Horlogerie
Hubble, le télescope spatial mythique, et son successeur, James Webb, ne sont pas que des bêtes de science.
Grâce à la redoutable machine à communiquer de la Nasa, les images des télescopes Hubble et James Webb bénéficient d’une diffusion mondiale, faisant d’eux des icônes, des sciences symbols.
Des reliefs accidentés dans des tons ocre et violacés… On se croirait dans le canyon du Colorado, si ce n’était le terme choisi par la Nasa pour son communiqué : « falaises cosmiques ».
En effet, la photo représente une partie de la nébuleuse de la Carène, un immense nuage de gaz et de poussière situé à 7 500 années-lumière de la Terre. Elle a été prise par le télescope spatial James Webb (JWST) qui, l’été dernier, a livré ses premiers clichés présentés au monde par le président américain.
La netteté époustouflante de l’image révèle de multiples détails. C’est la preuve qu’après son lancement, le 25 décembre 2021, puis son trajet dans l’espace jusqu’à son orbite finale à 1,5 million de kilomètres de la Terre, l’engin fonctionne parfaitement.
« Ce télescope incarne la manière dont l’Amérique est leader du monde : pas par la démonstration de notre pouvoir, mais par le pouvoir de notre démonstration », a déclaré Joe Biden.
Chercher de la vie dans le cosmos
En 1995, deux chercheurs suisses, Michel Mayor et Didier Queloz, découvrent la première planète tournant autour d’une autre étoile que le Soleil. Depuis, près de 4 000 de ces exoplanètes ont été détectées. Le James Webb ne peut pas en faire d’images, mais des spectres, c’est-à-dire la décomposition de leur lumière en autant de raies, qui traduisent la composition chimique. Le télescope spatial a ainsi révélé que l’atmosphère de la planète WASP-96 b est riche en vapeur d’eau. Mais elle ressemble à Jupiter et sa température atteint les 700 °C. En revanche, si on parvenait à détecter un gaz comme l’oxygène dans l’atmosphère d’une planète de taille comparable à la Terre, cela pourrait être un indice – mais non la preuve absolue – qu’un processus biologique est à l’oeuvre.
C’est bien le moins : lancé dans les années90, le programme JWST a pris des années de retard et a explosé son budget, qui culmine à près de 10 milliards de dollars.
Il est vrai qu’il repose sur une prouesse technologique: son miroir de 6mètres de diamètre, trop grand pour entrer dans la coiffe d’une fusée, a dû être plié, puis déployé dans l’espace.
L’ambition scientifique est à la hauteur : voir toujours plus loin dans l’univers, détecter les premières galaxies, nées peu de temps après le Big Bang, il y a 13,7 milliards d’années.
« Plus proche de nous, le télescope permettra d’observer les étoiles en formation, cachées dans les nuages de poussière des nébuleuses, et nous pourrons, par analogie, comprendre comment s’est formé notre système solaire », explique Olivier Berné, de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse.
Hubble , le scénario d'une intrigue à suspens
Conçu pour être réparé sur orbite, le télescope Hubble a été visité à 5 reprises par les astronautes à bord de la navette spatiale américaine. Des missions à haut risque très médiatisées, au point que le télescope, avec sa silhouette de gros bidon muni d’un cache et flanqué de panneaux solaires, est devenu un personnage familier.
Enfin, et ce n’est pas le moins fascinant, cet observatoire hors normes analysera la lumière des exoplanètes pour, un jour peut-être, y découvrir des indices de vie.
Si l’Europe est partie prenante – elle a lancé le télescope avec Ariane 5 et fournit un instrument installé à son bord –, c’est le contribuable américain qui a financé la plus grande partie du projet.
C’est pourquoi le James Webb se veut davantage qu’un instrument scientifique qui livrera sans doute des résultats remarquables, mais peu compréhensibles pour le profane.
C’est une machine à communiquer, qui marche sur les traces de son prédécesseur mythique, toujours actif après plus de trente ans en orbite terrestre : le télescope spatial Hubble.
Chef du service des actualités de Hubble depuis le tout début, Ray Villard raconte : « Hubble, c’est un scénario de film. Au début, en 1990, c’est l’excitation du lancement. Puis survient une tragédie : un problème technique sur le miroir, qui empêche le télescope de voir correctement… Hubble est moqué partout. »
Hubble en quelques dates
- 1993: son miroir défectueux est modifié, lui rendant la vue.
- 1997: ses capacités sont augmentées.
- 1999: son système de stabilisation est remplacé.
- 2002: une caméra est installée et les panneaux solaires changés.
- 2003: c’est la tragédie, la navette spatiale Columbia se désintègre avec 7 astronautes à bord. La fin de Hubble ? C’est sans compter sur la forte mobilisation du public américain – des enfants font même la quête pour financer sa réparation.
