Voyage
A une centaine de kilomètres au sud de Lisbonne, à l'extrémité de la réserve naturelle de l'estuaire du Sado, Comporta et ses environs offrent un étonnant refuge, composé de plages, de dunes, de rizières et de forêts de pins. Sensations d'immensité et de liberté absolues. De quoi exalter l'imagination.
A, comme arroz. Riz, en portugais. C’est bien le seul mot que je comprends dans le menu. Nous sommes lundi et il est 12 h 35. Cinq minutes qu’on est installées à la terrasse du restaurant Museu do Arroz, qui donne sur la plage de Comporta. Il fait beau, la mer est là, la plage est vide, tout comme mon estomac. La marmite fumante de riz à la tomate et au poulpe arrive. Le reportage peut officiellement commencer.
B, comme bleu. Mille nuances, infinies et insaisissables. Le ciel, la mer, jusqu’aux encadrements des portes et des fenêtres des petites maisons traditionnelles. C’est évident, mais on se laisse surprendre à chaque fois. Puis vient le vert qui règne à l’intérieur des terres. Et, enfin, le blanc, celui présent dans la lumière, celui éclatant des façades et celui des cigognes installées sur toutes les cheminées de la région.
C, comme Comporta – et Alcácer do Sal et Carrasqueira. Trois villages qui rythment notre reportage, où on se plaît à revenir. Le premier, pour sa belle et vaste plage et pour la faune touristique branchée qui s’agglutine au Comporta Café à l’heure de l’apéro. Le deuxième, pour le plaisir de se perdre dans ses étroites ruelles pavées. Le dernier, pour observer le va-et-vient des pêcheurs.
D, comme dilatation. Celle du temps. Sensation maudite pour tout hyperactif contemporain. D’abord, on résiste et on s’applique à remplir nos journées, à les découper et à les optimiser. Mais l’urgence stérile s’accommode mal du génie des lieux. Percer le mystère nécessite d’accepter cette temporalité suspendue et de s’abandonner à la lenteur et au vide qui s’offrent à nous.
E, comme errance. Le GPS peut rester dans la boîte à gants. On se perd, on tourne en rond, on arrive à destination par voie détournée. On découvre des détails jusqu’alors insoupçonnés aux villages qu’on traverse, aux dunes qu’on arpente, aux plages qu’on fréquente. Et puis, on finit par se rendre compte que les lieux nous ont apprivoisées.
F, comme famille. La família Esperíto Santo passa maître dans la domestication du territoire. Elle acquit, dans les années 50, les 12 500 hectares qui composent la Herdade da Comporta, utilisée comme réserve de chasse exclusive. Considérée comme l’une des plus grandes dynasties de banquiers portugais, elle fit pourtant faillite en 2014. Si les vicissitudes financières eurent raison de cette lignée remontant au XIXe siècle, les efforts de la famille pour préserver l’environnement de la région furent malgré tout admirables.
G, comme Grândola. Une ville située à une trentaine de kilomètres du village de Comporta, qui rappelle d’autres héros et idéaux. « Grândola, ville brune / Terre de fraternité / Seul le peuple ordonne / En toi, ô cité ». La chanson Grândola, Vila Morena, composée par Zeca Afonso et diffusée le 25 avril 1974 à minuit quinze, fut le signal de départ de la révolution des Œillets. Aujourd’hui encore, elle est l’hymne de la contestation portugaise.
H, comme horizontalité. Elle est ici déconcertante. Les plages sont l’endroit idéal pour assister à cet étrange spectacle où la terre et la mer se mêlent au ciel. A tel point qu’en allant tout à la pointe de Troia, on aperçoit les rives de Setúbal en face, la réserve naturelle de l’estuaire du Sado d’un côté et l’océan Atlantique de l’autre.
I, comme imaginaire. Il est encore vierge et reste à inventer pour cette région de l’Alentejo méconnue et préservée. Une aubaine pour combler ses fantasmes d’aventures, de poésie et d’explorations.
J, comme jeunesse. C’est la grande absente des villages que nous traversons. On a beau parcourir les ruelles, attendre sur les places, sortir la nuit tombée, le mystère plane. Les seules personnes que nous croisons marchent à petits pas, ont le dos voûté, les gestes hésitants et l’air frêle. La jeunesse n’a pas disparu, elle a fui.
K, comme kaléidoscopique. C’est sans doute l’une des plus grandes qualités esthétiques de la mer, ici comme ailleurs. La lumière est réfléchie à sa surface en des scintillements infinis. Des paillettes argentées qui dessinent de mystérieux motifs ballottés par le mouvement ondoyant des vagues. Des va-et-vient au rythme exalté qui forment d’incessantes et complexes chorégraphies.
L, comme lacunaire. Ma connaissance de la langue portugaise est misérable. Bom dia (« bonjour »), sim (« oui »), não (« non »), possível comer ? (« est-il possible de manger ? »), peixe do dia ? (« le poisson du jour ? »)… C’est tout.
M, comme Maria. Elle a la peau creusée d’innombrables sillons. Son visage ressemble à un paysage aride au relief accidenté. Maria vient nous trouver à la table d’un café à Alcácer do Sal. Elle nous a entendues parler français et s’invite avec douceur à notre conversation. Elle nous raconte ses années de jeune fille à Bordeaux, où elle travaillait dans les vignes. Son récit est choisi et fragmenté, son français, chantant et trébuchant. Maria a 87 ans et cela fait dix-sept ans qu’elle vit dans la région de Comporta. Pour sa tranquillité et sa nature.
