Voyage
Depuis 2006, Zurich s’applique à sortir du binôme banque et assurance et à promouvoir les industries créatives, de la musique à l’architecture en passant par le design, les arts vivants, les jeux vidéo… Avec succès !
L’idée que la créativité puisse être un atout économique ne remonte pas à la nuit des temps. C’est en 1988 que l’Australien David Yencken, qui travailla notamment comme galeriste et comme architecte, inventa le concept de « ville créative ». En 1997, le gouvernement britannique rédigea, pour sa part, un rapport définissant treize domaines (art, architecture, cinéma, radio, publicité, design…) « qui sont nés et ont prospéré grâce à la créativité individuelle, et dont le potentiel de création de richesses se manifeste dans la propriété intellectuelle ».
Cinq ans après, l’urbaniste et sociologue américain Richard Florida publie l’ouvrage The Rise of the Creative Class, qui rencontre un énorme succès. Selon l’auteur, les activités créatives, qui reposent sur les « 3 T » (talent, technologie, tolérance), sont un moteur de croissance et un facteur de diversité sociale. Elles vont permettre de régénérer les villes du monde postindustriel, qui doivent donc les promouvoir en s’attachant à attirer et à retenir les talents.
Architecture, design…
Zurich est particulièrement bien pourvu dans l’architecture, qui fait travailler 13 700 personnes, architectes d’intérieur et paysagistes inclus. Parmi les agences connues, EM2N va construire le musée d’art contemporain Kanal-Centre Pompidou, à Bruxelles, et le nouveau musée d’histoire naturelle de Bâle, après avoir bâti l’espace Toni-Areal (une ancienne usine géante de yaourts devenue un immeuble qui héberge la Haute Ecole d’art de Zurich et le deuxième site du musée du design).
Annette Gigon et Mike Guyer ont à leur actif la Prime Tower, seul (et magnifique) gratte-ciel de Zurich, et le centre Löwenbräu-Areal, qui regroupe deux musées d’art contemporain. Quant à Tilla Theus, elle a dessiné le nouveau siège social de Swiss Re et celui de la FIFA. Même la star américaine de l’architecture Daniel Libeskind, à l’origine du plan d’ensemble du nouveau World Trade Center, à New York, a sa deuxième agence à Zurich. Côté design, la ville est aussi une place forte de l’école suisse, Alfredo Häberli (qui a dessiné pour Iittala, George Jansen, Vitra et BMW) jouant le rôle de tête de file.
Le musée du design de Zurich comporte aussi des meubles signés Jörg Boner et Moritz Schmid, tandis que Frédéric Dedelley, alias « le détective du design », excelle autant dans la production « d’objets mélancoliques » que dans le dessin d’intérieurs. Quant à Gabriela Chicherio, qui a créé pour Ligne Roset une bibliothèque et une série de lampes, elle a organisé, en 2017, la première Biennale du design de Zurich, et prépare la seconde édition pour août prochain.
« Le style sobre suisse est aussi très visible dans le design industriel, le graphisme et la typographie », observe-t-elle. Enfin, côté art, il faut mentionner la galerie d’origine d’Hauser & Wirth (également présent à Londres, Los Angeles, New York, Hong Kong et St Moritz) et celle d’Eva Presenhuber, qui a un deuxième espace d’exposition à New York.
… et jeux vidéo au top !
Autre activité qui a le vent en poupe : les jeux vidéo. Fondée en 2012, la Swiss Game Developers Association (SGDA) compte 140 membres, dont presque la moitié sont basés à Zurich, où la Haute Ecole d’art a mis en place une filière Game Design menant jusqu’au master. Parmi les succès locaux, Farming Simulator, de Giant Software, a été vendu à 15 millions d’exemplaires, et les jeux coopératifs Dreii, d’Etter Studio, et Deru, d’Ink Kit, ont reçu de nombreux prix et sont commercialisés dans plus d’une dizaine de langues.
