Gastronomie
The Good Culture
Servis en bouteilles de 75cl., en verrerie de cristal ou en accords de haute voltige, l’époque où l’on trempait le sachet dans une morne tasse d’eau chaude ne résiste pas au déferlement d’une offre de thés haut de gamme qui bouleverse les codes du genre.
Le thé peut-il nous sauver de la vacuité ? Alors que nous voilà immergés dans l’ère du « sans » – alcool, sucre, additifs, excitants –, le thé apparaît aujourd’hui comme le nouvel eldorado d’un monde de la boisson en crise, face à une génération Z qui se détourne à juste titre des délices coupables de l’ivresse et de la gourmandise au profit de pratiques plus adaptées à la discrète tyrannie de l’image. Une tendance dans laquelle s’engouffre de nombreuses marques de thés traditionnelles, mais pas seulement. Ainsi, parfumeurs, alcooliers et verriers développent à tour de bras une offre destinée à répondre aux attentes de consommateurs avides de nouveautés, et désireux de reprendre leur santé en main.
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Nouvelle lubie des buveurs repentis
A bien des égards, le thé apparaît comme la parade idéale de ceux ayant pris la décision de lever le pied sur leur consommation d’alcool, sans rien perdre de leur aura de connaisseurs. Ainsi, certaines enseignes reprennent habilement les codes de la dégustation de vin, surfant sur ce qu’Edouard Malbois, fondateur d’une gamme de thés déclinée en bouteilles de verre de 75 cl pour la marque Grands Jardins, appelle « un véritable changement de paradigme ». Selon ses dires, « si le vin avait rêvé d’être autre chose, il aurait choisi le thé à la manière du vin ».
Et pour cause : les deux boissons ont de nombreux marqueurs en commun, parmi lesquels la notion de crus, de parcelles, d’arômes, de tannins, d’accords… Avec l’avantage manifeste, dans le cas du thé, d’échapper à toute entreprise de diabolisation et d’éviter les désagréments des lendemains d’excès. « Le monde du vin est confronté à une forme de chasse aux sorcières, poursuit Edouard Malbois. Il me semble dommage qu’il reste le seul breuvage ayant droit de cité à table, notamment face à la montée du péril sans alcool au sein de la génération Z. Tout à coup, il faudrait aseptiser, purifier, en abandonnant des traditions millénaires ».
Grand amateur de vin, il n’entend pourtant pas remplacer une consommation par une autre, axant son discours sur une forme de complémentarité, afin de sortir le thé d’une image de boisson fade, avec une expérience de dégustation nécessairement « inférieure » à celle d’un grand cru classé. Une offre qui semble faire écho dans le monde de la verrerie, à l’image de la cristallerie Saint-Louis, dont le service à thé « Léger » – 920 euros, tout de même – joue sur la transparence afin de dévoiler la robe du breuvage et une forme permettant de saisir toute la subtilité des arômes. De quoi transformer quelques après-midis interminables en véritables cérémonies de luxe…
Le pari de la diversification
Des grandes enseignes en quête de renouvellement à l’audace affichée des nouveaux entrants, l’offre de thé haut de gamme se diversifie à toute vitesse. Certains n’hésitent pas à se lancer ex-nihilo sur un marché qui séduit un nombre croissant d’amateurs, à l’instar du parfumeur Byredo, dont la gamme de thés aux noms de modèles de lingerie – Renaissance, Lyra, Starry Night – est vendue pour la coquette somme de 45 euros les 50 grammes dans de petites boîtes de métal blanc au design pensé pour en faire de véritables objets déco.
Chez Dammann Frères, célèbre marque qui fêtera bientôt ses 200 ans, on s’acoquine plus volontiers avec le monde de l’art de la gastronomie. Parmi les dernières collaborations en date, un calendrier de l’avent aux couleurs vitaminées avec le collectif d’artistes Pangea, ou encore un pop-up avec la cheffe vietnamienne Céline Pham dans son restaurant Inari, à Arles.
Du côté de Comptoir des Hémisphères, on emprunte plutôt à l’univers de la cosmétique et de la parfumerie, vantant les vertus hydratantes et antioxydantes de thés présentés comme des « boosters d’immunité ». En boutique, les mélanges sont donnés à sentir comme de précieuses fragrances, à raison de cinq maximum, avec des assemblages pour le moins inventifs – tarte aux pommes, amandes rôties, ou encore thé oolong et… marrons glacés.
Faut-il voir dans cette nouvelle hype du thé la victoire d’une injonction à la sobriété ?
Il est sans doute un peu tôt. Encore aujourd’hui, dans la grande majorité des cas, l’offre de sans-alcool reste triste comme un bonnet de nuit : « A défaut de vous faire vivre quelque chose de grand, on sous-entend que vous allez vivre quelque chose de petit », souligne Edouard Malbois avec malice. En opposition à une industrie du thé – chaud comme froid – qu’il assimile à un « véritable massacre », le marché du thé haut de gamme apparaît comme une formidable opportunité, en phase avec les aspirations de l’époque : « à partir de cette extrême pureté qu’offre le thé, il est possible de réinventer un art de la table, et de créer un langage amoureux gastronomique, libéré de l’ivresse, du sucre, et surtout du conservatisme ambiant. Les rituels de santé seront une des grandes tendances de demain, notamment afin de mieux gérer l’éco anxiété et la fatigue sociétale ». Longtemps cantonné à l’image tiède des tea times à l’anglaise, le thé s’affiche désormais comme un nouveau remède à la mélancolie.
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