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Hangzhou, ville modèle ?
Pendant vingt-trois années consécutives, Hangzhou a connu des taux de croissance à deux chiffres.
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The Good Business

Hangzhou, ville chinoise modèle ?

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Cette ville secondaire chinoise pourrait être aussi banale que les autres. Ce serait sans compter sur sa richesse historique, un site naturel exceptionnellement préservé et une économie ultra-dynamique. La preuve : c’est ici qu’a été fondé et que siège encore le géant de l’Internet chinois, Alibaba.

Hangzhou en chiffres

  • Superficie : 16600 km2 (158 fois Paris), soit la 4e aire urbaine de Chine.
  • Population permanente : 8,8 M d’habitants.
  • PIB/ habitant : 12477 $ (contre 100000 $ pour Paris).
  • Taux de croissance du PIB : +8% en 2013.
  • Entreprises étrangères : 10 000 (dont 80 sont classées par Fortune 500).
  • Lignes de métro : Trois lignes, la première ouverte en 2012.
  • Nombre de voitures : 80 000 nouvelles immatriculations autorisées par an, par quotas.
  • Nombre de touristes : 67 M, dont 3 M d’étrangers.
  • Immobilier/ prix du m2 à la location : 116 Yuans (15 €), en moyenne, le mètre carré.

« Même moi, je m’y perds à chaque fois ! » Cheng Xin Dong a beau avoir passé, entre l’école primaire et l’université, dix années de sa jeunesse à Hangzhou, grosse agglomération de 9 millions d’habitants située à 170 km au sud‐ouest de Shanghai, ce commissaire d’exposition et galeriste de 51 ans peine à reconnaître la ville. A l’époque, le jeune Cheng et sa famille, comme la plupart de leurs voisins, n’avaient pas l’eau courante à la maison. Ils devaient aller à pied puiser l’eau directement dans les xiaoqi, ces canaux qui avaient déjà fasciné Marco Polo en son temps, premier Européen à découvrir cette Venise chinoise, au XIIIe siècle. Aujourd’hui, Hangzhou est, à première vue, une banale ville « secondaire », comme il en existe tant ailleurs en Chine. De vieux immeubles noircis par la pollution coexistent avec des centres commerciaux étincelants. Dans la banlieue, sur la route de l’aéroport, des grues par dizaines, perchées sur des tours en construction, donnent une idée de la frénésie immobilière. En réalité, Hangzhou est unique. La capitale provinciale du Zhejiang est en effet l’une des rares métropoles chinoises à avoir réussi le double pari de combiner croissance économique et préservation de l’environnement. « Personne ne peut répliquer le succès de Hangzhou, estime Zhao Wei, professeur de finance à l’université du Zhejiang, l’une des cinq meilleures de Chine. Hangzhou est très particulière, de par son environnement. Certaines villes chinoises ont des lacs ou des rivières, mais pas de montagnes, ou inversement. Nous, nous avons les deux ! »

Hangzhou a réussi le double pari de combiner croissance économique et préservation de l’environnement.
Hangzhou a réussi le double pari de combiner croissance économique et préservation de l’environnement. Patrick Wack

Une croissance à deux chiffres
Est‐ce ce cadeau de la nature qui lui a permis de se transformer si vite ? Pendant vingt‐trois années consécutives, Hangzhou a connu des taux de croissance à deux chiffres. Son PIB a été multiplié par quatre en dix ans et continue de croître plus rapidement que la moyenne nationale. Située sur le delta du fleuve Yangzi (ex‐Yang‐Tsé), Hangzhou n’est plus seulement l’arrière‐cour de Shanghai, même si elle continue d’attirer, chaque week‐end, les cols blancs épuisés de la capitale économique chinoise pour une mise au vert. Elle est devenue un centre à part entière pour la manufacture, le tourisme et l’e‐commerce, portée par le succès démentiel du groupe Alibaba, le géant chinois de la distribution en ligne. Cet Amazon chinois, créé en 1999 par Ma Yun, un ancien professeur d’anglais de Hangzhou, a réalisé l’année dernière la plus grosse entrée en Bourse de l’histoire de Wall Street !

