Voyage
Les courbes et les volutes pastel soulignées de crème de ces bâtiments Art déco sont devenues les emblèmes de South Beach, les cautions historiques d’une agglomération qui, en réalité, a été imaginée avant-hier. Visite en 10 escales de l’un des plus grands quartiers préservés des Etats-Unis.
Dans le parc qui sépare Ocean Drive de la plage se trouve un bronze représentant le buste d’une femme, à deux pas de l’Art Deco Welcome Center. Les visites guidées s’y arrêtent quotidiennement afin de lui rendre hommage. C’est en effet grâce à Barbara Baer Capitman, fondatrice de la Miami Design Preservation League, que 960 bâtiments de South Beach sont, depuis 1979, classés au Registre national des lieux historiques.
Depuis, d’importantes mesures ont été adoptées pour faire en sorte que tout ce qui se construit ou se rénove observe certaines règles. Ne pas pasticher le passé a été la première d’entre elles. Il s’agit d’encourager une architecture contemporaine qui s’harmonise avec celle des bâtiments classés.
Trois grands courants
A Miami, le style Art déco protéiforme s’exprime en accord avec le contexte du lieu : le soleil et le bord de la mer. Il se décline selon trois grands courants : le Mediterranean Revival, qu’adoptent les constructions après l’ouragan de 1926, avec ses lignes courbes, ses pare-soleil au-dessus des fenêtres, ses sols en terrazzo, ses motifs décoratifs ; le Streamline, dans les années 30, plus fonctionnel, avec des formes géométriques inspirées du design industriel ; et, enfin, le Miami Modernist Architecture (MiMo), inventé après-guerre, avec ses lignes élancées, asymétriques, voire futuristes. Ces quelques clés de lecture marquent le départ, dans South Beach, d’une promenade qui se fait facilement à pied.
Beach Patrol Headquarters
Architecte : Robert A. Taylor, 1934. Situé sur le Boardwalk qui longe la plage, ce petit bâtiment maritime semblait, à l’époque, presque flotter sur la mer. Il faut dire qu’elle était alors à ses pieds, beaucoup plus proche des maisons d’Ocean Drive qu’aujourd’hui. Avec ses fenêtres hublots, ses rambardes rappelant un bastingage, son mat porte-drapeau, il évoque clairement la passerelle d’un bateau. Un bel exemple du courant Streamline qui s’est exprimé aussi bien dans l’architecture que dans le design, notamment sous le crayon de Raymond Loewy.
Bon Air Hotel, Congress Hotel, Palace
Architectes : H. Maloney, 1934 ; H. Hohauser, 1936 ; M. T. Sherman, 1950 ; et J. Meyer, 1964. Cet ensemble illustre la variété architecturale de la première moitié du XXe siècle à South Beach. D’abord, au 1060, le style méditerranéen de l’ancien Bon Air Hotel, avec ses fenêtres en arche, ses moulures et ses colonnes. Puis au 1036, l’Art déco classique avec le Congress Hotel (photo) et sa façade en trois parties. Au 1052, c’est un petit immeuble de deux étages qui se retrouve enclavé entre ses deux voisins. Enfin, le 1024 est une ode au MiMo avec sa construction asymétrique et ses balcons ajourés en béton.
Hotel Victor
Architecte : L. Murray Dixon, 1937. C’est une version encore différente de l’architecture des années 30 qu’illustre le Victor Hotel. Son auteur fut l’un des plus prolifiques de Miami Beach. On lui doit le Tides Hotel (fermé pour travaux), le Raleigh Hotel (également en rénovation) le Ritz Plaza (maintenant le SLS South Beach), le Regent Hotel… Le Victor mérite qu’on s’y arrête, même quelques minutes, pour admirer son sol en terrazzo et la fresque murale du lobby : un paysage de mangrove, auquel a été ajouté, bien des années plus tard, un petit alligator !
