Voyage
On le connaît pour ses casinos, ses moeurs légères et ses immenses déserts auréolés par la ruée vers l’or. Mais le Nevada devient un nouvel eldorado pour les géants de la tech, Tesla en tête, et on comprend pourquoi. Démonstration autour de sa spectaculaire Route 50, surnommée « route la plus déserte des Etats-Unis », à explorer… au volant d’une belle cylindrée.
Tailler la route : l’expression paraît avoir été créée pour cette ligne droite qui coupe en deux le vide quasi lunaire où la Gigafactory 1 de Tesla s’est installée en 2015, près de Sparks. De loin, les immenses toits couverts de panneaux solaires étincellent comme un mirage, faisant danser au loin les cimes enneigées de la Sierra Nevada. Hormis quelques chevaux qui tournent la tête au passage du 4×4 – électrique of course –, le désert impose son immensité panoramique et menaçante. Naviguant dans les territoires les plus arides des Etats-Unis, les routes prennent, au Nevada, la dimension solennelle d’une ligne de vie.
Est-ce un hasard si l’asphalte tout neuf relie l’usine d’Elon Musk à un réseau routier de légende qui a tissé la conquête du Grand Ouest ? Pour le pionnier de la voiture du futur, le conquérant de la transition écologique, force est de constater que le Far West mythique que fut le Nevada offre un théâtre d’opérations sur mesure. A quelques croisements se trouve la Route 50 et ses 4 800 kilomètres tracés en quelques mois pour acheminer le courrier à travers les Etats-Unis, de la Californie au Maryland, et qui traverse le Nevada d’ouest en est. Cette route devint la mythique « loneliest road in America » après ces quelques lignes publiées dans le magazine Life en 1986 : « C’est complètement désert. On n’y trouve aucun centre d’intérêt. A moins d’être sûr de ses capacités de survie, nous la déconseillons aux automobilistes. »
Le tronçon visé par ce commentaire se trouve à l’est de la Gigafactory 1, ce qui invite tout voyageur un peu rêveur à tester ses limites. Il suffit d’un plein de carburant pour faire l’aller-retour en moins d’une journée jusqu’aux confins de l’Utah voisin. C’est après Fallon que l’aventure commence vraiment : un panneau indique que la prochaine bourgade, Austin, se trouve à 90 miles. Après quoi, deux heures durant, le véhicule glisse dans un altiplano de couleur ocre, où l’horizon rapproche de temps à autre un camion ou un pick-up.
Les monts Toiyabe distraient un peu de la monotonie du paysage qui s’étire jusqu’aux premières maisons de style Far West d’Austin, puis la route s’enfonce dans une solitude encore plus hypnotique. On roule tout droit, et l’absence de toute trace de vie humaine dissout la sensation du temps. Juste avant Eureka, quelques ranchs stockent la poussière sous le soleil écrasant du désert. Dans le bourg sans intérêt, pas de café ouvert, et un pompiste qui dort dans une cahute rouillée : il est temps de retrouver la civilisation.
En revenant vers l’ouest, l’aridité légendaire du Nevada reprend les couleurs de la vie aux abords de la rivière Truckee. Une digression par l’Interstate 80 permet d’en longer les remous et les cascades aux allures de torrent de montagne. Il y a des sapins à perte de vue, des petits lacs bleu glacier éblouissants au détour des lacets.
On s’arrête sur les hauteurs du Donner Lake, avec une pensée émue pour tous ceux qui y laissèrent la vie en tentant de franchir ce col. A l’époque de la ruée vers l’or, les pionniers qui cherchaient un passage vers la Californie y restaient parfois piégés par des chutes de neige redoutables.
Tesla dans le désert
Pour remporter le marché industriel du siècle, avec la construction de l’usine automobile la plus innovante du monde, cinq Etats étaient en lice. En septembre 2014, le Nevada l’emportait sur le Texas, le Nouveau‑Mexique, l’Arizona et la Californie. Un succès dû principalement aux facilités octroyées à Tesla pour démarrer rapidement ses travaux, et à un package fiscal ultra‑avantageux.
L’usine, destinée à développer les batteries lithium‑ion pour les Model 3 et les Model Y, a été inaugurée en juillet 2016, et la production a commencé en 2017. Fin 2018, elle atteignait un rythme de 250 000 packs de batteries par an. Pour le Nevada, le résultat a très rapidement dépassé les espérances : plus de 34 500 emplois ont été créés entre 2014 et 2017 dans le nord de l’Etat, dont 44 % directement liés à l’usine géante de Tesla, selon un rapport du Nevada Office of Economic Development, publié en décembre 2018.
Les retombées économiques sont estimées à 5 Mds $ par an, dont près de 400 M $ en salaires. Des résultats d’autant plus encourageants que la Gigafactory n’atteint encore que 30 % de sa taille ultime. L’installation de Tesla a aussi attiré à Reno d’autres géants de la tech, comme Apple et Google, conquis par les conditions financières et la proximité de la baie de San Francisco.
