×
veronica

Voyage

Kista : le principal cluster high-tech d’Europe est en Suède

Voyage

Créée de toutes pièces à la fin des années 70, Kista est devenue la « cité des sciences » suédoise à l'ambition mondiale. Et l’avènement du numérique lui donne un nouvel élan.

Skype, Ericsson, Mojang… un dénominateur commun ? Kista – prononcez « chii-sta » –, une ville située à une quinzaine de kilomètres du centre de Stockholm. Cette ville nouvelle, née à la fin des années 70, revendique le titre de premier cluster européen en technologies de l’information et de la communication (ICT). Impression confirmée dès la sortie du métro : les nombreux immeubles de construction récente qui entourent un vaste centre commercial et la gare affichent quasiment tous des noms connus.

Ericsson, bien sûr, mais aussi IBM, Huawei, Nokia, Oracle, Microsoft, Intel…, il y a là tout ce qui compte en électronique, en informatique, en télécoms, des multinationales, des PME et, arrivées plus récemment, des start-up. A la fin des années 70, les secteurs sur lesquels l’industrie suédoise est concentrée – les forêts, les mines, l’automobile… – commencent à décliner, alors que le prix du pétrole augmente. Les grands industriels cherchent des relais de croissance. Ericsson, la ville de Stockholm, le groupe d’énergie et d’automation ABB et le Royal Institute of Technology (KTH) réfléchissent ensemble à l’avenir du pays et à ses perspectives économiques. Ils décident de créer une ville de toutes pièces et d’en faire le cluster le plus avancé au monde en microélectronique.

Ils seront rapidement rejoints par d’autres acteurs, notamment IBM. C’est dans les forêts de Kista qu’ils décident de réaliser leur projet, dont la principale caractéristique est et sera d’associer étroitement l’industrie, le secteur public et le monde académique. Ils baptisent cette synergie la «  triple hélice ». Ils matérialisent leur ambition en s’associant dans l’Electrum Foundation, qui coordonne et gère l’ensemble du projet, y compris les aspects immobiliers. Les premiers immeubles sont construits dès la fin des années 70, et la forêt de Kista devient Kista Science City.

Ville nouvelle née à la fin des années 70, Kista abrite nombre de sièges sociaux et d’établissements d’enseignement et de recherche.
Ville nouvelle née à la fin des années 70, Kista abrite nombre de sièges sociaux et d’établissements d’enseignement et de recherche. Alchetron

Aujourd’hui, la ville abrite nombre de sièges sociaux et d’établissements d’enseignement ou de recherche. Les départements informatiques de KTH et de l’université de Stockholm y forment quelque 3 000 étudiants. L’agence de recherche du ministère suédois de la Défense s’y est installée, tout comme l’Institut national d’informatique et certains départements de la Stockholm School of Economics. Les filiales suédoises des grands groupes y ont domicilié leurs sièges sociaux. En tout, l’administration de Kista estime que 60000 personnes travaillent dans la ville.

Kista : un vaste plan de réaménagement

Trente ans après sa création, Kista continue de se réinventer. La ville a été construite selon le modèle qui prévalait à l’époque pour les villes nouvelles : d’un côté les logements, de l’autre les bureaux, au milieu le centre-ville, avec les commerces, les transports, les cinémas… Des années après, le constat est sans appel : ce modèle ne fonctionne plus. Les gens qui habitent à Kista vont travailler à Stockholm et ceux qui travaillent à Kista viennent de toute la région. Résultat, une moitié de la ville est déserte le jour et l’autre se vide le soir venu. « Un plan de réaménagement a été lancé pour mélanger habitat et activités. Le plan prévoit de construire 6000 logements dans la zone de bureaux au cours des dix prochaines années », précise Petra Dalunde, directrice générale d’Urban ICT Arena.

Cette entité a pour vocation de stimuler l’innovation et la collaboration entre les acteurs présents à Kista pour en faire une « ville durable ». Opérationnelle depuis 2016, elle met à la disposition de tous des plates-formes et des bancs d’essai dans les domaines de l’informatique et des télécoms. Les entreprises, les chercheurs et les étudiants peuvent ainsi tester leurs idées en grandeur réelle. « Nous ne gérons pas de projet en direct, nous leur donnons les moyens d’exister. Notre mission est de faciliter la cocréation et de préparer les emplois de demain », ajoute Petra Dalunde. Urban ICT Arena héberge une cinquantaine de projets qui vont du test de nouvelles applications mobiles aux drones. Une bicyclette connectée au réseau mobile 5G encore au stade de prototype a, par exemple, été proposée en libre-service.

Des développeurs lui ont trouvé toutes sortes d’applications. Grâce à la connexion, un laser embarqué peut projeter le tracé de la voie cyclable sur le sol pour ceux qui roulent la nuit. D’autres ont imaginé de redimensionner les pistes cyclables de façon dynamique en fonction du trafic.

