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Emirates, l'invité surprise
Emirates possède 57 Airbus A380. L’avionneur lui en livre actuellement un tous les mois.
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The Good Business

Emirates, à la conquête du leadership mondial

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En moins de trente ans, Emirates a conquis le leadership mondial du long‐courrier. Alors que les « vieilles » compagnies aériennes historiques, fragilisées par la crise économique et concurrencées par le low‐cost se battaient pour tenir leur rang, la jeune compagnie de Dubaï pulvérisait des records de croissance, s’imposant chaque année un peu plus dans l’aérien mondial. Elle poursuit aujourd’hui sa course effrénée et milite pour une plus grande libéralisation du ciel. Portrait de celle qui remet en question les équilibres et les modèles économiques traditionnels d’un secteur porteur et stratégique.

Chiffres clés 2013

  • Chiffre d’affaires : 22,5 Mds $.
  • Bénéfices nets : 887 M $.
  • Taux de remplissage des vols : 80 %.
  • Nombre de passagers transportés : 44,5 M.
  • Nombre d’employés : 48 000.
  • Nombre de destinations : 137, dans 77 pays.

Emirates fait-elle peur ? Certains pays, en tout cas, prennent très au sérieux la menace que pourrait faire peser cette nouvelle puissance de l’aérien sur l’avenir de leurs flottes nationales. La France n’a‐t‐elle pas refusé, en octobre 2014, la demande d’augmentation de trafic de la compagnie nationale dubaïote ? Des négociations sûrement très délicates quand on sait qu’Emirates est devenue le premier client d’Airbus et induirait, selon Dubaï, 14 500 emplois sur le territoire français. Ce dernier rempart réglementaire freinera‐t‐il encore longtemps la formidable ascension d’Emirates ? Les compagnies européennes, plombées par une lourde fiscalité et des organisations devenues moins compétitives, ont raison de craindre cette nouvelle concurrente issue des pays du Golfe.

Son modèle économique innovant, en rupture totale avec celui des compagnies historiques, tourne résolument une page de l’aérien. Née il y a trente ans avec l’essor de
la mondialisation, la compagnie est devenue le fer de lance de la politique économique de Dubaï. Ce petit émirat, moins bien doté que ses voisins en richesses pétrolières et gazières, a choisi d’investir massivement dans le tourisme et l’aérien. Le marché offrait alors de belles perspectives à un pays situé au carrefour des nouvelles forces économiques mondiales, le dynamisme des pays émergents déplaçant les flux commerciaux. Escale parfaite sur les routes de plus en plus fréquentées de l’Asie, de l’Amérique du Sud et de l’Afrique, le hub de Dubaï enregistre plus de 66 millions de passagers chaque année. Il faut dire que ce riche actionnaire n’a pas lésiné sur les moyens pour offrir à sa compagnie l’environnement fiscal, social et logistique idéal pour challenger les leaders. Le terminal entièrement dédié à l’A380, inauguré en 2013, aurait ainsi englouti 2,8 milliards d’euros. Et ces infrastructures aéroportuaires modernes et fonctionnelles bénéficient de redevances très faibles. Résultat : cette structure de coûts ultracompétitive permet à Emirates d’offrir aux clients un rapport qualité‐prix imbattable.

La flotte d’Emirates à l’aéroport de Dubaï. Le terminal que la compagnie y a inauguré en 2013 pour accueillir ses A380 a coûté 2,8 milliards de dollars.
La flotte d’Emirates à l’aéroport de Dubaï. Le terminal que la compagnie y a inauguré en 2013 pour accueillir ses A380 a coûté 2,8 milliards de dollars. DR

Trente ans plus tard, Dubaï ne regrette pas son placement : la capitale accueille désormais 13 millions de visiteurs par an et en attend plus de 20 millions en 2020, pour l’Exposition universelle. Mieux, la rentabilité de sa compagnie aérienne a toujours été au rendez‐vous. Avec un solde de trésorerie de près de 7,5 milliards de dollars, en hausse de 53%, Emirates n’a aucun mal à convaincre les banques de la suivre. La première des compagnies du Golfe investira ainsi plus de 4 milliards de dollars en 2014 pour continuer de croître, d’augmenter sa flotte et d’ouvrir de nouvelles lignes. La réussite insolente d’Emirates dérange, et ils sont nombreux à pointer du doigt les avantages concurrentiels fournis par le gouvernement de Dubaï. Aussi réelles soient-elles, ces facilités n’ont rien à voir avec d’éventuelles subventions ou rabais sur le prix du carburant dont se défend régulièrement la compagnie, qui joue la transparence en publiant des comptes dûment audités.

Le lounge de la compagnie à l’aéroport de Dubaï compte parmi les mieux cotés dans le monde, pour son confort et pour la qualité de ses services.
Le lounge de la compagnie à l’aéroport de Dubaï compte parmi les mieux cotés dans le monde, pour son confort et pour la qualité de ses services. DR
Le lounge de la compagnie à l’aéroport de Dubaï.
Le lounge de la compagnie à l’aéroport de Dubaï. DR

Audace, agilité et efficacité
La clé du succès d’Emirates repose aussi sur une stratégie audacieuse très offensive. Spécialiste du long‐courrier, la compagnie a dès le début misé sur les marchés asiatiques et australiens, en utilisant jusqu’au bout la logique du transit, le fameux hub, inventée par les Américains au début du boum du marché aérien. Emirates cherche à occuper rapidement des terrains encore vierges. Pour cela, il lui faut une flotte importante, constituée de gros porteurs neufs, donc moins gourmands en carburant et en coûts d’exploitation. La compagnie recrute des managers expérimentés et met en place une gestion du trafic et des opérations très efficace. A partir de ces fondamentaux, Emirates innove dans ses services à bord, au sol, mais aussi en termes d’ouverture de lignes. Par exemple, celui qui est devenu le premier transporteur long‐courrier depuis l’aéroport de Lyon s’attaque de plus en plus aux destinations dites classiques tout en continuant de défricher de nouvelles routes encore peu exploitées.

