Voyage
Barbe au cordeau et tee-shirt de créateur : les habitants de Shoreditch cultivent un petit air de famille avec ceux de Brooklyn, du Mitte berlinois ou du 11e arrondissement parisien. Comme eux, ils ont choisi de mettre cap à l’est, dans le sillage du microcosme alternatif. Des arguments qui permettent a Shoreditch de se hisser à la première place du classement des quartiers favoris de la rédactions ! Le classement complet à retrouver dans le numéro spécial 5 ans de The Good Life.
Coincé entre la City et le parc olympique, l’East End de Londres est une vaste zone qui englobe plusieurs quartiers, de Spitalfields jusqu’à Stepney. Sous le règne de Victoria, les bourgeois venaient s’encanailler dans ce ramassis de taudis, de tavernes et de maisons closes où sévissait Jack l’Éventreur. Il y a vingt ans encore, personne n’osait s’aventurer à Shoreditch – le nom signifierait « fosse d’égout », en référence au marécage qui bordait l’ancienne cité de Londres –, un no-man’s land peuplé de zonards et de junkies. Mais, comme dans toutes les capitales du monde, l’escalade du prix des loyers a obligé les Londoniens à pousser les murs.
Selon le rituel, les artistes ont joué les têtes de pont : Alexander McQueen fut l’un des premiers à poser le regard, il y a une dizaine d’années, sur les usines de brique décaties, tandis que Jay Jopling lançait Damien Hirst dans sa galerie White Cube d’Hoxton Square. Puis vinrent Gilbert & George, Tracey Emin… Suivis par une foule d’artistes, de créateurs, de pubards et de petits génies du web. Les murs léprosés se sont couverts de street-art, tandis que le rond-point d’Old Street devenait le Silicon Roundabout, sorte de Silicon Valley urbaine qui a commencé à se développer en 2008, jusqu’à compter près de 2 000 start-up.
Le troisième hub high-tech du globe. Oublié, Jack l’Éventreur., aujourd’hui, c’est le macadam qu’on éventre. Alors attention où l’on met les pieds ! Dans un Londres constellé de grues et d’échafaudages, Shoreditch remporte la palme. Depuis dix ans, les prix de l’immobilier suivent une courbe ascendante. Réhabilitations d’usines et d’entrepôts se bousculent : pour un loft, comptez entre 1 et 3 millions de livres. Il y a dix ans, on venait à Shoreditch pour assister aux vernissages et aux soirées. Désormais, les yuppies de la City veulent y vivre. Ils y trouvent des espaces verts, de grandes surfaces habitables, une bonne qualité de vie et des commerces qui leur ressemblent. Les enseignes branchées se serrent maintenant au coude à coude. On commence par prendre son petit déjeuner au Breakfast Club, dans Rufus Street, puis on égrène la rue : un bar à espressos (Allpress), un cinéma-galerie (Aubin and Wills), une quincaillerie chic (Labour and Wait)… Et, bientôt, un Nobu Hotel, attendu pour 2017, du nom du célèbre chef japonais qui s’installe toujours aux meilleures adresses. Le règne du vintage, des magasins hybrides, du néo-industriel, du casual chic.
Success-stories
C’est au cœur de cette plaque tectonique qu’Hassan, Michel et Stefan, un Malais, un Français et un Suisse, ont racheté, en 1996, un vieux pub victorien pour y vivre. Quatre ans plus tard, ils ouvraient au rez-de-chaussée Les Trois Garçons, un restaurant gastronomique à la déco déjantée, puis, dans une rue parallèle, leur bar Loungelover, un coffee-shop mâtiné de boutique d’antiquités des années 60. Ils ont finalement tout revendu pour créer leur propre société de mobilier, incarnant, aux yeux de tous les expats du quartier, le symbole de la réussite dans l’East End. Au nord de la Shoreditch High Street, vers Hoxton, le designer Jasper Morrison, chantre du design supernormal, a installé son studio et ouvert un petit magasin pour y vendre des « choses toutes simples ».
Ce n’est pas l’avis d’un certain Alex, qui, confronté un jour à la difficile mission de trouver une simple serviette de toilette, justement, dont le prix ne le fasse pas tomber à la renverse, a créé le site Normalinshoreditch.com. Il y recense avec humour les dernières adresses où l’on peut encore trouver de vraies choses « normales ». Eh oui ! Même si Shoreditch se vante de préserver sa mixité sociale, le glissement semble inéluctable. L’anguille-purée, plat rituel de la working class, a disparu des menus au profit de la nourriture bio des restaurants bobo d’Hoxton Square. La gentrification est bien là. Trop, déjà ? Les artistes fauchés commencent à loucher vers le nord-est, du côté de Dalston ou d’Haggerston, plus rugueux. La célèbre galerie Rocket, pilier de Shoreditch, vient d’y emménager. L’iconique galerie White Cube a également fermé ses portes pour s’installer à Bermondsey, sur la rive sud de la Tamise, faisant ripper à nouveau le centre de gravité est-londonien : la nouvelle vague semble déjà regarder ailleurs.
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