Voyage
Sur la petite île de Noirmoutier, Alexandre Couillon a réussi à transformer un simple restaurant d’été familial en table doublement étoilée au Michelin. Le jeune chef invente ici une cuisine locale, tendre, exigeante et extrêmement attentive à ce qui l’entoure.
Bien loin des moqueries de l’enfance, « Couillon » est aujourd’hui synonyme d’exigence et de respect, à Noirmoutier. Et le restaurant La Marine est devenu une référence en matière de gastronomie. Né et élevé en Afrique, où son père pêche la crevette, Alexandre Couillon (@couillonalexandre), adolescent, accompagne ses parents qui rentrent sur l’île familiale, où ils achètent, dans les années 80, un petit restaurant, sur le port de plaisance de l’Herbaudière. Ouvert seulement deux mois par an, La Marine propose aux touristes la cuisine simple et familiale de la maman, tandis que le père est en salle. Alexandre, lui, s’ennuie à l’école et doit choisir entre devenir un « marin patate » (c’est-à-dire un « paysan pêcheur ») et aller à l’école hôtelière de l’île. Sans vocation, ça sera l’école, où il rencontre Céline, qui deviendra son épouse. Mais c’est chez Michel Fornareso qu’il aura le déclic. Chez ce compagnon, il apprend, certes, les bases du métier, mais aussi et surtout à écouter.
Couillon, entre pugnacité, insolence et envie de faire
Après un rapide tour de France, il pose ses couteaux chez Michel Guérard, dans les Landes, et c’est là que sa vie bascule. Ses parents l’appellent pour lui annoncer qu’ils veulent vendre La Marine et lui demandent s’il serait intéressé pour reprendre le restaurant. Avec Céline, ils hésitent 48 heures, avant de se lancer, mais à une condition : qu’ils signent un contrat de gérance pour sept ans. « Début 1999, à 22 ans, on reprend La Marine dans son jus, sans investissement, en proposant une cuisine traditionnelle et des produits de qualité », se souvient Alexandre Couillon. Lui en cuisine, seul, et Céline en salle, ils travaillent non-stop toute l’année, en faisant jusqu’à 80 couverts par jour en été… et parfois aucun en hiver. « Les premières années ont été très difficiles, car dès le 30 août, il n’y a plus de touristes à Noirmoutier, raconte Alexandre. Mais nous n’avons rien lâché, et j’ai commencé à faire une cuisine de moins en moins touristique et de plus en plus personnelle. » Les journalistes et les critiques gastronomiques ne s’aventurent pas sur l’île, et c’est sans publicité qu’il suit son bonhomme de chemin, avant de voir arriver la fin du contrat de gérance, presque avec soulagement et avec l’idée d’abandonner. Lorsque, un jour d’hiver 2006, alors qu’il est en voiture sur le pont qui relie l’île au continent, il apprend qu’il vient d’obtenir une première étoile au Guide Michelin. « Ç’a été le branle-bas de combat. Fini les couverts en Inox, les assiettes ordinaires et les chaises 80’s. On a mis un coup de peinture, racheté du matériel… On avait envie de faire parler de Noirmoutier, de croire à un projet. Ce qui nous a sauvés, c’est la jeunesse, l’insolence, la pugnacité. Et l’envie de faire un bras d’honneur aux sinistres et de croire en l’avenir », explique le chef.
Le jeune couple s’endette, rachète les maisons mitoyennes de La Marine et crée un autre restaurant, La Table d’Elise, plus simple, pour perpétuer l’ambiance du restaurant d’origine. A force de travail et d’obstination, il transforme un désert gastronomique en destination recherchée par les gastronomes du monde entier, curieux de goûter à sa cuisine de terroir qui marie produits de la mer et de la terre. « Les premières années, on a fait du business ; après, j’ai fait de la cuisine, et maintenant je pratique ma propre philosophie : ne pas séparer la simplicité de l’émotion et raconter l’île dans mes plats », ajoute-t-il. Sa cuisine se veut vivante au sens propre : la plupart des poissons, crustacés et coquillages arrivent vivants au restaurant, où ils sont placés dans des viviers, avant d’être tués selon la méthode japonaise ikejime, au lieu d’être laissés à l’agonie. « C’est grâce au chef Toru Okuda que j’ai appris à tuer proprement les poissons. Il m’a enseigné l’art de la découpe à la japonaise et le respect du produit. Avec l’attention et le soin qu’on met à le cuisiner, le poisson n’est pas mort pour rien. » Même souci pour les légumes, qui proviennent, pour la plupart, de son potager, où il aime se ressourcer après le service.
Désigné « Grand chef de demain » par Gault & Millau en 2008, il reçoit sa deuxième étoile en 2013. Mais ce qui lui apporte une clientèle internationale, c’est un épisode de la série documentaire « Chef’s Table » qui lui est consacré sur Netflix. « Notre insularité, qui a été un handicap, est aujourd’hui une force. L’émission nous a énormément boostés et des clients viennent de Californie, de Louisiane ou du Danemark pour goûter ma cuisine. » Un long voyage, pour certains, qui a poussé Alexandre Couillon à ouvrir cinq chambres d’hôtes dans une maison attenante. Aujourd’hui, le jeune chef s’attelle à transmettre sa philosophie. « Dans l’équipe, nous avons des jeunes venus de partout : de Taïwan, du Japon, des États-Unis, du Danemark… Mon plus beau cadeau, c’est quand ils repartent chez eux et qu’ils revendiquent leur formation ici. C’est génial ! »
La Marine
5, rue Marie‑Lemonnier, Noirmoutier-en-l’Ile (Vendée)
Tél. +33 (0)2 51 39 23 09
www.alexandrecouillon.com
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