3 questions à Thierry Aucoc

Vice-président d’Emirates, responsable des activités commerciales pour l’Europe et la Russie. Il a fait toute sa carrière dans
l’aérien, chez Air France et Alitalia, avant de rejoindre Emirates en 2011.

Thierry Aucoc

The Good Life : En 2013, Emirates a encore connu une croissance soutenue, de 17%. Ce dynamisme va-t-il se poursuivre ?
Thierry Aucoc : L’évolution du transport aérien promet encore de très belles opportunités dans les années qui viennent. Alors que la croissance du marché européen stagne autour de 1%, le marché asiatique se développe à un rythme proche de 7%. Emirates est bien placée pour capter ce nouveau trafic. Notre stratégie d’ouverture de lignes ne faiblit donc pas : de 10 à 15 nouvelles routes chaque année, aussi bien sur des destinations classiques, comme Bruxelles ou Oslo lancées ces derniers mois, que sur d’autres, plus innovantes, comme au Nigéria ou au Pakistan.
TGL : Quels sont les enjeux de cette stratégie offensive ?
T. A. : Pour accompagner cette forte croissance, nous devons augmenter notre flotte d’environ 15% chaque année. Nous disposons aujourd’hui de 231 appareils et nous en avons commandé 290. Airbus nous livre un A380 par mois ! Nous devons investir constamment, d’autant plus que nous n’utilisons pas le système des alliances pour augmenter notre trafic. Il nous faut également recruter beaucoup – 5000 navigants chaque année, ainsi que des experts dans toutes les fonctions de l’entreprise –, et gérer nos compétences dans un contexte de développement rapide. Nous avons fortement investi dans la formation et nous proposons des programmes de développement de carrière. La marque Emirates constitue un véritable atout en RH, capable d’attirer des talents : nous recevons plus de 100000 candidatures par an !
TGL : Comment pensez-vous intégrer le digital dans votre stratégie commerciale ?
T. A. : Le digital nous permet de mieux connaître nos clients. Il peut être très utile dans nos programmes de fidélisation et optimiser l’impact de nos outils de communication. Ainsi, grâce à notre portefeuille de sponsoring, nous pouvons offrir à nos clients des places à un match ou leur proposer une destination en fonction de leurs goûts sportifs. L’idée est de créer une communauté, d’inspirer nos clients et de personnaliser nos services. Le digital  s’inscrit bien dans cette logique. Nous y travaillons.

Bien qu’elle ait très rapidement atteint la taille critique, Emirates garde un certain esprit start‐up, réinvente les codes de la communication. Qui d’autre aurait pu s’offrir un lounge-bar identique à celui de ses A380 au Parc des Princes, à Paris, où joue l’équipe du Paris Saint‐Germain, qu’elle sponsorise depuis 2005 ? Sa stratégie d’envergure dans le sponsoring sportif montre bien que l’audace paie.

La guerre des maillots

En moins de dix ans, les compagnies aériennes du Golfe sont devenues les déesses des stades de football, utilisant avec maestria le sponsoring sportif pour accélérer leur stratégie d’internationalisation. Parce que pour ces jeunes compagnies ambitieuses, le sponsoring sportif représente un outil marketing redoutable pour séduire une clientèle dans tous les pays du monde. Emirates l’a compris avant les autres et joue aujourd’hui en première division dans tous les sports. La compagnie a constitué son portefeuille de sponsoring dès 1987. En 2004, elle signe avec Arsenal le plus gros contrat de l’histoire du football anglais, donnant même son nom au fief des Gunners à Londres : Emirates Stadium ! Emirates dépenserait près de 3 % de son chiffre d’affaires dans plus de 450 événements sportifs chaque année, couvrant toutes les disciplines depuis le cricket, en Asie, jusqu’au golf, pour atteindre les voyageurs CSP+, en passant, plus récemment, par la formule 1. Sa stratégie tient autant du lobbying auprès des autorités, quand elle sponsorise le Milan AC, propriété de Silvio Berlusconi, que de la campagne de publicité d’envergure à travers les retransmissions audiovisuelles des matchs. Rodée, la première compagnie du Golfe peut aujourd’hui développer des actions de communication sur les réseaux sociaux, ciblant et démultipliant ainsi les effets de ses investissements dans le sponsoring sportif.

Disposant aujourd’hui d’une arme redoutable, Emirates va pouvoir déployer de nouvelles campagnes de communication plus ciblées et plus communautaires. Cette jeune compagnie pourrait bien être l’une des premières à entrer dans l’ère du marketing digital. Et il se pourrait alors que son ambition de devenir numéro un mondial se réalise plus vite que prévu… Incroyable !

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