C’est un cône posé base en haut, entièrement constitué de verre, où la lumière s’infiltre à toute heure du jour. Depuis ce terminal, les voyageurs ont une vue formidable sur la « French Riviera » – la mer, les yachts, les villas sur les hauteurs de Nice, la montagne… Du ciel, ils jouissent de l’une des plus belles approches du monde. Surtout, ils bénéficient d’un catalogue de 105 destinations. Résultat : une santé au beau fixe. Rien qu’en 2014, l’aéroport Nice-Côte d’Azur, le deuxième de France, a accueilli 11,7 millions de passagers, pour un chiffre d’affaires de 232 millions d’euros. Et il a permis à l’Etat – actionnaire à 60 %, aux côtés de la chambre de commerce et d’industrie et des collectivités locales – d’engranger autour de 4 millions d’euros de dividendes. Autant dire que la vente de cet aéroport, permise par la loi Macron, n’a laissé personne indifférent. Depuis, discrètement, les candidats se positionnent. Parmi eux : des compagnies aéroportuaires, des industriels, des financiers, des assureurs, des fonds souverains ou encore des fonds de pension. Plus de vingt prétendants en tout. Et une valorisation estimée entre 1,2 et 2 milliards d’euros. « Les aéroports sont un type d’actif que les investisseurs adorent, explique Grégoire Thibault, analyste BTP et concessions chez Natixis. Ils cumulent les taxes par passager, les redevances d’atterrissage et de stationnement des avions et, surtout, les revenus immobiliers et commerciaux et les recettes des parkings. » Une manne prévisible et régulière, plutôt bienvenue dans un contexte économique incertain. Et dont l’attractivité devrait s’accroître avec l’augmentation de la classe moyenne dans le monde, de l’urbanisation et des migrations. « Le transport aérien progresse environ deux fois plus vite que l’économie », indique Nicolas Notebaert, président de Vinci Airports, engagé dans la course pour le marché niçois face à l’autre géant français, Aéroports de Paris (ADP). Verdict au second semestre 2016. D’ici là, l’Etat français, qui s’est déjà délesté de l’aéroport de Toulouse pour 308 millions d’euros, devrait avoir cédé l’aéroport de Lyon. Bordeaux, Marseille, Montpellier, Strasbourg, Fort-de-France et Saint-Denis, à la Réunion, ne devraient pas tarder à suivre. « Le pays a besoin de liquidités et la vente d’aéroports représente une source d’argent facile et rapide. Comme avec les autoroutes, il y a dix ans, on devrait voir les privatisations se succéder », prédit Grégoire Thibault.
La privatisation n’est jamais définitive
Et cette vague ne se limite pas à nos frontières. Initié au Royaume-Uni par Margaret Tchatcher en 1987, le mouvement s’est accéléré avec la crise de 2008. Et il pourrait prendre de l’ampleur avec l’arrivée sur le marché de nations à forte croissance, en quête de savoir-faire. « Développer un aéroport est un métier, explique Nicolas Notebaert. Cela nécessite d’attirer des compagnies aériennes, d’obtenir de nouveaux droits de trafic, d’améliorer l’accueil, la propreté, les services, les espaces dédiés au shopping, mais aussi de savoir gérer la sécurité, d’entretenir les pistes et les terminaux, et d’en construire de nouveaux lorsqu’ils ont atteint leur capacité maximale. » Dans une industrie globale par essence, les aéroports n’auront d’autre choix que de suivre le mouvement pour rester compétitifs. Quant aux acheteurs, ils doivent user de stratégie pour obtenir les marchés en formant des consortiums qui allient souvent des groupes industriels et des investisseurs financiers. « C’est un peu “Game of Thrones”. Mais tout le monde a à y gagner, assure Grégoire Thibault. Développer un aéroport, c’est favoriser le tourisme, le commerce d’une région, les échanges, et donc créer des emplois. » A condition, évidemment, que le repreneur ne soit pas un fonds spéculatif cherchant le profit à court terme. « Il apparaît nécessaire d’imposer des consortiums qui ne soient pas des financiers purs et qui aient une expérience dans la gestion aéroportuaire », souligne François Collet, conseiller de direction d’études et spécialiste du secteur aéroportuaire. Il précise tout de même qu’aucune privatisation n’est définitive : « Ce qu’on appelle “vente” est en réalité un contrat de gestion courant sur trois ou quatre décennies avant de revenir à l’Etat. De plus, ces contrats sont généralement accompagnés d’un cahier des charges précis. Un gestionnaire ne peut donc pas faire n’importe quoi. »
Restent les risques de conflits d’intérêts. « Lorsque deux aéroports sont concurrents, certains groupes pourraient être tentés de reprendre un aéroport dans le seul but de réduire son influence. C’est ce qui pourrait se passer si ADP reprenait l’aéroport de Nice », prévient Bernard Kleynhoff, président de la chambre de commerce et d’industrie Nice-Côte d’Azur. Inquiet pour les répercussions sur la région, il se bat aujourd’hui pour obtenir une minorité de blocages avec les collectivités locales. « Games of Thrones », on vous dit !