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Elle fut la première et la plus convoitée du monde. Fondée en 1893 au bord du lac Léman, l’École hôtelière de Lausanne (EHL), qui n’a cessé de danser sur un fil entre tradition et innovation, est devenue business-school internationale. Visite de cette école pas comme les autres.
Les bachelors l’EHL Hospitality Business School commencent par récurer les casseroles avant de se propulser vers l’industrie du luxe et de la finance. Des frais d’études conséquents et un enseignement de haut vol constituent le tremplin vers une carrière internationale, et garantissent l’accès à un réseau d’anciens élèves aussi tentaculaire qu’efficace.
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La main tremble à peine, l’assiette se pose en douceur devant vous, mais une autre main vient discrètement la faire pivoter pour la présenter sous son meilleur angle. Il est 20 heures au Berceau des Sens. Le serveur débute, le sommelier s’emmêle un peu les pinceaux dans les millésimes, mais les professeurs veillent au grain et le dîner tient vaillamment la route.
Sans doute parce que le service un peu particulier dégage un certain charme : cette salle de restaurant est aussi une salle de classe. Le restaurant d’application de l’EHL Hospitality Business School fut, en 2019, le premier en Europe (suivi par l’Institut Bocuse), à décrocher une étoile au Michelin. Il est ouvert aux Lausannois qui peuvent y déjeuner étoilé à partir de 85 euros et dîner à partir de 120 euros. Rapport qualité-prix imbattable.
Les étudiants qui débarquent chaque année depuis 127 pays dans cette école de commerce unique en son genre ambitionnent d’obtenir l’un des « bachelors » (niveau master) les plus cotés de la planète dans le monde du luxe et de l’hospitalité.
Une petite moitié des heureux élus – admis après l’examen du carnet de notes, quelques entretiens et un chèque de 160 000 euros (la moitié pour les étudiants suisses, subventionnés par le gouvernement) – travaillera pour de bon dans l’hôtellerie.
Les autres fileront directement vers les cieux étoilés de la finance, du conseil, des relations publiques et du marketing. Dites « LVMH » et leurs yeux pétillent.
En attendant de gagner cet univers discret et parfumé, ces jeunes gens élégants, tri- voire quadrilingues pour la plupart, commencent par éplucher des légumes, faire le lit dans de vraies fausses chambres d’hôtel et pétrir du pain.
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« Cette année dite préparatoire est dans l’ADN de l’EHL Hospitality Business School, affirme Patrick Ogheard, responsable de ce sas d’enseignement pratique. Elle stimule leur adaptabilité et leur donne une idée du vécu de ceux qu’ils dirigeront un jour. »
C’est peut-être cette plongée dans le concret, unique dans le monde des business-schools, qui leur confère une longueur d’avance. Récurer les casseroles et servir à table pendant un an lorsqu’on est majoritairement issu du haut du panier crée des liens.
À croiser dans les vastes espaces du campus ces élégants jeunes gens marchant tête haute, vous comprenez qu’ils entreront dans la vie professionnelle formatés pour la réussite.
Le respect de l’étiquette
Un enseignant est d’ailleurs assigné à l’étiquette : « Monsieur Laurent », stature de Commandeur et oeil de lynx, a la responsabilité de veiller au respect des traditions maison et au savoir être maîtrisé : tenue impeccable, veste incontournable, attitude irréprochable, cheveux attachés, maquillage léger et joues rasées de près. Le code rigide du port de la cravate s’est dénoué il y a un an seulement. Quant à la question du tatouage, elle a fait débat.
La ponctualité, elle, est contractuelle. « Arriver en cuisine avec ne serait-ce qu’une minute de retard est systématiquement sanctionné », assure Julien Boutonnet, Meilleur Ouvrier de France, qui a la lourde charge, avec le champion du monde de pâtisserie Julien Gradoz, d’initier les jeunes arrivants à l’art du sucré.
À tour de rôle, les élèves tenus de passer par tous les ateliers sont propulsés dans le grand bain et mis au défi de sortir 1 000 desserts par jour, avec l’aide de quatre professionnels. Esprit d’équipe, rigueur et autonomie sont à la clé de ces deux semaines d’immersion dans l’univers de la chantilly.
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Quant à la semaine de plonge, elle leur enseignera le respect du staff. Charles, Parisien et boursier a débarqué en Suisse après son bac et, à peine deux jours après son arrivée, a servi, à table, des chefs étoilés Michelin.
« On nous apprend à oser, nous sommes tous à fond, confirmet-il. Nos parents considèrent cette école comme un investissement. Leurs enfants n’auront pas un job, mais un métier. »
La plupart d’entre eux partent du bon pied : à la cafeteria, les sacs de luxe sont légion et le blazer se porte avec une élégante désinvolture. Beaucoup d’élèves fréquentent assidûment le restaurant étoilé du campus, sur la carte duquel figurent truffe et caviar.
« Il n’y a pas longtemps, à midi, entre deux cours, on nous a demandé une bouteille de romanée-conti », s’amuse le chef Cédric Bourassin qui, après avoir oeuvré cinq ans pour les frères Bras au Japon, trouve passionnant de mener une cuisine comptant 50 % de novices n’ayant jamais fait cuire un oeuf et changeant de poste chaque jour.
« Nous leur apprenons à être réguliers, à diriger des équipes importantes et à gérer le stress. » En attendant de diriger des hôtels, les jeunes font la plonge et créent des liens.
