Voyage
C’est une réservation au restaurant Noma, prise plusieurs mois à l’avance, qui a dicté le calendrier de cette visite gourmande. Le principe : découvrir quatre capitales scandinaves et quelques-unes des meilleures adresses gastronomiques du Nord en quatre jours. Et c’est à Copenhague que débute ce voyage.
Jour 1. Paris – Copenhague
Départ très matinal, afin d’embarquer à bord du premier vol SAS à destination de la capitale danoise. A l’arrivée : du vent et de la pluie. Une grisaille qui ne sied pas à Copenhague, qui, sous ce ciel plombé, prend des allures de ville brouillonne. Dans la rue Stroget, piétonnière, on passe, sans transition, d’une boutique de grand luxe à un bazar médiocre pour touristes, et il faut vraiment s’en éloigner pour dénicher les bonnes adresses de la ville. En attendant l’heure du déjeuner, direction Torvehallerne. Ouvertes en 2011 sur une grande place longtemps négligée, ces deux halles abritent désormais une soixantaine de stands alimentaires. Voilà un signe supplémentaire, s’il en fallait, de l’intérêt que les Danois, et les autres, portent aujourd’hui à la gastronomie du Nord. Tout débute en 2004, quand René Redzepi et son partenaire, Claus Meyer, formulent, avec une dizaine d’autres chefs scandinaves (dont le Finlandais Hans Valïmakï et le Suédois Mathias Dahlgren), le manifeste qui pose les bases de la nouvelle cuisine nordique. Les dix préceptes de ce texte sont très simples, et semblent même un peu simplistes à présent, alors que tous les chefs, où qu’ils soient dans le monde, ne cessent d’en prêcher les principes : saisonnalité, fraîcheur, éthique, santé et bien-être, mise en valeur des produits locaux et des traditions culinaires. Mais à l’époque, en 2004 donc, il s’agissait d’une révolution. Les Danois subissaient encore une industrialisation massive de leurs productions alimentaires et une homogénéisation de leur consommation. Et du côté de la restauration haut de gamme, n’y figuraient, hormis de très rares exceptions, que les habituels poncifs français, omniprésents sur toutes les tables gastronomiques. Outre l’engagement total de René Redzepi et de quelques autres dans l’application de ces principes, l’implication des politiciens dans les domaines de l’agriculture, de la santé, de l’éducation ou du tourisme a été déterminante. Ce texte, qui est maintenant peut-être un peu dépassé, voire renié par certains, a été adopté en 2005 par le Conseil nordique des ministres et marque, à n’en pas douter, le début de l’irrésistible ascension de la gastronomie scandinave. Un succès confirmé dans tous les palmarès, dont le fameux et très controversé World’s 50 Best Restaurants, qui a, dès 2009, placé Noma quatre fois au sommet de sa liste et trois fois dans son top 3 (troisième en 2015). Le mouvement est lancé, et d’autres chefs, formés d’ailleurs chez ces pionniers, vont à leur tour ouvrir leur établissement, surfant sur la vague, l’enrichissant avec leur propre interprétation de la cuisine nordique. C’est, par exemple, le cas de Christian Puglisi, un ancien de chez Noma, qui a ouvert Relæ en 2010, puis, juste en face, Manfreds en 2011. Ce sera notre choix pour le déjeuner : un repas léger pris dans un cadre bohème. Cette rue de Norrebro a bien changé depuis que Christian Puglisi s’y est installé. Restaurants, cafés, boutiques de créateurs… la promenade n’est pas longue, mais pleine de très jolies surprises. Le temps de prendre un verre et, à 19 h 30 précises, heure de la réservation chez Noma, le téléphone sonne. « Bonsoir, êtes-vous bien en route ? » s’inquiète notre interlocuteur. L’heure, c’est l’heure, et le retard est très mal vu lorsqu’on s’approche du cercle polaire…
Jour 2. Copenhague – Oslo
Il est encore trop tôt pour profiter de l’excellent – nous a-t-on assuré – petit déjeuner de l’hôtel SP34. Ce sera donc un mauvais café-croissant, vite pris à l’aéroport, juste avant d’embarquer. Une heure plus tard, c’est en rase campagne norvégienne que nous atterrissons. Le soleil, enfin au rendez-vous, embellit un peu plus cette campagne soigneusement préservée, abritant de jolis corps de ferme. Tout d’un coup, la skyline ultramoderne de la ville se dresse devant nous, véritable collage de bâtiments aux lignes audacieuses. Oslo est une ville en pleine expansion, et son architecture le prouve et l’affiche. Ici, l’opéra, dont les pentes aiguës s’inclinent vers l’eau. Là, un peu plus loin, le quartier de Tjuvholmen, surgi du néant de cette ancienne zone portuaire en quelques années à peine… C’est au milieu de ce complexe architectural flambant neuf que se trouve le plus bel hôtel de la ville, The Thief, refuge glam des stars et autres VIP de passage dans la capitale