Voyage
C’était l’époque des premiers avions à réaction, quand les hôtesses de l’air arboraient gants blancs et petit chapeau. En 1956, la compagnie scandinave SAS commande à Arne Jacobsen une aérogare assortie d’un hôtel. Ce building servant de miroir aux nuages changera à jamais la skyline de Copenhague... et le design.
La photo en noir et blanc montre de fringants pilotes, leur valise monogrammée « SAS » posée à leurs pieds, en train de boire un verre autour de tables hautes en marbre noir. Derrière eux, un incroyable escalier en spirale, si léger et si aérien qu’il semble ne pas toucher le sol. Lorsque vous arrivez dans le lobby du Radisson Blu Royal, un demi-siècle plus tard, c’est comme si vous faisiez un bond dans le passé. L’escalier est là, les célèbres fauteuils Egg aussi. Comme si cet hôtel, symbole d’une modernité triomphante, avait traversé les années sans prendre une ride.
En 1956, la compagnie aérienne scandinave SAS commande à l’architecte danois Arne Jacobsen un programme comprenant un hôtel pour ses passagers et ses équipages, une agence de voyages et un terminal urbain, à l’image de l’aérogare des Invalides, à Paris, où l’on pouvait enregistrer ses bagages avant de partir pour l’aéroport. Arne Jacobsen vient juste de construire le bâtiment de la Banque nationale du Danemark, un monolithe austère dans cette ville de riches marchands et de maisons de briques rouges patinées. Un bloc de marbre gris qui dégage pourtant, avec son vertigineux atrium, ses fentes de lumière et son éclairage indirect, une incroyable sensation de légèreté vu de l’intérieur. L’architecte reprend le même principe pour le SAS Royal, affichant son amour du fonctionnalisme et son admiration pour le Bauhaus avec un bâtiment sur deux niveaux, bas et long, pour faire fonction d’aérogare, surmonté d’un léger building jaillissant dans le ciel. Ce parallélépipède abrupt, gainé d’un voile d’aluminium anodisé et de verre légèrement teinté, joue avec les couleurs d’un ciel passant du gris au bleu en un claquement de doigts. Les bonnes familles danoises ne se privent pas de manifester leur perplexité. Jacobsen, mordant l’éternelle pipe qui le fait ressembler à Georges Simenon – à moins qu’il ne cherche à imiter Le Corbusier –, ne bronche pas. Le SAS Royal, c’est son grand œuvre. Selon le principe du Gesamtkunstwerks, l’architecte a exigé de maîtriser l’ensemble du projet, affirmant qu’une maison doit être pensée par un seul homme. Lampes, meubles, lambris et moquettes : il a tout dessiné, jusqu’aux poignées de porte et aux voilages dont il a fait plomber les ourlets afin de leur donner un tomber régulier.
Sur les traces de Jacobsen
L’architecte a toujours vécu à Copenhague, où il est né en 1902. Il a reçu une formation de maçon avant d’être admis aux beaux-arts. Il y a suivi, avec ses camarades Hans Wegner et Borge Mogensen, l’enseignement de Kaare Klint, connu pour avoir jeté les bases du fameux Danish Modern des années 50. Son premier travail majeur se visite à une station de train du centre-ville de Copenhague, dans la petite station balnéaire de Klampenborg. La résidence Bellevue ainsi que le théâtre du même nom, mais également le groupe d’habitations de Soholm, les cabines de bain et les chaises des maîtres-nageurs : tout porte la signature d’Arne Jacobsen et de son concept total. Aujourd’hui encore, on rachète un appartement du Bellavista avec le canapé, les tabourets de bar et les petites cuillères !
A voir aussi, à la sortie de la ville : l’impressionnante station-service aux lignes courbes, conçue en 1937, elle témoigne de l’avant-gardisme de l’un des maîtres du design.