The Carlyle
Architectes : Kiehnel & Elliot, 1941. Dans un épisode de « Deux flics à Miami » (« Miami Vice », en VO), Don Johnson, en veste blanche Armani et lunettes de soleil, fume une cigarette devant le Carlyle. L’édifice figurera plusieurs fois dans la série, ainsi que dans de nombreux films : Scarface, de Brian De Palma ; L’Ombre d’un soupçon, de Sydney Pollack et dans la version américaine de La Cage aux folles. Depuis, l’hôtel a été scindé en appartements, en transformant 50 de ses suites en 19 résidences de luxe.
Cardozo Hotel
Architecte : Henry Hohauser, 1939. Comme son voisin, le Carlyle, Le Cardozo est un bâtiment curviligne, joliment proportionné. Il fut baptisé ainsi en hommage à Benjamin Cardozo, second juge de confession juive à avoir été nommé à la Cour suprême des Etats‑Unis, en 1932. Et comme le Carlyle, il figura dans plusieurs longs métrages, notamment Un trou dans la tête, de Capra, et le mégasuccès : Mary à tout prix. Désormais propriété du couple de musiciens Gloria et Emilio Estefan, l’hôtel est en cours de rénovation.
Cavalier Hotel
Architecte : Roy F. France, 1936. Plus décoré et plus coloré que certains de ses voisins, le Cavalier est orné de motifs qui semblent empruntés à des civilisations anciennes. Egyptienne ou maya, on ne sait pas trop, mais c’était le genre d’exotisme très en vogue durant la période Art déco. Des formes souvent géométriques et répétées à l’envi qui évoquent des fleurs, des feuilles, des vagues… Chaque partie du triptyque qui compose sa façade arbore ainsi sa propre signature graphique.
Essex House
Architecte : Henry Hohauser, 1937. Avec son entrée à l’angle de Collins Avenue et de 10th Street, son porche et ses références maritimes, l’Essex House illustre également le style Streamline. Des lignes arrondies, de longs pare-soleil en béton, les eyebrows (sourcils) comme les appellent les anglophones. A l’intérieur beaucoup d’éléments originaux subsistent : le sol en terrazzo, le comptoir et une cheminée en faux marbre, laquelle est surmontée d’une imposante fresque représentant un Amérindien dans un canoë se frayant un chemin dans un paysage des Everglades.
Marlin Hotel
Architecte : L. Murray Dixon, 1939. La façade en trois parties est l’un des leitmotivs du style Art déco de Miami Beach. Tout comme les pare‑soleil continus, s’arrondissant à l’angle du bâtiment. Quelques bas‑reliefs ornent l’extérieur, et, à l’intérieur, le sol en terrazzo a été préservé. A la nuit tombée, c’est la lumière des néons qui souligne les traits architecturaux de l’hôtel qui a appartenu à Chris Blackwell, fondateur d’Island Records, lequel y avait installé un studio d’enregistrement et y recevait ses artistes.
The Webster
Architecte : Henry Hohauser, 1937. C’est dans ce joli bâtiment à la décoration chamarrée qu’est née, en 2009, une petite chaîne de boutiques de luxe qui a pris le nom de cet édifice historique. Et même si The Webster possède maintenant d’autres adresses aux Etats‑Unis et dans le monde (qui connaissent probablement de meilleurs succès commerciaux que celle‑ci), la marque reste fidèle à celle qui l’a vue naître. Et on le comprend aisément en observant les attributs – extérieurs comme intérieurs – de cet ancien hôtel.
US Post Office
Architecte : Howard Lovewell Cheney, 1937. Prouvant que l’Art déco ne s’est pas limité aux hôtels, ce bureau de poste vaut le (petit) détour pour admirer le plafond peint de sa haute coupole et la scène de guerre qui habille les murs, œuvres de Charles Hardman, la fontaine – malheureusement hors d’usage –, et, sur tout le tour de cette grande rotonde, les centaines de boîtes aux lettres en laiton qui accueillaient la correspondance des Américains.
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