La villa du Parrain 2
Et voici Truckee, village star de la Sierra Nevada. De loin, les maisons basses à panneaux de bois ou en briques campent un décor de western vintage devenu station de sports d’hiver chic à deux heures de San Francisco. Comme à Aspen, au Colorado, les boutiques de décoration et les cafés végans y ont remplacé les anciens saloons, et les descendants des chercheurs d’or viennent désormais y pêcher la truite dans les rivières sauvages ; un avant-goût de Tahoe, joyau naturel de la région comme de la fameuse Route 50 qui encercle toute sa partie sud.
En chemin, rouler le plus lentement possible pour profiter des merveilles visibles à chaque tournant : en fin d’été, ce sont les kayaks et les voiliers sur fond bleu qui éclairent le vert sombre des sapins. Et en hiver, toutes les nuances de gris qui drapent le paysage neigeux – on se croirait dans Le Parrain 2, dont les scènes clés furent tournées sur les rives ouest, dans la villa Fleur du Lac. Comme dans le film de Coppola, les casinos occupent une place centrale de la vie locale.
On vient s’y encanailler, comme à Las Vegas, tout en profitant du bon air de la montagne. La frontière entre le Nevada et la Californie passe au milieu du lac Tahoe. Pour apprécier la différence d’ambiance entre les deux Etats, il suffit de se rendre au village de Heavenly. Côté Californie, les skieurs à cheveux longs flânent devant les grills mexicains et les bobos de chez Google ou Facebook viennent jouer aux trappeurs chic.
En traversant la rue, c’est le Nevada, avec ses hôtels- casinos de vingt étages qui bourdonnent jour et nuit au pied d’immenses parkings. On y entre comme dans une ville, happé par des hôtesses déguisées en lapins roses qui distribuent des bières, avant de s’attabler aux tables de roulette ou de black-jack. Des filles très dévêtues déambulent en roulant des hanches, se posent sur les genoux de types basanés brassant leurs liasses de dollars, rappelant qu’au Nevada la prostitution est autorisée, du moins dans les petites villes. Les grandes, comme Reno, se rattrapent sur le business du divorce express. Comme Marilyn Monroe, au début du film The Misfits, on peut en quelques minutes y dissoudre le lien conjugal, puis espérer rencontrer dans la rue le sosie de Clark Gable.
Design de haut vol
Annulée pour cause de pandémie, l’édition 2020 du festival Burning Man, qui embrase chaque année le désert du Nevada, prépare un retour inhabituel. L’an prochain, il accueillera le dixième concours de design LAGI, qui distingue les architectes et les designers internationaux les plus novateurs. Après New York ou Melbourne, c’est entre les montagnes désertiques et les geysers de Fly Ranch, au Nevada, que des dizaines de projets sélectionnés verront le jour d’ici à 2021, pour dessiner le prototype d’une ville du futur durable et écologique. Les dossiers peuvent être déposés jusqu’au 31 octobre 2020. Avis aux amateurs… www.lagi2020flyranch.org
Fiscalité et nature attractives
Reno, de nos jours, n’a plus rien d’un décor hollywoodien. Les hôtels-casinos y fleurissent, sans toutefois la démesure kitsch de Las Vegas. Longtemps un lieu de villégiature canaille pour les paysans du Midwest et les voyages de noces locaux, la ville s’enlisait doucement après la crise de 2008. Les géants de la tech ont sauvé la mise en suivant les traces d’Elon Musk pour y installer entrepôts ou bureaux.
A une demi-heure de la baie de San Francisco, cumulant avantages fiscaux pour les entreprises et nature à grand spectacle, la région – surnommée la nouvelle Silicon Valley – attire désormais les bobos de la côte Ouest. Ils se posent le long de la rivière Truckee, qui poursuit ici son chemin avant de se jeter dans le lac Pyramid. Ses berges aménagées avec promenade arborée, street art et condominiums élégants feraient de l’ombre à Seattle.
Et pour les fans de belles cylindrées, downtown Reno possède un autre trésor : son musée national de l’automobile, qui expose quelques bijoux comme cette Cadillac Eldorado ayant appartenu à Elvis Presley, ou le coupé Mercury que conduisait James Dean. De quoi rêver en attendant la Tesla qu’Elon Musk pourrait laisser en héritage…
Pratique
• Dormir :
– Au lac Tahoe : le Basecamp Hotel, boutique-hôtel bohème avec des lits-tentes et un jardin où boire des bières avec les yuppies de la Silicon Valley. www.basecamptahoesouth.com
– A Truckee : dans une pinède, table raffinée et chambres ultracosy au Cedar House Sport Hotel. www.cedarhousesporthotel.com
• Se restaurer :
– A Truckee : Trokay, la meilleure adresse de la région, pour déguster tempuras de crabe ou steaks de boeuf Angus au maïs, avec d’excellents vins californiens. www.restauranttrokay.com
– A Reno : Great Full Gardens, temple végan à deux pas du musée national de l’automobile. www.greatfullgardens.com
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