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Milan, de ville « provinciale » à cité européenne - The Good Escape
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Milan, de ville « provinciale » à cité européenne

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En moins de trente ans, Milan devenue une ville ouverte. Nouveaux quartiers, dynamisme économique, afflux d’étudiants contribuent à faire de la capitale lombarde une ville où il fait désormais aussi bon vivre que travailler. Reste à trouver les ingrédients qui prolongeront cet état de grâce.

Le chauffeur de taxi n’en revient pas. « Avant, explique-t-il, au mois d’août, la ville se vidait de ses habitants, on vivait à un rythme ralenti. L’été dernier, on n’a pas arrêté ! Et pas seulement à cause des touristes… » Milan attire autant les étudiants et les entrepreneurs que les touristes, italiens comme étrangers.

Entre les salons et les foires de renommée européenne, voire mondiale, le renouveau architectural, la réputation de ses écoles de commerce et d’ingénieurs, la disponibilité des communications et des transports, le réaménagement des nouveaux quartiers, Milan est devenue hype. Elle vient même de dépasser Venise dans le classement des villes les plus visitées en Italie et talonne désormais Rome, qui occupe toujours la première place.

Avec ses nouveaux quartiers, son dynamisme économique et culturel, sa vie étudiante, la cité lombarde est devenue une ville moderne où il fait bon vivre et travailler.
Avec ses nouveaux quartiers, son dynamisme économique et culturel, sa vie étudiante, la cité lombarde est devenue une ville moderne où il fait bon vivre et travailler. Gianni Basso

Le nouvel Eldorado des multinationales

Milan mérite plus que jamais son titre de « capitale économique » du pays. « Les villes italiennes qui sont internationales le sont par le tourisme. Milan l’est par son activité et son économie, cela lui donne une grande ouverture culturelle », constate Gianmario Verona, recteur de l’université Bocconi, célèbre école de commerce et de management de la cité lombarde. Ce n’est pas par hasard que les multinationales commencent à s’y implanter ou s’installent dans des locaux neufs adaptés à leur croissance.

En février 2017, Microsoft a inauguré son nouveau siège italien dans le palais Feltrinelli, conçu par l’agence d’architecture suisse Herzog & de Meuron. La société occupe à présent les deux tiers du bâtiment, le reste étant utilisé par la fondation Feltrinelli.

En 2017, Microsoft a installé son siège social italien dans le palais Feltrinelli.
En 2017, Microsoft a installé son siège social italien dans le palais Feltrinelli. Gianni Basso

En novembre 2017, c’est au tour d’Amazon de s’installer dans le nouveau quartier de Porta Nuova, et d’y rejoindre Google, Samsung, BNP Paribas et d’autres. En juillet dernier, Apple a ouvert un Apple Store sur la Piazza Liberty. Si la firme à la pomme compte déjà 16 autres magasins du genre dans la péninsule, celui-ci se distingue par une architecture tout de verre et de lumière, conçue par Norman Foster. On y entre par un grand escalier de pierre abrité par un cube de verre que des jets d’eau arrosent en continu.

L ’Apple Piazza Liberty se distingue par une architecture de verre et de lumière conçue par Norman Foster. Un espace design qui accueillera des évènements toute l’année.
L ’Apple Piazza Liberty se distingue par une architecture de verre et de lumière conçue par Norman Foster. Un espace design qui accueillera des évènements toute l’année. Gianni Basso

Enfin, sa première implantation en Italie, Starbucks a choisi Milan. Au pays de l’espresso et du rituel du café, la firme de Seattle a installé la première « Reserve Roastery » en Europe, et la troisième dans le monde, ces lieux haut de gamme où le café, une fois acheminé, est torréfié et préparé sous les yeux des clients.

Comment Milan, qualifiée de provinciale jusqu’à il y a une trentaine d’années, est-elle devenue cette grande cité moderne, propre, agréable, animée, où l’on circule facilement et qui, pour certains, ressemble si peu à l’idée qu’on se fait d’une ville italienne ? « L’épicentre du séisme se situe dans les années 1992 à 1994, au moment de “Mani pulite”, l’opération “Mains propres” », raconte Sergio Scalpelli, directeur des relations institutionnelles de l’opérateur Internet et de télécom Fastweb, et conseiller municipal de 1997 à 2001. L’opération Mains propres, menée par le parquet de Milan, a mis au jour un vaste système de corruption des dirigeants politiques du pays. Cette tempête, qui a touché tout et tout le monde, a été le déclencheur d’une nouvelle ère pour les Milanais.

