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The Good Culture
Acteur et metteur en scène de théâtre et d’opéra, Thomas Jolly sera le chef d’orchestre des cérémonies d’ouverture et de clôture des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Une charge prestigieuse qu’on lui a confiée après le succès de sa mise en scène de Starmania à la Seine Musicale, ainsi que celle d’un Roméo et Juliette inoubliable à l’Opéra Bastille l’été dernier.
Thomas Jolly est jeune et talentueux, passionnant, passionné et shakespearien de cœur… Son actualité est ahurissante, tout comme son parcours : l’opéra rock Starmania a été repris en novembre dernier à la Seine Musicale, à Paris ; Macbeth Underworld, musique de Pascal Dusapin, d’après la pièce de William Shakespeare, a été joué en novembre à l’OpéraComique, Fantasio, en décembre.
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Champion de la mise en scène
Et le bébé qu’on lui a confié et sur lequel il travaille depuis plus d’un an, les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 que le monde entier attend, s’avère être carrément l’œuvre d’une vie. « Avignon, l’Opéra de Paris, les JO… Jamais je n’aurais imaginé que l’on me propose un jour de tels projets, confie-t-il. La mise en scène m’est tombée dessus à une époque où je n’avais plus de travail en tant qu’acteur. »
Sa première « scéno », il l’imagine à 4 ans, dans sa chambre d’enfant, en écoutant un opéra de Verdi qu’il déniche dans la bibliothèque de ses parents : La Force du destin. Ce goût inné pour la scène se nourrit plus tard par un peu de danse classique, mais surtout par des cours de théâtre couronnés par une licence en études théâtrales en 2003.
S’il croit à la chance, aux rencontres et en sa bonne étoile, il mise surtout sur le travail, qu’il ne conçoit que collégial. Un travail dans lequel la passion n’est jamais bien loin : écriture de pièces, mises en scène, création de sa compagnie La Piccola Familia, en 2006, ou encore la prise de la direction du Quai d’Angers, Centre dramatique national, en 2020.
« Ç’a été un rêve, de diriger un tel lieu, reconnaît-il. Comme être parfois comédien ou metteur en scène, naviguer entre l’opéra et le théâtre. Ce sont deux terrains d’expression inversée. Même si mon cœur pencherait plutôt vers le métier d’acteur, car la scène et l’écran sont des modes d’expression grâce auxquels on fait passer tellement de choses. »
Son plus beau souvenir ? Sans doute le 22 juillet 2014, à 4 heures du matin, dans la Cour d’honneur du palais des Papes au festival d’Avignon, la fin de Henri VI, douze heures de spectacle, le public toujours là, bien éveillé, debout, applaudissant à tout rompre.
Même émotion le 5 juin 2022 pour la fin des deux pièces jouées l’une après l’autre, Henri VI et Richard III, vingt-quatre heures de spectacle… Avec Avignon, le lien fut toujours fort. Une amertume ? Peut-être sa première mise en scène à l’Opéra de Paris, en 2016, pour Eliogabalo, opéra de Francesco Cavalli.
« J’étais sans doute trop jeune pour une telle aventure, analyse-t-il aujourd’hui. Je ne connaissais pas encore les fonctionnements de cette institution qu’est le palais Garnier, avec ses codes et ses règles. Le premier acte était complètement raté, le second, un peu moins, le troisième, ça allait. Cela dit, une expérience négative a toujours du positif. C’est avec Eliogabalo que j’ai fait mon baptême du feu avec l’Opéra de Paris. »
Son inspiration ? Éclectique. Les jeux vidéo de son enfance, la télévision… « J’ai toujours eu un regard déhiérarchisé sur la culture, il n’y a pas, à mon sens, une discipline qui prévaut sur l’autre. Sénèque, je l’ai découvert à l’école d’art dramatique de Rennes. »
Faste et sobriété
Parler de la manifestation des jeux Olympiques, que plusieurs milliards de personnes dans le monde vont suivre au même moment, lui fait mesurer toute la pression et la charge qui pèsent sur ses épaules. Pression qu’il aborde très sereinement, conscient du privilège d’être aux manettes d’une telle aventure. Ce sont pas moins de quatre cérémonies dont il va s’occuper, ouvertures et clôtures.