Percer le mystère nécessite de s’abandonner à la lenteur et au vide qui s’offrent à nous.
N, comme nature. Polysémique et malicieuse, elle sait magistralement se mettre en scène. Inoffensive au lever du soleil. Ensorcelante dans la brume du matin. Terrible quand elle laisse éclater les hurlements du vent ou le vacarme des vagues. Menaçante quand la lumière décline, que le ciel se pare de teintes violettes et qu’elle laisse l’ombre des pins s’étendre.
O, comme obrigado. Pour dire « merci » si on est un homme et obrigada quand on est une femme.
P, comme Porto Palafítico. Une énigme architecturale. Un port de pêche édifié dans la vase, construit sur des pilotis au bois gris et délavé. Les pontons branlants suivent des trajectoires tortueuses agrémentées de cabanons aux couleurs vives. Les pêcheurs débarquent des seaux remplis de poulpes bruns et gluants qui seront cuisinés dans les restaurants du village. Commander le choco frito.
Q, comme quotidien. Il est 7 h 30 dans le village de Carrasqueira. Le jour s’est levé depuis peu et tout a l’air profondément engourdi dans l’atmosphère encore blanche et cotonneuse du matin. Le café des pêcheurs est ouvert. Vie et chaleur dans ce décor fantomatique. On entre et on se sent comme un cheveu sur la soupe. Les pêcheurs discutent à voix basse accoudés au comptoir ou lisent silencieusement le journal local, des tasses de café fumantes et des tartines de beurre posées à proximité. On commande la même chose, tant bien que mal. D’autres pêcheurs arrivent. Nouvelle tournée de cafés pour tout le monde. Il est 8 h, un invisible signal est finalement donné. Tout le monde se met en branle et décampe.
R, comme rizières. Implantées au XXe siècle par l’Atlantic Company, société créée en 1925 par des actionnaires britanniques et portugais, elles ont complètement modelé le paysage agricole de la région. Il aura fallu un siècle pour dessiner les contours de ce territoire à la physionomie aussi plate et aussi étendue.
S, comme solitude. Celle de ces terres immenses et fertiles qu’on peut arpenter toute la journée sans croiser autre âme qui vive que les chênes-lièges, les pins ou les cigognes. Plaisir aussi jouissif qu’oppressant.
T, comme tremper. D’abord les pieds, et attendre un jour de grande chaleur pour plonger dans l’Atlantique. Sentir alors comme des milliers de petites aiguilles transpercer et électriser la chair. S’enfoncer dans l’eau en retenant sa respiration. Se maintenir à la surface pour goûter la chaleur extérieure pendant que les membres s’engourdissent doucement. Sortir de l’océan, se laisser envelopper par l’air chaud et s’effondrer sur le sable, glacée et heureuse.
Même si le tourisme ne tourne pas à plein régime, les balbutiements sont réparables.
U, comme utopie. L’industrie touristique a flairé le filon de cet endroit au potentiel juteux. Même si la machine infernale ne tourne pas à plein régime, les balbutiements sont repérables, bien que discrets. Quelques anciennes cabanes de pêcheurs réaménagées au goût contemporain ou des voitures à l’immatriculation espagnole sont les indices d’une présence touristique, certes éparse mais bien réelle.
V, comme vide. Celui qui ne manque pas d’emplir nos esprits d’une douce mélancolie, car on sait que, bientôt, il se remplira de nouveau de mille et une trivialités.
W, comme week-end. Il n’est sans doute qu’une question de temps avant que les néo-bobos, les néo-hippies, la gypset… ne jettent leur dévolu sur Comporta et ses environs pour une échappée hors de la frénésie citadine.
X et Y, comme l’inconnue et son lapin. On la croise au détour d’une ruelle dans le village de Comporta. Elle surgit, le port altier, la démarche assurée, un lapin apathique dans les bras. Son énergie, sa jeunesse et l’extravagance de la situation détonnent avec tout ce qu’on a vu jusqu’ici. Comme un pied de nez du hasard. On la perd. On finit par rebrousser chemin quand elle apparaît de nouveau et c’est là qu’on réussit à l’immortaliser.
Z, comme zénith. Un dernier tour à Alcácer do Sal, sur le chemin du retour, où les façades blanches d’une maison de retraite nous aveuglent et s’impriment dans nos mémoires.On quitte la région pour de bon, l’estomac rempli cette fois-ci.
Y aller
The Globe-Setters Society, une agence fondée par Jorge Apesteguia-Peña en 2011, est spécialisée dans la conception de voyages sur mesure et haut de gamme. Ses ambassadeurs, les experts qui entourent le fondateur, sillonnent le globe à la recherche de lieux exceptionnels qu’ils partagent ensuite sur une plate‑forme interactive en ligne. Les forfaits présentés sont ensuite personnalisables à souhait en fonction des desiderata des voyageurs. Pour un séjour 8 jours/7 nuits Comporta‑Lisbonne, compter 1 134 euros par personne (vols non compris).
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