Ericsson a transféré son siège social à Kista en 2003. L’équipementier y emploie environ 11 000 personnes.
Ericsson a transféré son siège social à Kista en 2003. L’équipementier y emploie environ 11 000 personnes. Idha Lindhag

Un cercle vertueux efficace

Si Stockholm fait autant parler d’elle aujourd’hui dans le monde de l’innovation et du numérique, c’est parce que les Skype, Klarna et autres Mojang ont poussé sur le terreau fertile de Kista. Même si elles préfèrent avoir leurs bureaux dans le centre de Stockholm, les start-up interagissent en permanence avec les acteurs économiques, industriels et académiques implantés à Kista, élément essentiel du cercle vertueux de l’innovation locale. Les premiers rachats de start-up suédoises, notamment de Skype et des éditeurs de jeux comme Dice ou King, pour des sommes qui se chiffraient en milliards de dollars, ont fait naître plusieurs millionnaires. Quelques-uns d’entre eux ont créé des fonds et investi dans des start-up. Cette dynamique a suscité l’intérêt des grands fonds d’investissement, qui sont aujourd’hui présents au capital de nombreuses sociétés locales.

En 2016, les investissements dans l’écosystème start-up de Stockholm ont atteint 1,4 Md $ en 247 opérations, soit 54 % des investissements réalisés dans les pays nordiques. Ces chiffres étaient respectivement de 857 M $ et 90 opérations en 2015. Mieux, les « sorties », c’est-à-dire les reventes de sociétés ou de participations ont atteint 1,75 Md $ en 2016, faisant des start-up de Stockholm un secteur très rentable. A titre de comparaison,les start-up françaises ont levé 1,6 Md $ en 2016. Mais on compte 66 millions de Français pour 9 millions de Suédois…

Mais le principal acteur de Kista est incontestablement Ericsson. Impossible de savoir précisément combien d’immeubles de l’agglomération portent le logo du fabricant national d’équipements télécoms. Ses effectifs sont partout, dans les locaux du groupe, mais aussi dans les centres de recherche environnants, chez les partenaires ou dans les universités. « Ericsson emploie environ 11000 personnes à Kista et nous recrutons beaucoup d’ingénieurs et de développeurs pour les nouvelles technologies mobiles », précise Erik Kruse, directeur du marketing stratégique. Historiquement, le siège social d’Ericsson était implanté au sud de Stockholm.

Au début des travaux sur les communications mobiles, dans les années 80, la direction a préféré séparer les équipes qui travaillaient sur le fixe de celles qui développaient les nouvelles technologies. Et a installé ces dernières à Kista. Peu à peu, le fixe a cédé du terrain au mobile, aujourd’hui prédominant sur le marché. Ce qui a amené Ericsson à transférer son siège social à Kista en 2003, puis à fermer son site historique en 2015. Pour mieux interagir avec les start-up de son environnement, l’équipementier a créé, il y a deux ans, son propre incubateur, le Garage. « Il s’agit d’aider aussi bien les personnels d’Ericsson, les “intrapreneurs”, que les créateurs de start-up à développer leurs idées. Notre but n’est pas d’investir dans les sociétés, mais de mettre à leur disposition les solutions technologiques qui les aideront à grandir », affirme Erik Kruse.

Ericsson a transféré son siège social à Kista en 2003. L’équipementier y emploie environ 11 000 personnes.
Ericsson a transféré son siège social à Kista en 2003. L’équipementier y emploie environ 11 000 personnes. Idha Lindhag

Foi dans l’innovation et les échanges

Kista Science City s’est développée jusqu’à la « bulle Internet » du début des années 2000. Son éclatement et le ralentissement économique qui s’est ensuivi l’ont conduite à trouver un nouveau souffle. L’Electrum Foundation a alors créé, en 2002, son propre incubateur de start-up, Stockholm Innovation & Growth, devenu Sting en abrégé. A la fin 2016, Sting avait déjà accompagné 209 start-up. Mais Pär Hedberg, son fondateur, ne s’est pas arrêté là. Un réseau d’investisseurs (SBA, pour Sting Business Angels), un fonds d’investissement (Sting Capital) abondé par l’Etat suédois, un chasseur de têtes, un accélérateur (Sting Accelerate), des espaces de coworking à Kista et dans le centre de Stockholm, dont SUP46, le premier dans l’histoire de la ville, ainsi que Things pour les projets liés aux objets connectés et H2 pour ceux qui traitent de la santé…

La Victoria Tower, imaginée par Wingårdh Arkitektkontor, sortie de terre en 2011 à Kista, héberge un hôtel Scandic.
La Victoria Tower, imaginée par Wingårdh Arkitektkontor, sortie de terre en 2011 à Kista, héberge un hôtel Scandic. Ake Eson Lindman

« Le succès de toutes ces initiatives tient à plusieurs facteurs, explique Magnus Rehn, business coach à Sting depuis dix ans. D’abord, quel que soit le parti au pouvoir, le secteur public croit réellement dans les start-up et dans l’innovation, tout comme l’ensemble de la population, d’ailleurs, qui est habituée à trouver des solutions technologiques aux problèmes qui se posent. Et il existe de nombreuses sources de financement, tant publiques que privées. Mais, surtout, je crois que nous sommes tous conscients de ce que les échanges, la confrontation, le partage peuvent nous apporter. Personne ne réussit tout seul ! » Tout Kista l’a bien compris et s’évertue à faire tourner la « triple hélice ». Pour que la cité des sciences, mais aussi Stockholm et le pays tout entier restent bien inscrits sur la carte du monde de l’innovation.


Voir plus d’articles sur le sujet
Continuer la lecture