Starbucks a choisi Milan pour ouvrir sa première « Reserve Roastary » en Europe.
Starbucks a choisi Milan pour ouvrir sa première « Reserve Roastary » en Europe. Gianni Basso

Dans le sillage de l’Expo 2015

L’administration municipale a gagné en autonomie et a lancé les grands programmes qui allaient transformer Milan en une ville européenne du XXIe siècle. A commencer par l’Exposition universelle de 2015. Dirigé par Giuseppe Sala, aujourd’hui maire de Milan, le projet a créé une dynamique qui a rapproché les acteurs publics et privés autour d’un même objectif. « A Milan, chacun fait ce qu’il sait faire, en cohérence avec les autres pour le bien commun. L’Expo 2015 a tissé du lien. L’administration a été moderne, réformiste et courageuse. Elle a montré que le secteur public pouvait mener à bien un tel projet avec la coopération opérationnelle et économique des acteurs privés », explique Lucia De Cesaris, avocate qui a été la conseillère municipale responsable de l’urbanisme de 2011 à 2015.

Caractéristique de Milan, l’économie passe avant la politique. « Les grandes entreprises milanaises de la sidérurgie, de la mécanique, de la chimie, les Falck, Montedison, Breda, Pirelli, etc., ont donné naissance à une bourgeoisie industrielle. Quelle qu’ait été la tendance politique de la municipalité, la gouvernance a toujours suivi la même trajectoire, celle qui favorise le développement économique de la cité », remarque Sergio Scalpelli.

Avec ses nouveaux quartiers, son dynamisme économique et culturel, sa vie étudiante, la cité lombarde est devenue une ville moderne où il fait bon vivre et travailler.
Avec ses nouveaux quartiers, son dynamisme économique et culturel, sa vie étudiante, la cité lombarde est devenue une ville moderne où il fait bon vivre et travailler. Gianni Basso

Si le « Pirellone », alias la tour Pirelli, construit à la fin des années 50, a longtemps été le seul gratte-ciel de Milan, ses 127 mètres de haut se fondent aujourd’hui dans la nouvelle skyline de la ville. Les grandes tours des quartiers CityLife et Porta Nuova redessinent la perspective.

Au sud-ouest, la fondation Prada a fait renaître le quartier de Porta Romana. D’autres entreprises, comme Fastweb qui y a inauguré son nouveau siège à l’automne, commencent à s’y installer. Les architectes les plus célèbres, de Zaha Hadid à Rem Koolhaas, de Daniel Libeskind à Stefano Boeri, ont participé et contribuent encore au renouveau de Milan.

Face au palais de la Bourse trône la fameuse et sulfureuse sculpture de Maurizio Cattelan.
Face au palais de la Bourse trône la fameuse et sulfureuse sculpture de Maurizio Cattelan. Gianni Basso

Dans ces quartiers, entreprises, boutiques de design, de barbier et de prêt-à-porter premium, résidences, restaurants et bars branchés se côtoient au milieu de jardins et d’espaces verts où circulent vélos et piétons Un peu plus loin, sur une avenue ombragée, trattorias, épiceries et bars de quartier traditionnels composent harmonieusement avec cette modernité. Les Milanais sont curieux de la nouveauté, mais restent fidèles à leurs habitudes.

En pleine mutation

Milan a toujours été une ville plurielle, contrairement à sa rivale, Turin, dont l’économie a été centrée autour de Fiat et de l’automobile. Antonio Calabro, directeur de la fondation Pirelli et vice-président d’Assolombarda, l’association des industriels de Milan, de Lodi et de la province de Monza-Brianza, pousse la comparaison un peu plus loin. « Turin est une ville militaire, carrée, faite comme un camp romain. C’est une cité méthodique, ordonnée, protégée par des murs et par les Alpes. Milan est une ville ronde, polytechnique, accueillante et ouverte. Elle est dans la plaine. Ses portes ont une fonction économique. »