Le siège du groupe Alibaba.
Le siège du groupe Alibaba. DR

Alibaba

S’il y a une entreprise emblématique de Hangzhou, c’est bien celle-ci. En quinze ans, Alibaba a détrôné tous les records, jusqu’à réaliser, le 19 septembre dernier, la plus grosse introduction en Bourse de l’histoire, en levant 25 Mds $ à New York. Concurrent d’Amazon, le groupe chinois, né et basé à Hangzhou, est le roi de l’e-commerce en Chine. Il possède plusieurs plates-formes, dont Taobao.com (vente CtoC, consumer-to-consumer) et Tmall.com, sorte de gigantesque centre commercial en ligne pour les marques plus établies. Pas moins de 12000 employés vivent presque en autarcie sur le campus hypersécurisé de Wenyi Xilu, dans la banlieue ouest de Hangzhou. The Good Life a pu y avoir accès. A l’intérieur, dans les six bâtiments de verre, on trouve des salles de réunion, mais aussi des billards et des appareils de musculation, dont l’accès est entièrement gratuit, une librairie, un Starbucks… On se croirait chez Facebook ou Google, s’il n’y avait pas ce petit lac où nagent les cygnes de Ma Yun, le fondateur. « Alibaba, ce n’est pas une entreprise, c’est un phénomène de société », affirme Beckie Wang, jeune attachée de presse au look preppy et à l’anglais parfait.

Chose rare en Chine, la réussite économique de Hangzhou s’est faite tout en respectant l’environnement. Dernier exemple en date : encouragée par le succès du Vélib’ local, la mairie a commandé, en mai 2014, 2000 bus et 1000 taxis électriques à BYD, constructeur automobile chinois spécialisé dans les véhicules propres. Que du nec plus ultra pour préserver les avenues du centre‐ville, propres et arborées. Ici ou là, de gigantesques platanes forment une voûte de verdure rappelant le quartier de la concession française de Shanghai, voire les villes européennes. « J’ai vécu vingt-sept ans à Paris et je retrouve ici le même feeling. Il y a, à Hangzhou, des endroits magiques », estime François Guillocher, directeur général de l’hôtel Sofitel Hangzhou Westlake. « C’est la ville la plus agréable de Chine », confirme de son côté Yuan Yuan. Ce peintre de 41 ans a déjà passé plus de trente ans à Hangzhou et n’envisage pas de déménager. Diplômé des beaux‐arts de Hangzhou, il travaille avec sa femme, artiste elle aussi, dans une ancienne usine reconvertie en un énorme studio de 600m2 de surface et 11 mètres de hauteur sous plafond. Assis sur un tabouret, les doigts serrés autour d’une tasse de thé, il poursuit : « Les vieux faubourgs de Hangzhou ont été réaménagés avec soin. Contrairement à Pékin, vitrine du régime, où les autorités ont beaucoup rasé, ici, les dirigeants connaissent l’histoire de la ville et l’ont bien préservée. »

La ville possède un système de vélos en libre-service qui est le deuxième du monde par sa taille.
La ville possède un système de vélos en libre-service qui est le deuxième du monde par sa taille. Patrick Wack