Pour cette grande première dans l’histoire des JO – puisque la parade d’ouverture des Jeux se déroulera non pas dans un stade comme d’habitude, mais sur la Seine, soit un défilé sur six kilomètres entre le pont d’Austerlitz et le pont d’Iéna –, il s’est entouré d’auteurs et d’artistes, de romanciers, de référents en danse, cirque, design et arts plastiques !
Travailler dans un univers bouillonnant, c’est ce qu’il affectionne. Pour ces cérémonies qui devraient faire briller la France à l’étranger, le cahier des charges est néanmoins limpide : être grandiose tout en restant sobre et écologique.
« Nous avons donc bouleversé la structure habituelle de cette cérémonie en faisant défiler chaque délégation sur un bateau-mouche, détaille Thomas Jolly. Cette procession sera complètement immergée dans la scénographie. »
Il n’empêche, les chiffres donnent le vertige : 206 délégations olympiques et 182 paralympiques provenant de cinq continents seront acheminées sur la Seine le 26 juillet par 116 bateaux parisiens et régionaux provenant de 42 compagnies fluviales ; 13 millions de spectateurs assisteront physiquement aux jeux, 4 milliards les suivront devant leur écran de télévision, dont un milliard et demi pour la seule soirée d’inauguration, et 600 000 depuis les berges de la Seine le même soir.
« Nous avons donc fait de la Seine la scène des JO, reprend-il. Nous avons utilisé le décor naturel de l’une des plus belles villes du monde. » Si le budget alloué aux cérémonies d’ouverture et de clôture n’est pas communiqué, celui du Comité d’organisation l’est. On parle de 8,8 milliards d’euros… qui seront probablement dépassés.
Une méthode bien à lui
Thomas Jolly s’est imposé comme un metteur en scène de référence capable de s’emparer avec la même ferveur d’œuvres classiques ou modernes. Lancé en 2022, Starmania a été repris en 2023 à la Seine Musicale.
« Cet opéra rock est une peinture sombre de l’humanité, analyse Thomas Jolly, dans la lignée de la tragédie classique, comme lors de sa création, en 1979. L’homme, en proie aux doutes existentiels, agit pour trouver un sens à son existence. C’est une œuvre prophétique qui annonçait notre monde d’aujourd’hui, marqué par l’hégémonie, la violence, l’anxiété écologique, l’information en continu. Tout un ensemble de paramètres qui conduisent à la dépression. »
En matière de mise en scène, il s’est focalisé sur l’histoire et a travaillé sur le livret remanié par Michel Berger en 1989. « J’ai eu la chance d’avoir accès à toutes les archives de la pièce et même de rencontrer Luc Plamondon, l’auteur du livret, se souvient-il. Le défi était de transcrire la trame de l’œuvre dans un contexte contemporain. »
Pour Roméo et Juliette, tout a commencé en mars 2020 sur le balcon de son appartement, où il joue en plein confinement la fameuse scène du balcon de la pièce de Shakespeare.
La séquence est filmée par les voisins et les passants, diffusée des milliers de fois sur les réseaux sociaux et passe même au journal télévisé, ce qui n’échappe pas à Alexander Neef, directeur de l’Opéra de Paris, qui l’appelle pour lui confier la mise en scène de l’opéra Roméo et Juliette de Charles Gounod.
Contrat en poche, il se lance dans le travail avec une méthode bien à lui, mais peu orthodoxe pour le théâtre de la rue Scribe : une lecture du livret avec toute l’équipe autour d’une table. Résultat : des échanges enflammés, générant une mise en scène à couper le souffle ! Le grand escalier du palais Garnier est reproduit sur la scène de l’Opéra Bastille.
Dessinés par Sylvette Dequest, qui s’est inspirée de diverses traditions mortuaires, les costumes sont déjantés. Autre thème qui traverse la mise en scène : le paradoxe.
« C’est-à-dire ce qui crispe le cerveau, précise Thomas Jolly. Roméo et Juliette raconte une histoire d’amour au cœur d’un climat de tension extrême. Et cela dans une époque qui ressemble à la nôtre, où la singularité est revendiquée, où la singularité est une forme d’identité. Au-delà de l’amour impossible, cette tragédie parle surtout de transmission, d’héritage que les anciens laissent aux jeunes. Sans cette haine séculaire, les amants de Vérone n’auraient pas eu ce destin. » On le croit sur parole.
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