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Hôtellerie mondiale, l’ogre chinois
veronica

The Good Business

Hôtellerie mondiale : l’ogre chinois dévore tout

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En seulement trois ans, quelques-unes des plus belles pépites de l’hôtellerie mondiale sont passées sous pavillon chinois. Décryptage.

Quel est le point commun entre le Valparaíso Palace à Palma de Majorque, le Marriott Champs-Elysées, à Paris, le Four Seasons de Washington, l’InterContinental de Miami, les 68 resorts du Club Med disséminés à travers le monde, et les hôtels Kyriad et Campanile en France ? Tous sont détenus en partie ou en totalité par des groupes chinois ! Ces dernières années, la Chine a fait une razzia sur l’hôtellerie internationale en rachetant aussi bien de grandes dames, comme le Waldorf-Astoria de New York – un gratte-ciel Art déco qui fut l’hôtel le plus vaste du monde lors de son ouverture, en 1931 –, que des chaînes low-cost comme la française Première Classe. Rien qu’en 2016, les entreprises chinoises ont placé 9,5 milliards de dollars (soit presque 8 milliards d’euros) dans l’hôtellerie, surtout aux Etats-Unis et en Europe, selon Real Capital Analytics (RCA), le cabinet de référence en matière d’investissement dans l’immobilier commercial.

L’Intercontinental de Miami, sous pavillon chinois.
L’Intercontinental de Miami, sous pavillon chinois. DR

Certes, comparées à l’appétit chinois pour les infrastructures, pour l’énergie ou les robots industriels, ces acquisitions dans l’hôtellerie restent modestes : à peine 5 % des 200 milliards de dollars investis par la Chine à l’étranger en 2016, tous secteurs confondus, selon le cabinet Rhodium. L’ampleur de la vague fut telle que le pouvoir chinois a dû intervenir in 2016, puis à nouveau au cours de cet été, pour limiter l’endettement de ces énormes conglomérats qui se trouvent derrière la plupart de ces opérations. Une directive publiée en août indique que chaque nouvel investissement dans l’hôtellerie devra dorénavant obtenir le feu vert des autorités centrales. « Comme toujours avec la Chine, ça s’est fait très vite. Les Japonais ont dominé le marché immobilier au cours des années 80, puis les Sud-Coréens sont arrivés. La Chine, elle, est partie de zéro pour devenir l’acteur numéro un en seulement trois ou quatre ans », explique David Faulkner, directeur exécutif chez Colliers International, l’un des leaders mondiaux du conseil immobilier. La tendance, en effet, s’est amorcée en 2012, sur fond de ralentissement de l’économie chinoise. Cette année-là, la Chine enregistre son pire taux de croissance (7,7 %) en treize ans. Une à une, les entreprises commencent à chercher des débouchés à l’étranger pour compenser la décélération à domicile, dans un double grand mouvement de diversification et d’internationalisation.

Hôtellerie mondiale, l’ogre chinois
Hôtellerie mondiale, l’ogre chinois Greygouar

Combler un déficit de notoriété

Le groupe HNA, propriétaire de la quatrième compagnie aérienne du pays, ainsi que Wanda, le plus gros promoteur immobilier d’Asie, ouvrent alors le bal. En 2011, le premier avait déjà pris 20 % de NH Hoteles, la première chaîne hôtelière d’Espagne, alors en difficulté. De son côté, Wanda met la main, en 2013, sur le One Nine Elms, à Londres, projet immobilier qui doit accueillir le premier hôtel à l’international du groupe chinois. Puis la virée shopping s’accélère en 2014. Elle atteint son summum lorsque Anbang, le troisième assureur de Chine, met presque 2 milliards de dollars sur la table pour racheter le Waldorf-Astoria de New York, propriété du groupe Hilton. « Cette opération a fixé un nouveau benchmark qui, à ma connaissance, n’a toujours pas été dépassé dans la ville », résume David Faulkner. Le mois suivant, c’est au tour du groupe shanghaïen Jin Jiang de faire les gros titres de la presse. Ce géant de l’hôtellerie en Chine dépense alors 1,3 milliard d’euros pour prendre le Louvre Hotels Group, propriétaire des enseignes Campanile, Kyriad et Première Classe.

