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The Good Guide
Déguster du haggis matin, midi et soir pendant trois jours, tel était le défi à relever à Édimbourg afin de percer le mystère de ce plat contribuant à la mythologie écossaise au même titre que le tartan, le whisky ou… la série Outlander. On a courageusement relevé le gant.
Shocking ! Alors qu’on s’attendait à trouver un plat folklorique réservé aux touristes, quelle n’est pas notre surprise d’apprendre que c’est un produit commun, présent dans la plupart des cuisines écossaises ! Disponible dans les supermarchés, chez les bouchers, vendu sous cellophane, prêt à consommer… Le matin, grillé avec les œufs, le midi ou le soir, chauffé au micro-ondes avec des pâtes ou une purée… Cependant, le grand moment de gloire du haggis, c’est le 25 janvier, lors de la Burns Night, où, en grande pompe, il est célébré partout où se trouve un Écossais. Les convives lui portent un toast (au whisky, of course) en récitant les vers de l’Ode au Haggis, du poète écossais Robert Burns.
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Les mystères du haggis enfin révélés
Mais revenons à la base. De quoi est-il fait ? Il s’agit d’un hachis (d’ailleurs son nom trouverait son origine dans ce mot) traditionnellement fait d’abats de brebis ou de mouton, (cœur, foie, poumon…), auxquels sont mélangés des flocons d’avoine et des épices. Le tout, enveloppé dans la panse de l’animal.
Aujourd’hui, c’est communément l’agneau, parfois mélangé au bœuf ou au porc, qui entre dans sa composition, et c’est dans un boyau synthétique qu’il est principalement vendu, exception faite des haggis haut de gamme ou artisanaux.
À Édimbourg, si c’est la version neeps and tatties (avec purée de pommes de terre et rutabagas) qui est servie la plupart du temps, on en trouve de toutes sortes : en burgers, en garniture de tacos, pizzas, en pakoras… C’est aussi dans sa version végétarienne qu’il est devenu populaire, additionné de lentilles, haricots noirs et champignons pour simuler la viande.
La gastronomie aussi s’en est emparée; pas un chef écossais qui n’en propose sa version. Passage obligé, même si très peu d’entre eux l’élaborent de A à Z. Paul Wedgwood est l’un des rares à le faire. Installé depuis 2005 sur le Royal Mile, il est régulièrement invité à en préparer pour une Burns Night célébrée au Pérou, à Dubaï ou en Australie.
« En tant que restaurant écossais, établi dans l’une des rues les plus célèbres d’Écosse, nous nous devions d’avoir notre version du haggis, affirme-t-il. Je me suis mis au défi d’apprendre à le préparer plutôt que de l’acheter chez un boucher. Une fois que je l’ai maîtrisé, j’ai commencé à expérimenter. J’ai fait du haggis avec du lapin, de l’écureuil, du gibier, de la grouse ou du faisan. »
À l’origine, un plat de pauvre
Certains débattent encore sur l’origine du haggis. Viendrait-il de Scandinavie, où l’on trouve un équivalent ? Ou bien d’Angleterre, puisqu’on l’y trouve mentionné dès le XIVe siècle dans un livre de cuisine ? Ce qui est certain, c’est que son histoire suit le cours des conflits entre Anglais et Écossais, frères ennemis liés depuis des siècles par des guerres d’indépendance aboutissant, en 1707, à l’Act of Union donnant naissance au Royaume‑Uni.
« Quand on parle d’identité écossaise, on touche à un sujet sensible, au sentiment d’oppression vécu par un peuple privé de sa culture et de sa langue, le gaélique », explique le blogueur culinaire Peter Gilchrist, qui s’est penché sur les origines du haggis et la façon dont il a contribué à la construction de l’identité écossaise.
« Ma mère, qui a grandi dans les années 70, m’a confirmé qu’à cette époque le haggis était encore considéré comme un plat de pauvres, rappelle-t-il. Dès lors qu’on grimpait un tant soit peu dans l’échelle sociale, on arrêtait d’en consommer. Bien que vivant de façon modeste, mes parents n’auraient jamais eu l’idée d’en acheter. On a donc sauté une ou deux générations avant de le voir revenir, préparé d’ailleurs avec plus de soin et de meilleurs ingrédients. »
En 1979, les Écossais sont appelés à voter pour ou contre leur indépendance. Deux autres référendums suivront : celui de 1997 mènera, en 1999, à la création du parlement écossais ; celui de 2014 confirmera la volonté des Écossais de demeurer dans le Royaume-Uni.
C’est donc au cours des années 80 que le haggis retrouve une certaine popularité, grâce à la conjugaison d’un renouveau du nationalisme et de l’explosion des supermarchés. Constatant la baisse de fréquentation de leur boucherie, la famille Macsween décide de mettre sur le marché un haggis sous vide, facile à préparer, vendu dans tout le Royaume-Uni à tous les expatriés écossais en mal du pays.
« Nous sommes parvenus à créer une catégorie haggis dans les supermarchés et à en vendre 52 semaines par an, rappelle James Macsween, représentant de la troisième génération. En 1996, lorsque nous avons quitté notre site d’origine de Brunsfield, nous produisions 235 tonnes de haggis par an. Nous en fabriquons aujourd’hui environ 1 700 tonnes, pour un chiffre d’affaires de 7 millions de livres, dont 75 % avec les supermarchés. Ce qui nous tuait est donc ce qui maintenant nous fait vivre. »
Le chef star Tom Kitchin, qui fut le plus jeune chef étoilé d’Écosse, est régulièrement sollicité pour donner sa version du haggis. Et de la même façon qu’il aime porter un pantalon de tartan dans les grandes occasions, il le prépare toujours en modernisant la recette.
« Je suis très fier d’être écossais, insiste-t-il. Je me souviens de mon premier jour comme jeune cuisinier chez Guy Savoy, à Paris. Je ne parlais pas un mot de français. Le matin, à 7 heures, le chef arrive, il me regarde, et me dit : “C’est vous le rosbif ?” Je lui réponds : “Non, je suis le haggis !” »
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