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On la retrouve aussi bien sur des t-shirts Uniqlo que sur le logo de Quiksilver. Elle s’invite chez les Simpsons et est accrochée aux murs de tout bon ostéo qui se respecte : La Grande Vague de Kanagawa, de l'artiste japonais Katsushika Hokusai, a réussi l'exploit de s’imposer dans les rétines du monde entier. À l'heure où l'œuvre est exposée tout l'été au musée d’Histoire de Nantes, retour sur le parcours d'une vague qui n’en finit pas de déferler sur la pop culture.
Au premier regard, La Grande Vague de Kanagawa semble figer un instant dramatique : une vague géante s’élève, prête à engloutir de petites embarcations, tandis qu’au loin, le mont Fuji se dresse calmement. Pourtant, derrière cette scène de chaos suspendu, se cache bien plus qu’un simple paysage maritime. C’est vers 1831 que Katsushika Hokusai entame une ambitieuse série de trente-six vues du mont Fuji.
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La puissance d’une vague
L’artiste, alors âgé de 70 ans, y explore la relation entre l’homme, la nature et ce volcan sacré qui, pour beaucoup de Japonais, symbolise stabilité et spiritualité. Dans cette première estampe de la série, il choisit délibérément de réduire le Fuji à un détail, presque perdu dans l’arrière-plan, tandis que la mer, furieuse, occupe la majorité de l’espace.

Ce renversement des proportions, la nature prenant le dessus sur le sacré, illustre une vision nouvelle, presque provocante pour l’époque. Au fil des siècles, cette estampe est devenue une image universelle, reprise, détournée et célébrée dans toutes les sphères de la culture contemporaine, s’affichant aussi bien sur des sneakers que dans un emoji wave 🌊.
« Cette vague est d’une simplicité assez déconcertante, et c’est là que réside sa force », explique Adrien Bossard, conservateur du patrimoine et directeur du musée départemental des arts asiatiques à Nice, au micro de France Culture en 2023. Les chefs-d’œuvre iconiques sont à la fois simples et complexes, ce qui leur permet de marquer les esprits. Si cette estampe est devenue la Joconde de l’art asiatique, c’est parce que c’est avant tout une œuvre synthétique : elle réunit beaucoup d’éléments des traditions picturales de l’Extrême-Orient, mais aussi de l’art mondial, puisqu’elle intègre une nouveauté occidentale : le bleu de Prusse, un pigment synthétique inventé au XVIIIᵉ siècle en Europe, qui mit du temps à arriver au Japon. »

En utilisant ce pigment novateur et en laissant son œuvre franchir les frontières, Hokusai donne une véritable leçon d’avant-garde à ses contemporains. « Cette estampe fascine pour plusieurs raisons, nous explique Bertrand Guillet, directeur du musée d’Histoire de Nantes et fin connaisseur d’Hokusai. L’usage innovant du bleu de Prusse, et la capacité d’Hokusai à mêler dans son œuvre des influences variées. Depuis longtemps déjà, il explorait une forme de syncrétisme entre esthétiques chinoises, japonaises et, plus discrètement, occidentales. La Vague incarne cette synthèse, et c’est sans doute ce qui lui confère une telle puissance iconique : elle dépasse les frontières culturelles et devient une image globale. » Une image dont les Japonais eux-mêmes ont mis du temps à prendre la pleine mesure.
L’écume du jour
Le XIXᵉ siècle marque pour le Japon une ouverture sur le monde. Les estampes circulent, grâce (ou à cause) des artistes et de la bourgeoisie de l’époque, fascinés par ces paysages lointains et exotiques. « Paradoxalement, ce sont les voyageurs et collectionneurs européens qui, en ramenant ces estampes au XIXᵉ siècle, ont véritablement déclenché l’engouement autour du japonisme, explique Bertrand Guillet. Ce mouvement a permis de redécouvrir Hokusai, non seulement en Occident, mais aussi au Japon, où son œuvre avait été quelque peu mise en retrait. Ce n’est que grâce à l’admiration des artistes et intellectuels occidentaux que les Japonais ont, à leur tour, réévalué l’importance de son art. »

Dès lors, La Vague exerce une sorte de soft power et représente le Japon dans le monde entier, passant du statut d’œuvre d’art à celui de symbole à part entière. Camille Claudel reprend le motif de la vague en 1897, et Debussy en utilise aussi un détail pour illustrer sa partition La Mer. Une réinterprétation qui traverse les époques et les disciplines, puisque La Vague continue de faire parler d’elle dans l’actualité.
On la retrouve notamment sur des t-shirts Uniqlo en partenariat avec le Museum of Fine Arts de Boston, ou encore sur des montres Casio, comme la G-Shock DW-5600 dévoilée en janvier dernier, où La Vague orne le cadran numérique. En 2023, LEGO innove en dévoilant Hokusai – La Grande Vague, un set de 1 810 pièces à assembler dans un cadre beige, accompagné d’une playlist de deux heures retraçant la vie de l’artiste japonais. Une année faste pour La Vague, dont un rare tirage a été adjugé à 2,8 millions de dollars lors d’une vente aux enchères à New York.
Une pop star qui ne fait pas de vagues
Tombée dans le domaine public, La Vague d’Hokusai peut être reproduite librement, ce que confirme un simple passage à la boutique du musée Guimet. L’institution parisienne consacrera d’ailleurs, en novembre prochain, une salle entière à l’impact de La Vague sur le manga et la bande dessinée.

Tout en exposant l’œuvre originale, le musée entend séduire les visiteurs avec une avalanche de produits dérivés à son effigie : sacs, plateaux, trousses, bracelets à 49 €, bougies parfumées à l’aloe vera, housses de coussin… De quoi relooker son intérieur façon Valérie Damidot en retour de voyage au Japon. Mais comment expliquer qu’après près de deux siècles, La Vague continue de fasciner le grand public ?
« Cette œuvre ne parle pas uniquement aux Japonais de l’époque Edo, qui y voyaient déjà des significations multiples, mais aussi aux spectateurs d’aujourd’hui, qu’ils soient japonais, européens ou américains, analyse Bertrand Guillet. Cette capacité à traverser les cultures, les époques et les sensibilités a contribué à en faire une icône mondiale. On l’a même vue resurgir dans des moments tragiques, comme après la catastrophe de Fukushima, où elle fut utilisée pour illustrer le tsunami alors même que l’estampe ne représente qu’une tempête. Ce détournement montre à quel point cette image est chargée, adaptable, presque mythique. Elle condense à elle seule une esthétique, une histoire, une émotion. C’est cette richesse de lecture qui en fait une œuvre universelle. »
Une œuvre qui fait escale durant tout l’été à Nantes dans une exposition en partenariat avec le musée japonais Hokusai-Kan d’Obuse : garantie sans vague à l’âme.
- Hokusai, du 28 juin au 7 septembre 2025 au Château des ducs de Bretagne – Musée d’Histoire de Nantes, 4 place Marc Elder, 44000 Nantes. Chateaunantes.fr
- Mangas, du 19 novembre 2025 au 9 mars 2026 au Musée national des arts asiatiques – Guimet, 6 place d’Iéna, 75116 Paris. Guimet.fr
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