Le projet One Nine Elms à Londres où s’installera prochainement l’hôtel Wanda Vista.
Le projet One Nine Elms à Londres où s’installera prochainement l’hôtel Wanda Vista. DR

Cette accélération n’est pas un hasard. Après avoir grimpé de façon continue par rapport au dollar jusqu’à la in 2014, le yuan commence ensuite à dégringoler. La monnaie chinoise, traditionnellement l’une des plus stables de la planète, perd de la valeur face au billet vert tout au long de 2015 et de 2016. Les entreprises chinoises cherchent alors à placer leurs yuans dans des actifs plus sûrs à l’étranger. Parallèlement, la gestion calamiteuse de la crise boursière chinoise de l’été 2015 par les autorités a semé le doute sur la capacité réelle du pouvoir communiste à piloter une économie de plus en plus turbulente. Dans ce contexte, les investissements à l’étranger, notamment dans des trophy assets (les biens de prestige) comme le Waldorf-Astoria, permettent de se protéger des risques qui secouent celle qui était alors la deuxième économie du monde. « Si le marché se retourne soudainement, ces biens très haut de gamme maintiennent davantage leur valeur que les autres. Par exemple, s’il y a une attaque terroriste à Londres, les meilleurs hôtels de la ville vont probablement continuer à recevoir des touristes », poursuit David Faulkner. Mais si les géants chinois jettent leur dévolu sur l’hôtellerie, c’est aussi parce que ce secteur rapporte davantage que le reste de l’immobilier commercial. Plus risqués, car il faut les remplir toute l’année, les hôtels assurent cependant à leurs propriétaires des rendements supérieurs à ceux tirés d’un centre commercial ou d’une tour de bureaux, dont le loyer est fixé par contrat une fois par an. Détenir un hôtel de luxe permet également de combler un déficit de notoriété. Or, dans ce domaine, les groupes chinois partent de très loin… Qui, à l’étranger, connaissait l’assureur Anbang avant qu’il ne prenne le Waldorf-Astoria ? « C’est sans comparaison avec l’immobilier de bureaux, sauf, bien sûr, si vous rachetez le Gherkin, à Londres, ou l’Empire State Building de New York ! explique Daniel Voellm, associé chez HVS à Hong Kong, un cabinet d’intelligence économique spécialisé dans l’hôtellerie. Les hôtels ne sont qu’une partie de l’immobilier commercial, mais ils font davantage la une des journaux quand ils changent de main. »

Hôtellerie : un risque pour l’économie chinoise

La recherche spéculative de rendements supérieurs et le coup de publicité n’expliquent pourtant pas tout. Si les investisseurs purement financiers, comme Anbang, veulent surtout se diversifier et réaliser des opérations immobilières, d’autres groupes chinois souhaitent, en revanche, profiter du boom du tourisme chinois à l’étranger. C’est le cas de Fosun, propriétaire du Club Med depuis 2015 et également au capital du voyagiste britannique Thomas Cook. Mais aussi de Jin Jiang, premier actionnaire du français Accor, ou de HNA. Ce dernier détient 25 % du groupe Hilton. « Outre leur visibilité, les hôtels séduisent car ils peuvent être intégrés verticalement avec d’autres activités, poursuit Daniel Voellm. Prenez HNA, par exemple. Ils possèdent la quatrième compagnie aérienne de Chine, un aéroport à 120 kilomètres de Francfort, le spécialiste suisse de la restauration à bord, et à présent des hôtels. HNA peut donc faire voler les touristes chinois sur ses propres avions pour ensuite les héberger dans ses propres hôtels. »

Club Med Sanya, Chine.
Club Med Sanya, Chine. DR

Et le marché est gigantesque. Depuis 2011, les dépenses des touristes chinois à l’étranger ont été multipliées par plus de trois pour atteindre 261 milliards de dollars l’année dernière (soit 219 milliards d’euros), selon CLSA, une société de courtage basée à Hong Kong. Et ces dépenses pourraient presque doubler d’ici à 2021. Un vrai conte de fées… si le gouvernement chinois n’était pas intervenu. Après avoir d’abord encouragé ces investissements, dans l’espoir de faire naître des groupes chinois connus à l’international, Pékin a fait volte-face. Anbang, HNA, Wanda ou Fosun ont trop grossi et trop rapidement. Les autorités chinoises semblent estimer que leur niveau d’endettement pose à présent un risque pour l’économie du pays. Cet été, le pouvoir communiste a donc pris une directive pour limiter spécifiquement les acquisitions dans l’hôtellerie, les clubs sportifs, le cinéma et l’immobilier. Les conglomérats chinois se sont exécutés. Tous lâchent du lest. Fin août, Wanda a renoncé à l’achat d’un terrain dans le centre de Londres pour l’équivalent de 510 millions d’euros. Or, quelques semaines auparavant, le groupe fondé et dirigé par Wang Jianlin, longtemps la première fortune de Chine, s’était déjà séparé de 77 hôtels et de la quasi-totalité de ses participations dans 13 projets touristiques, le tout pour 7,7 milliards d’euros. Même cure de régime chez Anbang. En juin, son patron a démissionné et, selon l’agence Bloomberg, la Chine aurait même ordonné à l’assureur pékinois de vendre ses actifs à l’étranger. Le vent a tourné.

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