Avec ses nouveaux quartiers, son dynamisme économique et culturel, sa vie étudiante, la cité lombarde est devenue une ville moderne où il fait bon vivre et travailler.
Avec ses nouveaux quartiers, son dynamisme économique et culturel, sa vie étudiante, la cité lombarde est devenue une ville moderne où il fait bon vivre et travailler. Gianni Basso

Mais au fil du temps, l’économie milanaise a dû s’adapter. Elle est progressivement passée de l’industrie aux services. En témoigne la reconversion en cours des zones d’activités du centre-ville, et notamment des « scali ferroviari », ces terrains ferroviaires désaffectés, transformés en nouveaux quartiers connectés et durables, où s’implantent les sociétés technologiques, les fab-labs, les start-up, les fondations et leurs initiatives culturelles.

En témoigne également la prochaine installation du hub numérique de l’opticien Luxottica dans les anciens bâtiments de General Electric. Pour franchir cette étape, les grandes entreprises de l’ère industrielle ont dû évoluer, souvent au prix de leur indépendance ou de leur nationalité. Beaucoup d’entre elles créent des marques de réputation internationale, mais ont du mal à devenir de véritables multinationales.

Le Duomo, l’immense cathédrale gothique, est le monument de Milan le plus visité.
Le Duomo, l’immense cathédrale gothique, est le monument de Milan le plus visité. Gianni Basso

Les pneus Pirelli, créés en 1872, sont passés sous contrôle du chinois ChemChina en 2015. Aujourd’hui restructurée et concentrée sur ses activités de « pneus consommateurs » (vélos, motos, autos), la société a retrouvé son accent italien. Elle a fait son retour en octobre 2017 sur la place boursière italienne, basée à Milan, où sont désormais cotés 37 % de son capital, le reste étant détenu par ChemChina, le fonds russe LTI et Camfin.

La société est contrôlée par Marco Tronchetti Provera, directeur général de Pirelli depuis 1992. Les autres exemples sont nombreux : le géant de la lunetterie Luxottica a fusionné avec Essilor pour former un acteur mondial de l’optique ; Vivendi est devenue premier actionnaire de Telecom Italia (TIM) ; depuis la crise de 2007, le secteur bancaire de la Péninsule s’est restructuré et les principales banques ont fusionné, mais plusieurs d’entre elles restent fragiles.

La galerie Victor-Emmanuel II, construite au xixe siècle et restaurée en 2015, accueille les enseignes les plus chic de la ville : Prada, Gucci, Tod’s, Borsalino…
La galerie Victor-Emmanuel II, construite au xixe siècle et restaurée en 2015, accueille les enseignes les plus chic de la ville : Prada, Gucci, Tod’s, Borsalino… Gianni Basso

Campari a adopté une autre stratégie. Créée en 1860 et monomarque jusqu’en 1995, la société a décidé de se développer tant par croissance organique que par acquisitions pour devenir une multinationale. Elle a procédé à 27 rachats, dont les plus récents sont Grand Marnier, le gin Bulldog et le cognac Bisquit.

Aujourd’hui, avec un chiffre d’affaires de 1,8 milliard d’euros, Campari est le sixième groupe de spiritueux du monde. Coté à la Bourse de Milan depuis 2001, il est contrôlé par la famille Garavoglia, qui détient 51 % des actions.

Le siège social de la société Campari, le géant des spiritueux coté en Bourse depuis 2001.
Le siège social de la société Campari, le géant des spiritueux coté en Bourse depuis 2001. Gianni Basso

Milan possède plusieurs atouts pour attirer ou retenir les entreprises. Le wi-fi installé par la municipalité, gratuit et de bonne qualité, est disponible dans presque tout le centre-ville. Par ailleurs, créée en 1999, la société Fastweb s’est associée à l’énergéticien AEM pour poser la fibre optique au fur et à mesure des travaux réalisés sur les réseaux de gaz et d’électricité. Résultat, Milan est la ville européenne la mieux équipée en fibre optique.

Du côté de l’immobilier, la demande a progressé depuis environ un an. Le marché milanais est dynamisé par des taux d’intérêt bas et par l’implantation de nombreuses entreprises internationales. « Les prix remontent lentement, mais ils n’ont pas retrouvé le niveau d’avant la crise de 2007. Nous avons encore des marges de progression », constate Paolo Pertici, fondateur d’agences immobilières, qui admet « regarder le futur avec un optimisme modéré, car Milan est une grande ville, mais ce n’est pas encore une métropole » !