Un village où l’on vit en vase clos
Perché dans la verdure sur les hauteurs de Lausanne, l’immense campus de l’EHL Hospitality Business School a été conçu à l’anglo-saxonne, comme un village idéal où l’on vit entre soi, au coeur d’un véritable écosystème. La récente extension du campus (passé de 25 000 mé à 80 000 m2) a offert à ses hôtes, après cinq ans de travaux, un nouveau cadre de vie luxueux.
Signée par le cabinet lausannois Itten+Brechbühl et pensée en collaboration avec les élèves, cette extension déploie de vastes espaces transparents, symboles de l’ouverture de l’EHL Hospitality Business School sur le monde.
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Amphithéâtre pour cours magistraux, salles de classe connectées, niches intimes pour travailler en solo ou en groupe, espace fitness qui ferait pâlir un palace, court de tennis, piscine, potager pédagogique, cuisines professionnelles rutilantes, résidences étudiantes et 12 lieux de restauration : tout est fait pour que les élèves jouissent d’une qualité de vie hors du commun.
Coût du chantier : 250 millions de francs suisses (environ 252millions d’euros). Bien entendu, le campus se devait de respecter des normes écologiques exigeantes : sonde géothermique, l’équivalent surface de trois piscines olympiques en panneaux solaires, récupération des eaux usées…
« Nous voulons que nos étudiants comprennent que la durabilité est un sujet complexe qui demande réflexion et planification, et qu’ils apporteront cette perspective partout où ils iront », précise Noémie Danthine, directrice Stratégie et Durabilité.
Lorsque vous traversez la réception, vaste comme un hall d’aéroport, la première impression ressentie n’est pas celle d’arriver sur un campus, mais plutôt dans un hôtel 5 étoiles. Autant s’y habituer tout de suite.
Maintenant, tournez la tête : derrière deux immenses baies vitrées, des rangées de têtes coiffées de toques s’appliquent à éplucher, émincer, accommoder… Vous êtes bien dans une école hôtelière.
L’eau a pourtant coulé sous les ponts, depuis la création, en 1893, d’un cours de cuisine par Jacques Tschumi, directeur de l’hôtel Beau-Rivage Palace et membre influent de la Société suisse des hôteliers.
Des premières leçons avec 27 élèves dans une chambre de l’Hôtel d’Angleterre, au paquebot high-tech actuel, l’institution n’a cessé d’évoluer. Jusqu’à faire glisser, dans les années 90, sa philosophie d’enseignement des cuisines au management.
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« International n’était pas dans le titre, mais le concept s’est inscrit dans notre ADN dès la Première Guerre mondiale, affirme Inès Blal, directrice de l’établissement. Les diplômés sont efficients immédiatement. Ce sont de jeunes leaders ouverts sur le monde avec une vision. »
Non seulement le ticket d’entrée est élevé (ces trois dernières années, cependant, 250 élèves se sont vu accorder des bourses ou des prêts), mais il ne suffit pas de payer pour être diplômé. Promenez-vous dans les étages de cette fac tentaculaire : petits groupes, postes de travail individuels, salles de cours… Dans tous les coins, ça étudie non-stop !
Le réseau d’abord
Pour aider ces ambitieux à prendre leur envol, on mise sur les liens étroits entre l’industrie et le monde académique. Entrepreneurs, experts, businessmen, chercheurs, investisseurs sont sans cesse invités à venir partager leur expérience. De grandes marques suisses, comme Nestlé ou Audemars Piguet, sont associées à l’école, finançant de la recherche ou assurant des cours.
Si beaucoup de jeunes suivent la trace de leurs parents ou de leurs grands-parents passés par Lausanne, d’autres sont issus de familles dont ils ont hérité la fibre managériale.
L’institut a donc créé le Village de l’innovation, un incubateur redoutablement efficace où, grâce à une fondation, les élèves peuvent développer, voire financer et développer leur start-up. Certains d’entre eux ne sont pas encore diplômés qu’ils sont déjà chefs d’entreprise !
Ce sont ces jeunes leaders ouverts sur le monde, porteurs d’une vision, que les « alumni », ou anciens de l’école, se battent pour embaucher à leur sortie. Car ce qu’on vient chercher ici, d’abord, c’est le réseau.
Ces 30 000 patrons de grands hôtels ou chefs d’entreprise qui, éparpillés partout dans le monde, continuent de se serrer les coudes, comme autrefois en faisant la plonge ! Ils vous confirmeront tous que les études hôtelières, ça mène à tout.
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Quel est le prix de l’École Hôtelière de Lausanne ?
La totalité de la scolarité à l’Ecole Hôtelière de Lausanne s’élève à 159.954 francs suisse, soit 164.017,47 euros. La formation dure 4 ans, et comprend une année préparatoire, qui plonge les élèves dans la réalité des métiers de l’hôtellerie : plonge, commis de cuisine, personnel de nettoyage… Les trois années qui suivent sont orientées « business ».
Comment entrer à l’EHL Lausanne ?
Il suffit de déposer sa candidature sur le site internet de l’EH Lausanne, et de sélectionner le cursus désiré. Après avoir envoyé les éléments administratif demandé, le futur étudiant devra rédiger une lettre de motivation de 500 à 650 mots, pour mettre en valeur sa détermination, ses points forts, à travers un récit qui doit être personnel et intéressant. Après analyse des dossiers, les candidats doivent passer un entretien de 20 minutes avec les équipes de l’école, ainsi qu’un test d’aptitude. Celui-ci est composé de 3 examens différents pour évaluer le leadership, les qualités relationnelles, le raisonnement analytique et la motivation des candidats.