- 2009: après la remise en service de la navette, une ultime mission décolle.
Il poursuit : « Ensuite vient la rédemption : en 1993, une équipe d’astronautes embarque dans la navette spatiale pour une glorieuse mission qui rend la vue à Hubble. Enfin, le télescope peut produire des images fantastiques, comme les Piliers de la création ou le Deep Field. Et des astronautes lui rendent visite dans l’espace lors de missions très populaires. »
Les images sont produites par milliers, largement et gratuitement diffusées dans le monde. Au Space Telescope Science Institute de Baltimore (Maryland), d’où sont pilotés Hubble et JWST, l’équipe de communication emploie une soixantaine de personnes.
Au centre du dispositif : les clichés, qui doivent être traités au préalable. Même si on s’approchait de ces objets célestes, l’oeil humain serait bien en peine d’en distinguer les détails et les couleurs.
La lumière émise, souvent très faible, nécessite des heures de pause et des détecteurs très sensibles. Hubble observe dans le domaine visible, James Webb, dans l’infrarouge, qui est totalement inaccessible à nos yeux.
Filtrer les images brutes
En réalité, les astronomes reçoivent des images brutes en noir et blanc, chaque pixel véhiculant des informations, par exemple sur la température et la composition de la matière qui l’a émis.
Plusieurs filtres sont alors appliqués en fonction des informations recherchées, du rouge (grandes longueurs d’onde) en passant par le vert (médianes) jusqu’au bleu (courtes). L’intérêt est à la fois scientifique – distinguer finement les différentes structures d’une nébuleuse, par exemple – et esthétique. Le code couleur est le même pour toutes les images de Hubble.
« Elles sont devenues un standard universel, c’est comme cela que tout le monde se représente le cosmos aujourd’hui », souligne Ray Villard.
« Nous avons souhaité utiliser des couleurs différentes de celles de la Nasa, pour nous impliquer dans un processus créatif. Nos images sont plus flashy, plus science-fiction », précise Olivier Berné, dont l’équipe a été l’une des premières à traiter les images brutes de JWST.
« Nous n’avons jamais eu de plan de communication, soutient Ray Villard. Les images sont tellement attirantes qu’elles captent l’attention et incitent à s’intéresser à la science. Mais elles s’accompagnent d’un storytelling. »
Il se souvient de cette année 1995, lorsque son équipe reçoit les images de la nébuleuse de l’Aigle, à presque 7 000 années-lumière de la Terre. « Pour les astronomes, les structures qu’on y voyait étaient relativement communes.
Alors, nous avons pensé à leur donner un nom, et nous avons joué à associer des mots. Cela ressemble à des piliers, et des étoiles se forment en leur sein… Nous avons donc opté pour les Piliers de la création. »
Ultimes frontières
Le succès est phénoménal et l’image acquiert le statut d’icône, reproduite partout, jusque sur des tee-shirts et des mugs. « En Europe, la connotation religieuse peut faire tiquer.
Pas aux États-Unis, affirme Ray Villard. Même les créationnistes utilisent les images de Hubble, bien que n’étant pas d’accord avec l’existence d’un Big Bang. » De fait, les images de Hubble et de James Webb s’intègrent parfaitement au récit national.
« Aux États-Unis, la conquête spatiale est liée au thème de la frontière, omniprésente dans notre histoire », souligne Elizabeth Kessler, maîtresse de conférences en études américaines et spécialiste de culture visuelle à l’université Stanford, en Californie.
La frontière que les pionniers repoussaient sans cesse vers l’ouest. Ce qui a conduit la chercheuse, dans un ouvrage paru en 2012 – Picturing the Cosmos : Hubble Space Telescope Images and the Astronomical Sublime, non traduit –, à faire le parallèle entre l’esthétique des images de Hubble et de James Webb, et celle des peintres américains du XIXe siècle, qui immortalisaient l’immensité de la nature sauvage.
« L’orientation de l’image pour suggérer un paysage – alors que dans l’espace il n’y a ni haut ni bas –, c’est une volonté de la Nasa. Il y a toujours une balance entre science et esthétique, avec le souci de toucher un public large », souligne Elizabeth Kessler.
JWST a photographié à nouveau les télescopes Hubble et James Webb, dont une version en gros plan, qualifiée de « hantée » par la Nasa, a été diffusée pour Halloween. Quant à Hubble, il s’approche doucement de l’âge de la retraite.
Mais la Nasa a annoncé, en septembre dernier, être en pourparlers avec la société Space X, d’Elon Musk, pour remonter son orbite et prolonger la vie de ce « trésor national » – c’est ainsi qu’il est qualifié aux États-Unis. Face aux télescopes Hubble et James Webb, il y a toujours une suite.