Le paradis du tourisme
Si Hangzhou a redoublé d’efforts pour protéger son environnement, c’est qu’elle vit essentiellement du tourisme. En 2013, 64 millions de Chinois et 3 millions de visiteurs étrangers ont fréquenté ce petit paradis urbain emblématique du Jiangnan, littéralement la région « au sud du fleuve ». Une manne financière qui a  généré 20 milliards d’euros de revenus en 2013, faisant du tourisme le deuxième plus gros secteur d’activité de la ville, après les industries culturelles. C’est le fameux lac de l’Ouest (Xihu, en mandarin), poumon vert en plein cœur de la cité, qui attire comme un aimant ces hordes de visiteurs. Mythifié par les poètes et les peintres classiques chinois, il s’étend à perte de vue, sur 6,5 km2. Classé en 2011 par l’Unesco, le lac de l’Ouest est préservé par la mairie comme un véritable joyau. On en fait le tour exclusivement à pied, en suivant les saules pleureurs. Les pagodes, elles, s’avancent, majestueuses, dans l’eau, au milieu des fleurs de lotus. En arrière‐plan, les collines encadrent Hangzhou sur son flanc ouest. Lieu de villégiature de la nomenklatura communiste depuis Mao Zedong, cette mer intérieure abrite aussi, sur ses rives, d’anciennes et élégantes villas aujourd’hui reconverties en maisons de thé. « Ici, c’est comme en Europe. Les habitants de Hangzhou sont très attachés à l’équilibre entre travail et loisirs », témoigne Lu Jian, une élégante quinquagénaire mariée à un réalisateur chinois, venue justement ce soir-là dîner avec une amie au bord du lac. Un peu plus loin, sur Sudi, longue digue de 3 km traversant le lac du nord au sud depuis le XIe siècle, des joggers refont leurs lacets au milieu des touristes à peine débarqués des pleasure boats, ces embarcations de croisière qui sillonnent le lac.

Hangzhou a réussi le double pari de combiner croissance économique et préservation de l’environnement.
Hangzhou a réussi le double pari de combiner croissance économique et préservation de l’environnement. Patrick Wack

Séduire les entreprises
Comme le lac Xihu, les collines de Hangzhou donnent de l’oxygène à la ville. Pour autant, la ville n’échappe pas aux plaies de l’urbanisme à la chinoise : étalement géographique, pollution, embouteillages monstres aux heures de pointe. Malgré tout, on y respire mieux qu’ailleurs. En plein centre, la montagne Baoshe rappelle les sentiers de randonnée du Peak, à Hong Kong, avec ses palmiers, ses bambous et sa végétation luxuriante. Au sommet, un monastère taoïste, ancien jardin impérial sous la dynastie des Song du Sud (1127‐1279) – dont Hangzhou fut la capitale pendant plus de cent cinquante ans –, vit caché derrière ses hauts murs jaunes ondulant telle la queue d’un dragon. Mais Hangzhou veut être davantage qu’un lieu de villégiature. Et cela d’autant plus que le tourisme de masse commence à peser sur l’environnement local. « Être exclusivement une ville touristique n’est jamais très sain. La municipalité veut clairement trouver le bon équilibre », rappelle François Guillocher. Tout en préservant son art de vivre, Hangzhou cherche donc aussi à attirer les entreprises. D’où cette grande zone économique sur la route de l’aéroport, à une heure de taxi. « Avec seulement un cent-cinquantième du territoire de Hangzhou, nous réalisons 12% du PIB », lance fièrement Wang Yongfang, l’un des responsables de la Hangzhou Economic and Technological Development Area (HEDA). Plus de 800 entreprises étrangères y ont élu domicile. « En 2012, Ford a installé ici sa deuxième plus grosse usine en Chine », rappelle l’officiel de 43 ans, levant à peine les yeux du script préparé par ses deux collaborateurs, assis à côté. Lancée en 1993 avec le soutien direct du gouvernement central, la zone a tout fait pour séduire les grands noms du business. L’impôt sur les sociétés y est plus bas (15%, contre 25% dans le reste du pays) et les prix des terrains y sont plus abordables. « Ils valent quatre à cinq fois plus aujourd’hui », confie un industriel européen implanté dans la HEDA depuis 2007. La zone subventionne également à hauteur de 14% les investissements dans les actifs immobiliers (entrepôts, équipements, etc.) réalisés par ses locataires.

