Voyage
Dominant la baie de Palma, cet ancien fort militaire abandonné a repris vie grâce à la volonté d’un architecte amoureux du lieu et est devenu le gardien d’un art de vivre méditerranéen dans lequel le luxe privilégie avant tout la discrétion, voire le secret.
Majestueux, grandiose, spectaculaire… Alors que les superlatifs se bousculent dans notre tête au moment de franchir l’enceinte haute de dix mètres, une armée d’employés s’empare de nos bagages. « Bienvenue chez vous, à Cap Rocat. » Les flambeaux brûlent le long de l’allée magistrale qui nous mène tout droit dans l’antre de ce fort mythique, pendant que les remparts, couleur miel, reflètent les derniers rayons de ce soleil de mai, comme s’ils nous avaient poliment attendus pour s’éclipser. En toile de fond, omniprésente, la mer. On a beau avoir été prévenu : la surprise reste absolue en découvrant cet ensemble inclassable, hors norme, hors d’âge, fruit des vestiges de l’histoire et de la puissance esthétisante de son architecte et propriétaire, Antonio Obrador. Héritier de l’une des plus grandes familles majorquines, Antonio Obrador a fait ses premiers pas dans la cour de ce fort, alors désaffecté, des environs de Palma. « Nous vivions à quelques mètres d’ici, en famille. Je me souviens avoir toujours été fasciné par cette forteresse entourée de barbelés. Le jour où j’ai appris que la concession était disponible, j’ai foncé. C’était un immense privilège de mettre en pratique ce que j’avais appris dans un endroit auquel j’étais si attaché, qui plus est avec une liberté totale », se souvient l’architecte. De l’imagination, il va lui en falloir pour faire de cette ancienne base militaire un paradis pour voyageurs esthètes et fortunés. Mais le lieu qu’il découvre présente un ensemble en ruine, laissé à l’abandon depuis plus d’un siècle. Certes, l’emplacement est unique, inestimable même, dominant la baie de Palma et disposant d’un accès direct à la mer. Certes, les dimensions sont grandioses et les volumes vertigineux, mais les vestiges qui se présentent à lui sont dignes d’un sombre roman d’époque. Pont-levis, coursives, douves, meurtrières, canons, tout y est… Des éléments exceptionnels pour n’importe quel féru d’histoire, mais moins engageants pour de futurs clients venus s’y ressourcer.
Le luxe à l’état pur
« Avant de signer, je me suis assuré que rien de grave n’était arrivé entre ces remparts, et j’ai découvert que sous ses allures de guerrier, le fort avait été vierge de toute attaque. C’était fondamental pour moi », poursuit Antonio Obrador. Bâtie au XVIIe siècle et remise en service deux cents ans plus tard pour protéger l’île des menaces d’invasion répétées, la forteresse – avec ses 27 canons pointés vers la mer et ses 2 000 militaires – avait su dissuader les envahisseurs les plus motivés sans la moindre passe d’armes. Aucune mauvaise onde à l’horizon, la voie était libre pour convertir ce front martial et glacial en somptueux havre de paix.
« A notre époque, le seul luxe est l’authenticité », écrivait déjà Henry de Montherlant. Quatre-vingts ans plus tard, Antonio Obrador remet la maxime au goût du jour. « Cap Rocat dégageait une telle puissance, une telle aura, que j’ai voulu préserver son intégrité jusque dans les moindres détails, en jouant simplement sur les matériaux et sur le matériel pour en faire le cinq-étoiles que j’imaginais. » Alors que les douves se muent en allées royales arborées plongeant vers la mer, les immenses dortoirs d’antan, bardés de colonnes et d’alcôves, abritent désormais des petits salons cossus où chacun peut se prélasser comme chez soi, à l’abri des regards. Plus étonnants, les abris à canons et à munitions, disséminés d’un bout à l’autre de l’immense propriété, sont conservés et métamorphosés en suites nuptiales, avec lit à baldaquin et tentures dignes du Moyen Age. Même le mirador retrouve une vocation en devenant le temple du massage le plus prisé de l’île. En contrebas, la crique limpide reste, elle aussi, dans son plus simple apparat, tout juste agrémentée d’une basique échelle tombant à pic vers les eaux turquoise qui bordent la forteresse. Inutile d’en faire plus, l’essentiel est là. Mais qu’on ne s’y trompe pas, si on se sent si bien à Cap Rocat, c’est que derrière ce dénuement apparent se joue une infinité de détails qui font toute la différence. Tissus précieux dénichés aux quatre coins du monde, lits extérieurs en bois massif pour contempler les couchers de soleil, meubles choisis un à un mêlés aux photos d’art moderne de la collection personnelle d’Antonio Obrador : l’empreinte perfectionniste de l’architecte est partout. « Cet hôtel, c’est son bébé, confie un employé. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’on le croise au dîner, incognito, parmi les hôtes. »
Un havre de paix pour hôtes privilégiés
A Cap Rocat, inutile de chercher de la compagnie pour partager votre gin-tonic au comptoir, vous ne croiserez personne. L’hôtel, grand comme un village, n’accueille que 50 hôtes au grand complet, le luxe ultime. Lézardant entre deux haies taillées sur mesure au bord de la somptueuse piscine, dînant aux chandelles, complices, entre deux colonnes tricentenaires, voire retranchés dans leur suite en forme de bunker doté de terrasses privatives surplombant la mer, les rares chanceux à séjourner à Cap Rocat ne se hasardent pas dans les coursives, laissant le champ libre à la centaine d’employés – deux par client – chargés d’assouvir dans la seconde les moindres attentes. « En réalité, chacun des souhaits des clients doit même être devancé par notre équipe, pour que nos visiteurs se sentent comme chez eux », explique Samuel Alvarez, le directeur commercial du groupe Marugal, qui assure la gestion des lieux, et manager en chef de l’hôtel. Une organisation quasi militaire qui a ses avantages… et ses inconvénients. A commencer par le bal incessant et silencieux des buggys électriques envoyés, chaque minute, au secours d’un client en mal de gel douche. A tel point qu’on aimerait parfois les oublier… Un comble !
Adresse
Cap Rocat
Ctra. d’Enderrocat, s/n,
Cala Blava, Mallorca.
Tél. +34 971 74 78 78.
www.caprocat.com