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The Good Business
Issu de la finance, Jean-François Rial est un passionné de géographie qui a tout lâché, un beau jour, après un périple dans le Sahara, pour lancer Voyageurs du Monde, devenu le leader français du voyage sur-mesure. Rencontre avec un homme prolixe qui, à l’image de l’ingénieux poulpe, sait très bien se cacher derrière un nuage d’encre pour cultiver le mystère.
Financier, Jean-François Rial l’est et le reste : il fut, par exemple, l’un des seuls à conclure une importante campagne de financement avec un fonds américain pendant la crise du Covid et affiche, depuis trente ans, une insolente réussite avec Voyageurs du Monde.
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Mais peut-on être à la fois financier et rêveur ? Mathématicien, champion de poker et craquer pour deux épaves de steamers de la grande époque de la navigation sur le Nil pour les restaurer à grands frais ? Militant écologiste et expédier des milliers de touristes partout à travers le monde ?
L’homme assume ses contradictions et défend ses convictions. Pour le rencontrer au siège de son groupe, vous commencez par traverser un dédale de petits salons de vente, croisez des bibliothèques, des meubles asiatiques anciens, des œuvres d’art…
À croire qu’il a choisi le bureau le plus planqué du 55, rue Sainte-Anne pour planter le décor : ses agences et ses « cités du voyage » sont les vitrines glamour d’un produit qui propose l’indicible.
Vif, insaisissable, intarissable sur les sujets qui l’animent, hyperactif, le patron de Voyageurs du Monde trouve le temps de diriger le leader français du voyage sur mesure tout en allant au bout de ses passions. La profession regarde parfois avec agacement ce patron qui, n’étant pas du sérail, prend des positions iconoclastes.
Rencontre avec Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde
The Good Life : Vous avez la réputation d’être plus cher que vos concurrents. Comment expliquez-vous votre succès ?
Jean-François Rial : Cette impression est erronée : à niveau égal de prestations, nos prix sont, à quelques pour cent près, très proches de ceux des autres voyagistes, et notre marge, de 26-27 %, est classique pour ce métier. Il faut comparer ce qui est comparable.
Pour une frange de nos clients, le voyage se chiffre en dizaines de milliers d’euros, mais 25 % partent à moins de 3 000 euros par personne. Notre réussite, je l’attribue plutôt à notre obsession du détail. Il y a treize ans, j’ai compris qu’Internet allait nous tuer et je n’ai pas cessé de harceler les équipes pour ne jamais rien lâcher.
Où se cachent concrètement ces détails ?
J.-F. R. : L’extrême valeur ajoutée de nos services s’appuie sur un profiling particulièrement pointu de chaque voyageur. Je pousse nos conseillers, experts ès destinations, à passer des heures avec chaque client ; sur place, nos concierges francophones, en prise directe avec le terrain, sont capables de démêler n’importe quelle situation, sans compter un éventail de services pratiques qui rendent la vie facile : assistance 24h/24, salons lounge et passage rapide des contrôles de sécurité à l’aéroport, early check-in et late check-out dans les hôtels, une appli qui réunit tous les éléments de votre voyage et les géolocalise, un boîtier wi‑fi pour rester connecté où que vous soyez… C’est grâce à ces détails que nous faisons la différence.
Agences léchées, brochures glamour, carnets de voyage luxueux, étiquettes chic, magazine… L’esthétisme poussé à l’extrême est-il un snobisme ou un argument de vente ?
Jean-François Rial : Nous revendiquons cet attachement à l’esthétisme. Notre conception du voyage est d’emmener au plus près de la vérité d’un pays, à l’opposé total des clichés. Je reste convaincu que le beau n’est pas subjectif, il est universel : tout le monde s’accorde devant la beauté d’un lever de soleil sur le Nil. L’esthétisme que nous développons n’a rien à voir avec le haut de gamme, il vise simplement à susciter l’émotion.
Votre groupe compense les émissions carbone de ses clients en plantant des arbres. Est-ce une manière de se donner bonne conscience ?
J.-F. R. : C’est plutôt la conséquence d’un raisonnement. Nous n’avons pas attendu le signal d’alarme pour agir. Notre engagement se joue sur deux fronts. Premièrement, nous étudions tous les moyens en notre possession pour réduire l’empreinte carbone de nos voyageurs.
Nous favorisons le train chaque fois qu’il permet de remplacer l’avion de manière réaliste ; sur l’aérien, nous optons pour des vols directs, mais aussi pour les appareils les plus économes en carburant ; nous proposons, dès que cela est possible, des véhicules électriques ; nous privilégions les hôtels de petite capacité, responsables d’un point de vue environnemental et social.
Par ailleurs nous absorbons l’ensemble des émissions carbone liées à nos voyages par le biais de projets de reforestation. Un objectif que nous avons atteint désormais à 100 % et qui ne cesse de s’améliorer. La plantation d’arbres reste l’une des solutions les plus efficaces en attendant la décarbonation du secteur aérien, qui n’est pas réalisable dans le délai fixé par l’Accord de Paris. En attendant, 3 millions d’arbres ont été financés par nos voyageurs et plantés cette année.
Vos concurrents vous reprochent d’être donneur de leçons. Cela vous agace-t-il ?
J.-F. R. : J’ai pu l’être, en effet, mais je pense que je ne le suis plus. En revanche, je suis un homme de convictions. Il ne faut pas confondre vouloir convaincre et donner des leçons. Si mes convictions sont fortes, je peux aussi changer d’avis face à de bons arguments ; je n’ai aucun ego par rapport à cela. Je tiens cela de ma mère. Mes parents étaient très engagés. La République, la laïcité, l’égalité des chances… Malgré les apparences, je doute. Mais le doute est une source d’amélioration !
Quels projets vous portent en ce moment ?
J.-F. R. : Nous venons de racheter deux épaves de bateaux en Égypte : le Niagara et l’Indiana, des reliques de l’American Nile Company, qui naviguaient à la Belle Époque. En 2026, ils rejoindront notre fierté sur le Nil : le Steam Ship Sudan. Le budget ? On verra ! Je ne fais pas de tableaux Excel, je fais de beaux produits.
Nous lançons aussi des voyages « désorganisés » : donner à nos voyageurs l’ivresse de partir sans réserver, de décider du parcours au jour le jour, au fil de leurs découvertes. Ce ne sera possible qu’en basse et moyenne saison, mais le voyage à contre-courant est au cœur de notre ADN.
Outre la gestion de votre groupe, vous avez créé, avec le chef Massimo Bottura et l’artiste JR, le Refettorio – un restaurant solidaire sous l’église de la Madeleine, à Paris. Vous exploitez, avec votre fils Tom, la Ferme du Perche, à Réveillon, dans l’Orne. Vous êtes champion de poker, vous pratiquez la boxe et vous occupez plusieurs fonctions institutionnelles, dont celle de président de l’Office de tourisme de Paris. Quand trouvez-vous le temps de dormir ?
Jean-François Rial : Je suis un hyperactif doublé d’un insomniaque. Cela dit, je viens de démissionner de toutes mes fonctions institutionnelles. À 60 ans, j’entame ma décroissance. Je veux pouvoir satisfaire ma boulimie de lecture, apprendre l’arabe après avoir pris plaisir à apprendre le grec. Et consacrer la fin de ma vie à la pédagogie : je resterai un écologiste engagé.
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