Voyage
Facilement accessible depuis Athènes, Hydra est une île adorée des plaisanciers et des touristes du monde entier. Aucune voiture – seulement des ânes –, un port pittoresque et quelques criques préservées : face à la mer, les vacances y ont un goût de soleil et de ciel bleu.
La lumière est douce sur Hydra. Le ferry longe des falaises rocailleuses où s’accrochent des maisons blanches, avant d’être amarré à la cale. À droite, la croûte cabossée du Péloponnèse, à gauche, les nuances du village s’étirant sur les pentes en demi-cercle. À peine le pied posé, on abandonne ses rêves désuets de paysages oubliés, de brebis faméliques et de pâtres grecs. Le pavé est lisse, comme ciré, et le café, servi à l’ombre sous les auvents, coûte deux euros cinquante, comme à Paris. À ce prix-là, les plus chanceux auront quand même le privilège de contempler l’œuvre de Jeff Koons, le yacht bariolé de Dakis Joannou, délicatement baptisé Guilty. Cet industriel richissime a depuis longtemps jeté son dévolu sur Hydra. En plus d’y venir en famille, il a racheté les anciens abattoirs de l’île pour y créer la résidence liée à sa fondation genevoise, Deste. Chaque année, un artiste – en l’occurrence, Kara Walker – s’en voit remettre les clés et produit une exposition visible in situ, sur la route de Mandraki, de la mi-juin à la mi-septembre.
Défiscalisation, cadre pittoresque, filles jolies sinon grecques… on l’aura compris, Hydra est un rendez-vous prisé de la jet-set, ou presque. Les connaisseurs le savent, l’un des meilleurs endroits pour y poser ses valises reste l’hôtel Orloff, une maison de maître construite au XVIIIe siècle sur les ruines d’un antique monastère par Grigori Orlov. Pendant longtemps, je n’avais jamais accordé la moindre importance à la vie de cet amant de Catherine II, dont le rejeton illégitime, élevé dans le plus grand secret par un valet, a fondé la lignée des comtes Bobrinsky, jusqu’à ce que je rencontre le comte Alexandre Bobrinsky, son dernier descendant. Le vieil homme, âgé de 96 ans, s’était pris d’amitié pour moi et m’avait invité plusieurs fois à venir le voir dans son appartement du boulevard de la Tour-Maubourg. Situé aux deux derniers étages d’un immeuble, il donnait sur les Invalides, et tous ses murs et plafonds étaient couverts de feuille d’or, de telle sorte que, le matin, les rayons du soleil se reflétant sur le dôme produisaient un effet prodigieux. L’appartement semblait alors prendre feu et se liquéfier dans un halo de lumière.
Devant ce phénomène, mon ami me disait avec malice qu’il était le premier à avoir percé le mystère de l’alchimie, qui n’était pas de changer n’importe quel métal en or, mais de changer l’or en quelque chose d’utile à la beauté du monde. Le comte Alexandre me confia plusieurs secrets sur son aïeul, notamment celui d’un séjour à Hydra. En 1769, ce dernier avait noué des contacts avec la famille Mavromichalis pour s’assurer le soulèvement de cent mille soldats grecs en cas d’engagement des Russes contre les Turcs. Ce pacte signé, sur ordre de Catherine la Grande, il avait envoyé ses deux frères Fiodor et Alexeï à la tête d’une vaste flotte de navires de guerre. L’offensive fit long feu et les Russes durent finalement abandonner leurs alliés grecs dès l’année suivante.
« Je sais qu’entre-temps, me dit-il un jour, le comte Grigori a dû se rendre à Hydra pour retrouver ses frères. En voici la preuve. »
Et il me tendit une feuille de parchemin.
« Les trois frères semblent s’exprimer sur une affaire politique. Une sorte de récit officiel de leurs exploits. J’ai toujours trouvé ce document étonnant. Quel besoin urgent avaient-ils de se réunir tous les trois à Hydra pour signer ce texte somme toute assez banal ? J’ai donc cherché à le déchiffrer et j’ai acquis la certitude qu’il s’agit en fait de la description cryptée d’un trésor trouvé lors de leur campagne contre les Turcs, qu’ils avaient dû faire disparaître avant que leurs ennemis ne reprennent l’avantage.
– Vous êtes en train de me dire qu’un trésor est toujours enfoui à Hydra ?
– Peut-être. Ou pas. Peut-être l’ont-ils finalement rapporté en Russie et qu’une partie se trouve aujourd’hui sur ces murs ! »
Il y a presque quinze ans, au moment de mourir, Alexandre m’a légué cette lettre avec sa transcription. Je l’avais complètement oubliée lorsque, récemment, j’ai ouvert Mirifiques Aventures de maître Antifer, de Jules Verne, où je l’avais glissée. Sa redécouverte m’amusa et m’incita à pousser plus loin ses investigations. Voilà pourquoi je me retrouve aujourd’hui à Hydra, à l’heure où le soleil se couche, fumant une cigarette sous la tonnelle de l’hôtel Orloff.
Hydra, le début de l’ascension
Dès mon arrivée, l’air de rien, j’ai fait le tour de cette propriété, encore emplie du mobilier des Orlov, à la recherche d’indices. En vain. Je m’apprête à jeter l’éponge pour la nuit lorsqu’en me dirigeant vers ma chambre mon briquet roule au pied du bureau de la réception. Après l’avoir ramassé, je l’actionne devant une icône et mon regard est aussitôt attiré par des taches sombres dans son fond d’or. Comme un dessin. Des lettres cyrilliques. YHWH. « Mon Dieu est Yahvé. » Le nom d’Elie. Elie ! Bien sûr ! Ce passage de la lettre : « à l’aplomb de la spirale, là où le nom des Orlov porte la lumière ». L’or changé en lumière. La légende de la Chrysoporta. La porte d’or de la caverne d’Elie. La réponse me saute aux yeux. Le trésor des Orlov est enterré ici, près du monastère d’Elie, sur le mont Eros, six cents mètres au-dessus de leur maison.