A gauche, le nouveau siège de Fastweb, à droite, la tour Pirelli,
A gauche, le nouveau siège de Fastweb, à droite, la tour Pirelli, Gianni Basso

Maintenir la dynamique

Reste la question de comment faire perdurer cette période qualifiée de magique par certains. « L’Expo 2015 a été un climax. Le seul problème, et c’est très italien, c’est que personne n’a prévu ce qu’on ferait après ! Il faut une volonté socio- économique et politique pour prolonger ce moment », souligne Gianmario Verona.

L’Expo a été le déclencheur des nombreux chantiers terminés et en cours. Il faut maintenant que Milan entretienne le cercle vertueux entre l’innovation, l’industrie et la formation aux nouveaux métiers.

Depuis 1993, la fondation Prada, installée dans une ancienne zone industrielle du début du XXe siècle, promeut des initiatives artistiques.
Depuis 1993, la fondation Prada, installée dans une ancienne zone industrielle du début du XXe siècle, promeut des initiatives artistiques. Gianni Basso

Et que d’autres pôles d’excellence voient le jour, à l’image de ceux de la mode et du meuble. « Milan devrait commencer à raisonner comme une métropole, conclut Lucia De Cesaris. Il faut dépasser la notion de périmètre milanais, ne plus penser en termes de banlieues, et intégrer les communes limitrophes afin de mutualiser les ressources. Une vision plus internationale améliorerait l’attractivité de la ville, et le développement des rapports entre le public et le privé est indispensable. Pour cela, il faut du courage ! » Les Milanais n’en manquent pas et ils sauront affronter l’avenir avec ambition.

En chiffres

•Population : 1,38 M d’habitants dans la ville, dont 267 000 étrangers (près de 20 %) ; 3,2 M dans la « métropole », qui comprend 134 communes. Milan est la deuxième ville d’Italie après Rome (2,9 M d’habitants dans la ville et 4,3 M dans l’agglomération). En revanche, la région Lombardie est de loin la première du pays avec plus de 10 M d’habitants, contre 5,9 M pour le Latium (Rome) et 5,8 M pour la Campanie (Naples).
Economie : la chambre de commerce de Milan référence 300 000 entreprises de toutes tailles (8 % des sociétés du pays). Ensemble, elles génèrent plus de 200 Mds €, soit 12 % du PIB transalpin. En 2017, les entreprises milanaises ont exporté pour près de 41 Mds €, soit 9,2 % du total national. La ville compte environ 1 400 start-up, soit autant que Rome, Turin et Naples réunies. • Le revenu imposable par habitant (déclarations de 2017) est de 30 737 €, contre 23 066 € en Lombardie et 19 500 € pour l’Italie entière.
Emploi : le taux de chômage est de 6,5 % à Milan. Au niveau national, il est de 11,2 % (juin 2018). Le taux de chômage des moins-de-25-ans dépasse 22 %, mais il est nettement inférieur au taux national (32,6 %).
Education : la ville compte 7 universités, dont 3 publiques (Statale, Bicocca, Politecnico) et 4 privées (IULM, Cattolica, San Raffaele et Bocconi). Elle compte également 5 instituts de formation supérieure (conservatoire, académies…). Ces établissements accueillent plus de 200 000 étudiants, soit les trois quarts de la population étudiante de Lombardie et 11 % des étudiants du pays.
Transports : Milan se classe parmi les premières villes en Europe pour la mobilité. Elle ne compte que 4 lignes de métro, mais une 5e est en travaux et devrait – enfin – desservir l’aéroport de Linate. Le réseau du métro – le premier construit dans le pays – est le plus long d’Italie, avec 94 km. Dix-huit lignes de tramways sillonnent la ville depuis 1876. San Francisco a acheté une partie de ses tramways à la ville de Milan, les fameux « cable cars ». Et 80 lignes de bus complètent le réseau. A cela s’ajoutent 6 services de car‑sharing, deux fixes et quatre en free floating, qui proposent un parc de 4 000 véhicules électriques ou à essence ; trois services de location de scooters – dont un propose des modèles 3-roues ; et depuis déjà dix ans, un parc de 4 650 vélos, dont un millier à assistance électrique.


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