Quant à Niche, un jeu qui consiste à créer des animaux dont la génétique leur permet de s’adapter et de survivre, il a valu à sa créatrice, Philomena Schwab, de figurer en 2018 sur la liste Forbes des 30 personnalités européennes de moins de 30 ans. A la tête de Gbanga, une entreprise qui a remporté le Grand Prix du Universal Game Dev Challenge 2018 (500 participants de 60 pays) avec Voltron: Cubes of Olkarion.
Le Centre culturel suisse
Inauguré en 1985, financé par la fondation publique Pro Helvetia, c’est la vitrine de la création contemporaine helvétique à Paris. Au milieu du Marais, le Centre culturel suisse dispose de deux salles d’exposition, d’un amphithéâtre de 100 places, d’un bar et d’une librairie remarquable. Sa programmation couvre toutes les disciplines : arts visuels, danse, musique, performances, cinéma, théâtre, marionnettes, lectures…
Prochainement, elle propose douze rendez-vous. On pourra voir The Adventures of Mr. Skeleton, une projection de 12 courts métrages « d’une esthétique bricolée et rock’n’roll » concoctés par le performer Martin Zimmerman (du 21 juin au 14 juillet) ; découvrir Bourgeon Purin Pur, de Reto Pulfer (du 18 mai au 21 juillet), des performances et des moments musicaux autour d’installations d’orties et d’ipomées ; et écouter le spécialiste de l’électro hip‑hop Arthur Henry en compagnie de la chanteuse pop Giulia Dabalà, « qui entraîne vers l’infini des possibles la voix humaine » (le 9 mai). Jean-Marc Diébold, le Français nommé à la tête du centre fin 2018, a donné à la programmation une orientation plus jazz et veut multiplier les partenariats hors les murs, avec la Gaîté lyrique, le Centquatre‑Paris, Le Carreau du Temple, le Vieux Colombier… afin de donner plus de visibilité aux artistes et plus d’impact aux représentations.
Quant à ceux qui n’habitent pas Paris, ils pourront découvrir plusieurs troupes suisses au Festival d’Avignon.
Centre culturel suisse. 38, rue des Francs‑Bourgeois, Paris 3e. www.ccsparis.com
A Zurich, de nombreuses manifestations culturelles
Si l’architecture, la radio, les médias, la publicité et l’artisanat sont des activités que les autorités – qui n’ont par principe aucune politique industrielle – se refusent à subventionner, les autres activités créatives relèvent de la culture. Chaque année, 2,9 milliards de francs suisses (2,6 milliards d’euros) sont consacrés à la promouvoir, dont 90 % proviennent des villes et des cantons. L’Office fédéral de la culture, qui soutient le cinéma, a confié à la fondation Pro Helvetia, basée à Zurich, le soin de financer 1 500 projets par an dans les autres domaines culturels – y compris, depuis 2016, le design et les jeux vidéo. Grâce à ces soutiens, les jeunes artistes, musiciens, designers, éditeurs, concepteurs de jeux vidéo… peuvent s’insérer dans la vie professionnelle.
Zurich s’est aussi donné les moyens d’organiser le Zurich Film Festival, les foires d’art contemporain Art International Zurich et Kunst Zurich, les salons Blickfang et Neue Räume consacrés au design, Photo Schweiz pour la photo, Grafik Schweiz (affiches, illustration, typographie, art urbain, nouveaux médias), le festival de concerts M4Music et, depuis 2014, la convention de développement de jeux vidéo Ludicious, devenue un rendez-vous important pour cette industrie.
La Street Parade, plus grand festival de musique électronique du monde, rassemble quant à elle chaque année, début août, un million d’amateurs qui suivent ses trente scènes mobiles sur les rives du lac. Dans une ville et une agglomération de la taille de Toulouse, l’énergie que déploient les industries créatives de Zurich est donc impressionnante. D’autant plus que les synergies que l’architecture, le design et la musique – dont les process se numérisent – peuvent établir avec les start-up scientifiques sont pleines de promesses. Zurich se voit ainsi gratifiée d’un story-telling plus attrayant que l’hyperdépendance à la finance et à l’assurance…
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