norvégienne. A peine le temps de poser nos bagages. Rendez-vous avec l’un des deux propriétaires du Maaemo, le sommelier Pontus Dahlström. Il s’est installé ici avec le chef Esben Holmboe Bang, en décembre 2010. Ils n’avaient alors que 30 et 32 ans, mais de grandes ambitions, qui ont été récompensées quinze mois plus tard par deux macarons au guide Michelin. L’ascension la plus rapide jamais vue en Scandinavie. « Nous pensions y parvenir en dix ans et, du jour au lendemain, ça a tout changé. Aujourd’hui, 60 % de notre clientèle est étrangère. Oslo n’est pas la Mecque de la gastronomie, c’est même une petite ville à l’écart du circuit. Avant que nous arrivions, il ne s’y passait rien de particulier. Le seul 2-étoiles qui ait jamais existé était Le Bagatelle, du chef Eyvind Hellstrom, un protégé de la nouvelle cuisine française. Du beau travail, mais dans les années 80, il devait tout importer. On ne trouvait rien ici, ni asperges ni topinambours… La Norvège est un pays jeune et était un pays pauvre avant la découverte du pétrole au milieu des années 70. Quand nous avons commencé à devenir prospères, nous étions un peu comme ces nouveaux riches russes. Nous avons voyagé et acheté notre crédibilité en adoptant les cuisines française ou italienne. Et, jusqu’à il y a cinq ou six ans, c’était encore ce qui constituait la gastronomie de cette ville. Et puis, vous oubliez votre propre histoire. Ce que fait Esben, ici, c’est retrouver le patrimoine culinaire de la Norvège et le remettre en valeur. Ce sont d’anciennes techniques de conservation, des ingrédients qu’on ne trouve qu’ici, des recettes qu’on ne peut pas copier, même à Copenhague. Comme le pinnekjott, un gigot de mouton salé, ou le cœur de renne. Il s’intéresse même à ce qui se faisait à l’époque païenne, avant la chrétienté, ce qui donne une très forte identité à notre cuisine. Il faut toutefois être honnête et dire que nous sommes encore une très jeune scène culinaire. Si nous en sommes effectivement une ! »
Jour 3. Oslo – Helsinki
La Finlande ne fait officiellement pas partie de la Scandinavie, qui, au sens le plus strict, ne comprend que la Norvège, la Suède et le Danemark. Mais les affinités sont grandes entre ces pays. D’ailleurs, à Helsinki, la signalétique des rues est écrite aussi bien en finnois (proche de l’estonien et du hongrois) qu’en suédois, et nombreux sont ceux qui parlent les deux langues, officiellement inscrites dans la constitution. La Finlande est un pays jeune. Après avoir été, tour à tour, sous domination suédoise et russe, elle n’a acquis son indépendance qu’en 1917. Socialement et politiquement, ce pays ressemble aux pays scandinaves, alors qu’économiquement il doit transiger avec son voisin russe avec lequel il partage une longue frontière. Passé quelques imposants et très élégants bâtiments de style Jugend, l’Art nouveau à la finlandaise, une éblouissante cathédrale blanche, on tombe sur le restaurant Ask. Une affaire de famille, fondée par un couple, chef et sommelier, qui, malgré sa petite taille, ne manque pas d’ambition et tente de combler le manque de grandes tables dans la capitale. Revenus en 2010 en Finlande après des années passées à l’étranger, Filip Langhoff et Linda Stenman-Langhoff ont d’abord travaillé Chez Dominique, qui a été pendant quinze ans « le » grand restaurant d’Helsinki, seul et unique 2-étoiles de la ville, et qui a fermé en 2013. « Au printemps 2012, nous avons trouvé ce local et nous nous sommes lancés, racontent Filip et Linda. Il y a eu une vague d’ouvertures de restaurants en même temps que nous, mais, depuis deux ans, les choses sont un peu plus difficiles du côté des tables gastronomiques. A cause de la crise. Nous avons perdu un restaurant 2 étoiles, puis un 1-étoile. Notre chance, chez Ask, est que nous n’avons que 26 places. Plus, ce serait difficile à gérer. Dès le début, nous avons concentré notre énergie à nous faire connaître à l’étranger, car, finalement, ce n’est que quand vous êtes reconnus ailleurs que la clientèle locale vous suit. Les Finlandais sont réservés, silencieux, ils n’aiment pas trop parler d’eux. Et il peut être mal vu d’avoir du succès, de le revendiquer. Les autres pays scandinaves sont certainement meilleurs que nous pour assurer leur promotion. » Une modestie également au rendez-vous à l’heure du déjeuner, chez Juuri. Un bistrot coloré et sympathique, plutôt vide en ce milieu de semaine, dont le chef, Jukka Nykänen, un grand gaillard tatoué qui n’est pourtant ni un débutant ni un inconnu, affiche une certaine nervosité face à notre visite. Tout le monde est aux petits soins et semble ravi, quoique surpris de l’intérêt que nous portons à l’endroit.