Simplicité apparente
Au début, si les clients s’inquiètent de dormir dans un hôtel qui ressemble à leurs immeubles de bureaux, ils sont vite rassurés : les aménagements intérieurs ne visent que le bien-être. Pierre Cardin fait partie des premiers curieux à se précipiter. Son nom figure à côté de centaines d’autres, sur de petites plaques de cuivre gravées à côté du bureau du concierge de l’hôtel. On y découvre avec amusement que le luxe peut réconcilier les antagonismes : Golda Meir et Arafat, Chirac et Jospin, les Beatles et les Stones… On dit que le dalaï lama a beaucoup apprécié la simplicité des lieux. Une simplicité toute apparente. Jacobsen, persuadé que les progrès technologiques du XXe siècle doivent s’appuyer sur l’excellence de la main de l’artisan, a peaufiné les moindres détails. Alors qu’il a déjà conçu la célèbre chaise Série 7 pour une cantine d’entreprise (elle est aujourd’hui présente dans toutes les maisons danoises), il reprend ses formes organiques pour dessiner de nouveaux ovnis : la chaise Egg, devenue icône du mobilier danois et inspirée par sa passion pour la botanique, et le fauteuil Swann. Mais au fil des années, avant que le design nordique ne redevienne tendance, l’hôtel perd peu à peu son lustre et son mobilier. Seule la chambre 606, montrée ad nauseum dans les magazines, demeure telle qu’en 1959. Une capsule temporelle préservée avec soin. Aujourd’hui, toujours décorée du mobilier bleu-vert d’origine, elle se réserve très longtemps à l’avance et est régulièrement visitée par des architectes se prosternant devant le rare canapé 3 300 du terminal aérien SAS, ou devant les appliques coulissant sur des rails.
Radisson Blu Royal : Dix-huit mois de lifting
Jusqu’à présent, on descendait au Radisson Blu Royal pour le postulat esthétique. On s’amusait de trouver encore le sèche-cheveux d’origine, en Bakélite couleur crème, dans le tiroir de la coiffeuse, et on ne s’offusquait pas que le modèle fourni dans la salle de bains ne marche guère mieux. Mais, tout comme le SAS Royal s’était inscrit dans son époque, le Blu Radisson Royal se devait de s’inscrire dans la sienne. Dix-huit mois de lifting s’achèvent, dont le résultat doit permettre à l’hôtel de reprendre son rang de palace sans rougir. Le cabinet de design Space Copenhagen s’est attelé à la délicate tâche d’introduire une nouvelle modernité dans l’hôtel sans que son créateur se retourne dans sa tombe.
On peut désormais cohabiter en tout confort avec l’esprit du design nordique, dîner à nouveau à l’Alberto K, le restaurant du vingtième étage dont la vue court, les jours de temps clair, jusqu’à la Suède. On y utilise à nouveau les couverts d’origine dessinés par Jacobsen qui, pour la petite histoire, figuraient dans le film 2001, l’Odyssée de l’espace. L’hôtel a regagné ses galons d’intemporalité, vivante leçon de retenue et de goût, de confort et d’élégance. Bref, le style danois… Ou le charme discret de la simplicité.
Le Radisson Blu Royal propose 260 chambres, dont 45 suites. Les plus prisées sont celles en angle, qui ouvrent sur le panorama de la ville et sur les féeriques jardins de Tivoli, illuminés la nuit.
Hammerichsgade 1.
Tél. +45 33 426 000.
www.radissonblu.com
Les hôtels Radisson Blu
La marque Radisson Blu appartient au groupe Carlson Rezidor (1 440 hôtels vendus sous 7 marques dans 115 pays). Fondé en 1960, à Minneapolis, Carlson a absorbé la marque Radisson en 1980, puis, en 1986, les hôtels SAS International, auxquels appartenait l’établissement construit par Arne Jacobsen. SAS International et Radisson ont formé le groupe Rezidor en 2002. Les SAS Radisson ont été renommés Radisson Blu en 2009. Ils incarnent la gamme luxe du groupe.
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