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Minimaliste, éthique et écologique, les valeurs de la mode scandinave sont aussi celles des nouveaux consommateurs, qui se sentent à l’aise dans sa confortable rigueur.
En une dizaine d’années, non seulement la mode scandinave est devenue un acteur à part entière de la planète fashion, mais ses valeurs s’impulsent désormais à sa communauté. Tout a commencé à la fin de l’ère du bling-bling, quand New York s’est entichée du style sans fioritures de créateurs belges, néerlandais ou allemands. Certes, Jil Sander et Raf Simons ne sont pas borned in Sweden, mais leur travail culturellement proche de l’ascèse nordique a stimulé la sensibilité américaine et européenne. Et en 2008, lorsque Acne Studios ouvre sa première boutique à l’étranger, à Paris, la brèche est ouverte et le minimalisme venu du froid entre dans les vestiaires. « Cette mode ne pouvait pas vivre en autarcie sur son marché local. Elle avait besoin de générer du chiffre d’affaires et, pour cela, de se faire connaître », commente Aurélien Grosjean, qui dirige le bureau parisien de l’agence suédoise Patriksson Communication. Ouvert il y a deux ans, ce bureau représente des griffes scandinaves comme Filippa K ou Stutterheim.
« Le point faible des marques nordiques, c’est que ce sont très souvent de petits labels qui n’ont pas la possibilité d’investir dans leur développement. Leur force, c’est qu’ils savent parfaitement utiliser les réseaux sociaux. Ils ont une longueur d’avance sur le numérique. Des marques qui n’ont aucun point de vente à l’étranger, comme la danoise Ganni, cartonnent sur Internet et ont une forte influence. » La mode scandinave étale un business-modèle à l’esprit très lifestyle désormais très copié… Aujourd’hui, Copenhague et Stockholm revendiquent et défendent leur place sur l’échiquier des fashion-weeks. Et bien que les dates soient décalées par rapport aux autres capitales, les acheteurs sont au rendez-vous.
La mode scandinave : des qualités unanimement reconnues
« Les Scandinaves ont prouvé leur légitimé stylistique. La qualité et la fonctionnalité de leurs vêtements sont reconnues et appréciées, tout comme leur positionnement commercial qui les rend très attractifs », poursuit Aurélien Grosjean. Résultats : en 2016, les exportations textiles danoises ont augmenté de 7% et atteignent un chiffre d’affaires de 23,9 millions de couronnes danoises (2,5 M env.). Un montant qui est loin d’être négligeable dans l’économie nationale. En Suède, les exportations du géant H&M atteignaient 305 millions de couronnes suédoises (31,95 M) en 2015, ce qui représentait 11% du des exportations suédoises. Stockholm, Copenhague, y a-t-il compétition dans la mode scandinave ? Créativement parlant, chaque pays cultive son ADN. Les Danois se positionnent plutôt dans l’underground, le streetwear. Ils expérimentent. Les Suédois sont plus esthétisants, plus pointus, et rivalisent avec les créateurs de Paris, de New York et, surtout, de Londres. Pour le reste, ils font front commun.
L’union fait la force, notamment quand il s’agit d’affirmer son engagement écologique, lequel n’a jamais été une posture marketing. Le respect de la nature est inscrit dans leurs gènes. Toutes les entreprises nordiques font du développement durable un enjeu. « Non seulement chaque vêtement est conçu pour durer et être réparé, mais il doit être sourcé et recyclé », commente Ludovic Douaze, directeur de Norrona pour l’Europe du Sud. « Notre métier est en pleine mutation, poursuit Rémi Crinière, responsable RSE (responsabilité sociétale des entreprises) pour le groupe H&M. On doit repenser nos ressources à l’échelle globale et mettre en place une économie circulaire sans déchets. » Depuis 2013, l’enseigne H&M a mis en place un service de collecte des vêtements usagés et en a récupéré plus de 39 000 tonnes. Son objectif est d’atteindre 25 000 tonnes par an. En 2040, elle ne se fournira qu’en matières 100% recyclées ou dites innovantes, comme ce simili cuir produit à partir de peaux de raisin. Ce qui est un enjeu de recherche important pour lequel le groupe investit entre 6 et 10 millions d’euros par an. Cette transformation ne se traduit pas que dans les produits.
Toutes les marques repensent leur impact environnemental, s’approvisionnent en électricité renouvelée et incitent leurs employés à utiliser des véhicules hybrides. Chez H&M encore, 89% des transports de marchandises se font par bateaux ou par camions hybrides. Pour réduire leur empreinte carbone, les Scandinaves relocalisent leurs sites de production en Europe. Beaucoup façonnent au Portugal, mais aussi dans les pays baltes. Par exemple, c’est en Lettonie que Norrona transfère son usine d’Asie du Sud-Est, tout en continuant de soutenir des programmes d’éducation, de formation, mais aussi de vérification des rémunérations et des conditions de travail dans ces zones de sous-traitance. Toutes ces valeurs éthiques rendent les collections encore plus attractives auprès des nouvelles générations de consommateurs. Plus question de porter un tee-shirt au coton non bio ou pour lequel des ouvriers ont été tués. L’accident du Rana Plaza, au Bangladesh, en 2013, a marqué un virage historique dans l’industrie textile. Ce que les Scandinaves ont été les premiers à saisir.
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