Le train à grande vitesse « Harmonie » relie Hangzhou à Shanghai en 45 minutes.
Le train à grande vitesse « Harmonie » relie Hangzhou à Shanghai en 45 minutes. Patrick Wack

Portefeuilles internationaux
Retour en centre‐ville. Dans son bureau, le professeur Zhao Wei poursuit son panégyrique. « La grande problématique des riches Chinois, aujourd’hui, est de trouver une ville agréable pour y vivre. Hangzhou a tous les atouts pour cela. » De nombreux patrons chinois, dont Ma Yun, ont, de fait, élu domicile à Hangzhou. Les investisseurs étrangers y prospectent également, comme Bernard Arnault, patron du groupe LVMH et première fortune de France. Selon les informations obtenues sur place par The Good Life, le troisième homme le plus riche d’Europe est venu à Hangzhou en juin 2014. Intéressé, dit‐on, par l’Amanfayun, resort hôtelier de luxe comprenant 47 cours carrées au milieu des champs de thé… Mais les portefeuilles internationaux arrivent tout de même au compte‐gouttes. Et Hangzhou, malgré tout, reste encore très provinciale par rapport à Shanghai, la plus cosmopolite des mégapoles chinoises. « Ici, mes dîners clients sont toujours à 17h30 ! » sourit Olivier Hervet, jeune galeriste de 28 ans. Selon lui, les autorités locales n’ont pas encore pour ambition de faire de Hangzhou un grand centre d’art international. « Mais le jour où Ma Yun décidera d’ouvrir un musée, la mairie sera à fond derrière lui », affirme‐t‐il. L’autre épine dans le pied de Hangzhou est son réseau de transports. « L’année dernière, Hangzhou était la ville la plus embouteillée de Chine », rappelle Xu Cao, chauffeur de taxi. Derrière la vitre de sa voiture, d’imposants excavateurs montés sur des chenilles creusent la seconde ligne du métro, au beau milieu de la nuit. La première a ouvert en 2012. Sans convaincre totalement les habitants de Hangzhou. « Personnellement, je ne l’ai encore jamais utilisée. Les sols sont humides, à cause du lac. Ce n’est pas sûr », explique Lu Jian, qui préfère de loin sa belle cylindrée aux couloirs souterrains du nouveau métro de Hangzhou.

En 2013, Hangzhou était étiquetée deuxième ville la plus embouteillée de Chine.
En 2013, Hangzhou était étiquetée deuxième ville la plus embouteillée de Chine. Patrick Wack

3 questions à Olivier Hervet

Codirecteur de la galerie HDM à Hangzhou, spécialisée dans l’art contemporain chinois.

Olivier Hervet

The Good Life : Pourquoi avoir installé votre galerie à Hangzhou ?
Olivier Hervet : Après avoir lancé, à Pékin, une première galerie d’art contemporain chinois, nous avons voulu, mon associé et moi, en ouvrir une autre dans une ville chinoise « secondaire ». Nous avons réalisé qu’il existait en Chine des villes de 8 ou 10 millions d’habitants sans aucune galerie ! Le choix de Hangzhou s’est vite imposé. D’une part, c’est un centre culturel très ancien. D’autre part, son académie d’art forme des artistes très reconnus aujourd’hui. L’idée, c’était d’être à la fois proche de la production artistique et des collectionneurs.
TGL : Qu’ont en commun les artistes de Hangzhou ? En quoi sont-ils différents de ceux de Pékin ou de Shanghai ?
O. H. : Hangzhou, c’est une académie presque « révolutionnaire ». Elle a formé notamment Zao Wou-ki, l’un des tout premiers artistes contemporains chinois. Zhang Peili, le premier vidéaste chinois, ou l’artiste performeur Qiu Zhijie, un autre précurseur, sont aussi diplômés des beaux-arts de Hangzhou. Les étudiants, ici, essaient de sortir de l’art figuratif. Contrairement aux artistes formés dans les académies Lu Xun, à Shenyang, dans le nord-est de la Chine, ou CAFA, à Pékin, ceux de Hangzhou produisent plutôt de l’abstrait et du conceptuel.
TGL : Comment voyez-vous le développement de la galerie ?
O. H. : Mon but, c’est que la galerie soit pérenne, et qu’elle devienne aussi un lien pour les galeristes occidentaux qui s’intéressent de plus en plus aux artistes contemporains chinois. Je veux être leur point d’appel. Nous avons déjà coorganisé l’exposition d’un artiste de Hangzhou, qui se tiendra à Lausanne en février prochain. J’espère que ce sera le premier pas vers une longue série de coopérations à l’international.

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