qui n’a jamais cligné des yeux à son idée d’une cuisine 100% végétale. Le deuxième, et non des moindres, Pierre Gagnaire : « Je l’ai contacté pour lui montrer les assiettes tests du projet Faubourg Daimant. Il m’a encouragée, m’a dit de foncer et que je n’avais pas besoin d’avoir pratiqué 15 ans de cuisine pour me lancer. »

Alice a finalement réussi à installer des belles tables dans son restaurant.
Alice a finalement réussi à installer des belles tables dans son restaurant. Thomas De Bruyne

Daimant Collective et entourage précieux

Il y a surtout l’entourage proche, celui de Christian Stori, son mari, qui s’occupe de l’administratif, de la comptabilité, des finances — « de tout ce qui ne se voit pas, c’est ma meilleure moitié« . Mais aussi son avant-garde : Erwan Crier, chef du Faubourg Daimant, de paire avec Maria Zanotelli, responsable du service. Tous deux lui permettent d’être plus en retrait pour devenir le « point de couture entre des personnes meilleures que moi en salle et en cuisine. »

Alice entourée de son équipe.
Alice entourée de son équipe. Leo Kharfan

A Plan D, Alice Tuyet continue l’histoire pour les Parisiens en quête de « dwich » végétarien. Elle monte le groupe Daimant Collective entre-temps avec au total une quarantaine de collaborateurs à ce jour. Galvanisée par l’arrivée d’une nouvelle recrue prestigieuse issue du monde de la mode, l’entrepreneuse évoque à demi-mot une prochaine adresse parisienne, mais pas seulement.

Je voudrais qu’on créé le groupe de restauration végétale de référence dans le monde. »

Daimant Collective suivra-t-il cette trajectoire ? « Il y a 3 ans, je n’aurais jamais dit ça. Mais aujourd’hui, j’assume pleinement« , sourit sa fondatrice.


Faubourg Daimant
20 Rue du Faubourg Poissonnière, 75010 Paris

Plan D
22 Rue des Vinaigriers, 75010 Paris


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