Le lendemain, dès l’aube, je commence l’ascension. La route s’élève d’emblée et laisse apparaître des panoramas sur le port d’Hydra et la péninsule de l’Argolide. À la surface des eaux du détroit, les courants marins dessinent une spirale. À 9 h, le soleil est haut, déjà, et la chaleur, sur ces chemins de pierre, commence à se faire durement sentir. Elle est à son comble lorsque se présente la dernière épreuve, celle du grand escalier menant au monastère. Il me faut près d’une demi-heure pour y arriver. Fermé. Épuisé, je m’assois à l’ombre, pour profiter du paysage. Un moine vient m’apporter un verre d’eau. Il me salue en français et me demande ce que je suis venu faire. Je lui réponds en riant que je cherche le trésor des Orlov.
« Crois-tu vraiment qu’ils sont venus jusqu’ici ? Les riches restent plutôt en bas. Ils nous envoient de l’argent pour acheter nos prières mais s’ils se déplacent, c’est seulement en hélicoptère. Et à l’époque des Orlov, cela n’existait pas encore !
– Vous avez raison, mon frère. Cette histoire ne tient pas debout. Cette vue suffira à mon bonheur. »
Il me quitte en énonçant quelques banalités sur Dieu et la nature et referme derrière lui la porte du monastère.
Je suis dépité, car je ne crois pas un mot de ce qu’il m’a raconté. Il faut que je trouve un moyen de revenir pour en avoir le cœur net. Absorbé par mes élucubrations, je commence à m’éloigner du monastère et à m’enfoncer dans la forêt pour retrouver le chemin vers Hydra, quand j’aperçois, surgi de nulle part, le toit d’une bâtisse qui dépasse des feuillages.
Après avoir frappé plusieurs fois, une petite femme – elle ne doit pas faire plus d’un mètre trente – apparaît dans l’embrasure de la porte. Elle vit seule dans ce modeste monastère dont la cour, piquée d’une minuscule chapelle, est blanche et couverte de fleurs. Sans me dire un mot, elle me fait traverser sa cuisine et avancer jusqu’à une terrasse ouvrant sans limites sur l’horizon. Le paysage est bouleversant. Elle me sert un thé et des loukoums et je me perds dans la contemplation. Combien de temps suis-je resté ainsi face à la mer ? Je ne sais pas.
« Je sais ce que tu es venu chercher, me dit-elle soudain. Suis-moi. »
Nous traversons son potager puis nous gagnons un tunnel après avoir fait glisser une lourde pierre. À l’intérieur, à la lumière de sa lampe de poche, nous suivons un boyau percé dans la roche, où je tiens à peine debout, avant de ressortir à flanc de falaise. Le sentier que nous parcourons est bordé, d’un côté, par un à-pic sur la mer. Nous arrivons face à un amas de rochers. Elle m’indique un espace tout juste suffisant pour que je puisse m’y glisser et nous entrons dans une vaste grotte. C’est alors qu’un miracle se produit. Le soleil, au zénith, s’engouffre dans la caverne. À ce moment précis, j’ai la sensation de perdre connaissance tant la lumière devient brutale. Comme chez mon ami, toutes les parois sont couvertes de feuilles d’or.
La montagne semble se dissoudre dans la lumière, mes pieds semblent ne reposer sur rien de tangible. Au fond, je distingue plusieurs tonneaux arrimés à la grotte : le trésor des Orlov.
« À part nous, personne ne connaît cet endroit. Surtout pas les moines que tu as vus tout à l’heure. Ils sont trop avides. La seule personne que j’ai conduite ici est le comte Alexandre. Une première fois, il y a bien longtemps. Une autre fois, juste avant sa mort. Il m’avait parlé de toi. Tu es le seul à en connaître l’existence, ce trésor est donc à toi. Si tu le veux, tu peux être riche. »
Je reste un instant à me baigner dans ce halo d’or et je fais signe à la femme de refermer la caverne. Nous remontons sans un mot jusque chez elle. Dans la descente, assommé par cette découverte et par la beauté des paysages qui m’entourent, je me remémore cette magnifique lettre de Pétrarque racontant son ascension du mont Ventoux, dans laquelle il écrit : « Je réfléchis en silence au peu de sagesse des mortels qui, négligeant la plus noble partie d’eux-mêmes, se répandent partout et se perdent en vains spectacles, cherchant au dehors ce qu’ils pourraient trouver en eux. » En arrivant sur le port, épuisé, je m’assois à la terrasse d’un café. La foule se presse autour du yacht de Dakis Joannou, qui commence ses manœuvres de sortie. Personne ne s’intéresse à moi. C’est injuste. Après tout, moi aussi, je pourrais avoir un gros bateau.
Y aller
Oovatu, spécialiste français des voyages d’exception depuis 1999, organise des séjours sur mesure en Grèce et dans tout le bassin Méditerranéen. Véritables experts de ces destinations, les conseillers Oovatu visitent régulièrement les différentes régions et les établissements afin que leurs recommandations correspondent parfaitement aux exigences des clients. Sur l’île d’Hydra, Oovatu propose une escapade de 5 nuits à l’hôtel Orloff, à partir de 1 530 € par personne. Ce tarif, sur une base de deux personnes, comprend l’hébergement en chambre double classique, les vols aller-retour avec Aegean Airlines, les transferts et les traversées en bateau, ainsi que les petits déjeuners.
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