Voyage
Ce quartier aurait pu être l’emblème de la Cité merveilleuse. Las, le plan imaginé par Lúcio Costa, l’un des pères de Brasília, a pris du plomb dans l’aile. Pourtant, c’est bien Barra qui accueillera le gros des JO.
Barra, ce n’est pas Rio ! C’est ce qu’affirment les Cariocas, ceux qui restent attachés aux quartiers traditionnels de la ville dans une limite qui se situe à l’ouest, à l’entrée du lac de Tijuca. Barra, c’est l’image d’une nouvelle richesse affichée sans complexes, basée sur le modèle américain, et le fruit d’une planification urbaine qui semble dépassée. « Il va falloir, dans les cinquante prochaines années, changer le plan de Lúcio Costa, affirme l’urbaniste Washington Fajardo. Ce modèle, qui était vu comme le Graal et que les gens ont voulu respecter, doit être totalement repensé. Si nous continuons sur ce principe de buildings posés sur un parc, isolés par de grandes avenues, sans espaces publics ni trottoirs et où l’usage de la voiture domine, nous aurons un grave problème. » Lúcio Costa est l’urbaniste qui a conçu, en 1957, le plan en forme d’oiseau de Brasília, une vision avant-gardiste qui, appuyée par les bâtiments de l’architecte Oscar Niemeyer, a propulsé le Brésil dans la modernité.
En 1969, Lúcio Costa propose un plan pilote pour Barra. Il y préconise l’aménagement de grandes avenues, la construction de bâtiments posés au milieu de parcs, à bonne distance les uns des autres, et une mixité entre tours d’habitations, services et maisons individuelles. Son plan visait à créer une urbanisation propice à la croissance, mais aussi à la préservation de l’écosystème si particulier de Barra, constitué d’étangs et de mangroves. Le plan n’est pas strictement appliqué, afin de répondre à la vague de nouveaux résidents des années 80. L’aspect écologique est finalement totalement négligé, les hauteurs limites ne sont pas respectées et le plan, qui reste néanmoins le guide spirituel, génère un front de mer à la Miami, très étalé, avec une collection de bâtiments compilant le meilleur et souvent le pire de l’architecture des quarante dernières années. Du plan futuro‑utopiste de Costa ne subsistent que quelques vestiges, dont l’étrange tour Abraham Lincoln d’Oscar Niemeyer, jamais achevée, qui devait faire partie d’un ensemble de 76 immeubles.
Autre emblème architectural récent : l’imposant bâtiment de la Cité des arts, signé de Christian de Portzamparc et achevé en 2013, seul îlot culturel de Barra, coincé entre un échangeur autoroutier et une gare routière.
La vie à Barra se passe donc entre la plage, qui se déroule sur 18 km au pied des buildings, et une succession de centres commerciaux. « Je vois une grande différence entre la clientèle de Barra et celle des autres quartiers riches de Rio, constate Claude Troisgros, qui possède six restaurants à Rio, dont deux à Barra. Dans notre Brasserie du Village Mall [le plus récent et le plus luxueux des centres commerciaux de Barra, NDLR], ce sont les plats les plus chers et les bouteilles de champagne que les clients commandent sans retenue, alors qu’au Fashion Mall de São Conrado les gens, même très riches, sont plus discrets. »
Au-delà de son image de consommation à l’américaine, de son développement rapide, et en plus d’être le lieu choisi pour l’installation du parc olympique, Barra, qui est aussi un pôle de connexion important vers les régions voisines, doit faire face à de nombreux défis pour le futur : l’étalement urbain, les transports, la pollution des eaux… Et ce, sans planification et dans un contexte politique et social plus qu’incertain.
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