Jour 4. Helsinki – Stockholm
Elégante, classique, hautaine, parée de sa riche histoire, Stockholm est un peu l’aristocrate de la Scandinavie. C’est dans l’île de Djurgarden que nous posons nos bagages. Dans ce célèbre parc se trouvent le musée Vasa, le musée Nordiska et même, excusez du peu, le musée Abba. S’y trouve surtout l’une des plus belles surprises de notre voyage : le Prince Van Orangiën, un bateau-hôtel qui nous accueille pour la nuit. Nous devons arriver tôt chez Speceriet, la petite annexe, décontractée mais sans réservation, des fondateurs du très couru Gastrologik. Le chef Jacob Holmström nous suggère qu’après notre déjeuner nous allions visiter le quatrième étage de NK, le grand magasin de Stockholm, afin de jeter un coup d’œil aux divers espaces de restauration récemment ouverts par son confrère, le chef Björn Frantzén. « Jamais il n’y avait eu à Stockholm autant de bons endroits où manger, nous affirme-t-il. Quelle que soit la gamme de restauration, du café au gastro, en passant par le bistrot, la qualité s’est vraiment améliorée. » Les jeunes chefs ont appris en voyageant, comme l’ont fait d’ailleurs Jacob Holmström et Anton Bjuhr avant de revenir et d’ouvrir Gastrologik, puis, rapidement portés par le succès de leur premier restaurant, une deuxième, voire une troisième adresse. Il existe à Stockholm une clientèle tellement exigeante qu’il faut sans cesse innover, surprendre, se réinventer. Comme vient de le faire le doyen de la nouvelle cuisine suédoise, le chef Mathias Dahlgren, en ajoutant à ses deux restaurants, le Matsalen et le Matbaren, une proposition supplémentaire : le Matbordet. C’est à cette table (bordet, en suédois) que se termine ce voyage en cuisine nordique. Sa particularité, et ce dans tous les pays visités, est d’être, plus qu’ailleurs, fortement influencée par le climat. Les hivers longs et froids ont, dans le passé, poussé les populations à préserver au mieux ce que l’été avait eu l’indulgence de leur offrir. Ainsi, fumage, salage, séchage, fermentation et marinades constituent la colonne vertébrale du goût nordique, à laquelle s’ajoutent, en signe de modernité, la légèreté des préparations, le jeu des textures et une grande place faite aux végétaux et produits de la mer. En vérité, il faudrait donc refaire cette tournée tous les deux mois pour suivre au mieux le rythme des produits et des saisons, et saisir toutes les facettes de cette cuisine nordique. Dur d’être good food addict.
Y aller
Avec sa marque Scanditours, spécialiste des pays nordiques, Kuoni propose un circuit individuel « Les capitales nordiques » de 7 jours / 6 nuits. Pour profiter du charme des cités scandinaves au gré de croisières et d’un trajet en train. A partir de 1 420 € pour 4 nuits à l’hôtel SP 34 à Copenhague, à l’hôtel The Thief à Oslo, à l’hôtel Klaus K à Helsinki, et à l’hôtel-bateau Prince Van Orangiën à Stockholm.