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En renouvelant l’esprit précieux de François Ier ou d’Henri III, pour qui le bijou était à la fois un accessoire de mode, d’identité et de puissance affichées, les trentenaires s’émancipent en se l’appropriant, à l’ère de TikTok et d’Instagram. Focus sur les bijoux masculins.
Fini l’uniforme masculin, bourgeois, abonné aux sempiternels boutons de manchettes et à la montre, seuls signes statutaires convenables pour un gentleman depuis (seulement) le XIXe siècle. Les hommes retrouvent enfin le goût du brillant et même du clinquant : broches épinglées au revers de la veste, bracelets et bagues en masse aux poignets et aux doigts, clous d’oreilles, colliers d’or, chevalières gravées à leurs propres armes inventées. Tout leur va ! The Good Life décrypte l’univers des bijoux masculins.
La gourmette sort aussi du purgatoire, grâce aux doigts de fée de créateurs qui transcendent la maille allégée, recombinée. Analysant ce coup de frais, Sylvie Pourrat, directrice de l’offre et de la stratégie au salon Who’s Next assure : « Le bijou masculin est un petit marché étonnamment régulier. Le non-genré a engendré de nombreux concepts, dont une masculinisation du bijou féminin. Si l’on considère uniquement le prisme mode, c’est une libération intéressante, très contemporaine. »
Le design des bijoux masculins échappe aux clichés de genre
Responsable de l’offre horlogerie-joaillerie et bijoux du Printemps, Mehmet Kartal ne dit pas autre chose : « Si l’offre est encore restreinte pour l’homme, elle devient mixte et ciblée. De nombreux modèles reprennent les créations féminines dans un esprit masculin, comme Dior, Balenciaga, Vivienne Westwood ou Gucci, qui ont une énorme audience auprès de la clientèle masculine. Le marché n’est pas encore mature, mais en essor certain, avec des croissances à deux chiffres. » En conséquence, au Printemps de l’homme, la stratégie consiste à mixer bijoux pointus et prêt-à-porter.
« Beaucoup de bijoux masculins semblent sortis des livres d’histoire, dont ces pendentifs où se suspend une perle rosée. C’est romantique, beau et viril, assure encore Mehmet Kartal, certaines marques que nous suivons proposent des pièces up-cyclées, en or recyclé ou composées de diamants de laboratoire plus clairs et moins chers que les vraies pierres. D’autres, comme Ivi – marque créée par le designer chypriote Ivi Kyratzi –, retaillent et réassemblent les pierres précieuses. Tout cela bouscule le milieu. »
Un milieu jusque-là assez fermé, qui voit, en effet, débouler de nouvelles enseignes peu conventionnelles, dont celles de David Yurman (la maison new-yorkaise vient d’installer un univers masculin à Paris, au 245, rue Saint-Honoré), Mad Lords ou White Bird, centrées sur une galaxie de -créateurs-joailliers triés sur le volet et dénichés dans le monde entier.
Le bijou masculin en chiffres
La production française de bijouterie-joaillerie connaît un âge d’or : elle a doublé depuis 2016. Le secteur s’envole avec une production de 3,5 Mds € en 2021 (+ 36 % par rapport à 2019). L’essentiel de l’activité est réalisé par la bijouterie-joaillerie en métal précieux (3,2 Mds €, soit + 40 % par rapport à 2019), la bijouterie fantaisie totalisant pour sa part 346 M € de chiffre d’affaires (+ 11 % par rapport à 2019). Chiffres Observatoire Francéclat.
Le bijou masculin, un design à inventer
Puisqu’il a la chance d’échapper aux clichés de genre, le design du bijou masculin version xxie siècle est aussi en pleine effervescence. Les styles font le grand écart entre brut et hyperraffiné, chipant au passage les codes féminins, lorgnant vers la fantaisie décomplexée. Les métaux précieux ou innovants enchâssent diamants, émeraudes ou saphirs, pierres fines, perles noires ou blanches, nacre. Les pièces s’articulent et s’ajustent à la (bonne) taille pour passer de l’écrin des garçons à celui des filles, et vice-versa.
La haute joaillerie n’est pas la dernière à réfléchir à des collections, comme Tiffany, qui a créé une gamme masculine complète très maline (et belle), composée de pendentifs X en or rose ou rehaussés de la virgule d’un « smile » piqué de diamants, mais aussi de bracelets joncs et de gourmettes à graver. Si Jean Cocteau portait volontiers la bague Trinity (créé en 1924 par Louis Cartier), l’acteur Thimothée Chalamet, lui, craque pour la collection Panthère de Cartier en or blanc, onyx, émeraudes et diamants : le sautoir à même le torse et des bagues à chaque doigt, il brillait aux Oscar 2022.
Dans un autre registre, des têtes d’affiche, comme l’acteur Alexandre Zetter ou le chanteur Slimane, sont conquises par Carré Y, le label de Yacine Challal : look dégenré et déjanté, partis pris second degré, avec pendeloques à motifs vulve, pénis ou rave-party et… miniprix. « Le bijou est le thermomètre d’une époque, explique Yacine Challal. J’essaie d’apporter du sang neuf et de l’écoresponsabilité à travers l’acier ou le laiton recyclables, plutôt que des métaux issus des mines. Même les packagings des bijoux polluent ! Les miens sont en papier recyclable. » Car la clientèle trentenaire est sensible aux modes de fabrication : si l’extraction minière est étroitement encadrée, la tendance chez les fabricants est au recyclage des métaux (à 80 % environ) et aux circuits courts, tandis que les ateliers respectent des chartes drastiques.
Un bijou identitaire
Directeur de Francéclat, l’observatoire chargé du développement économique et de la veille créative ainsi que de la promotion (notamment) de la bijouterie, Ludovic Blanquer analyse le phénomène : « Si on scrute en détail ce lissage non genré, on note sa neutralité mélangée à un aspect parfois assez show-off. L’offre devient transversale sur l’ensemble de l’univers de la mode, depuis la maroquinerie jusqu’au vêtement. L’unisexe est dans l’air. »
Toujours selon Francéclat, l’appétit des 18-à-35 ans pour le bijou peut aussi être largement attribué aux réseaux sociaux : « Cette génération a une nouvelle façon de sublimer le vêtement parce qu’elle veut être identifiée clairement. » En diamants ou en résine, les gris-gris aux messages insolents deviennent, en effet, les porte-voix de communautés. Ce choc de génération ébouriffe ce secteur conventionnel codifié, très feutré, resté longtemps l’apanage des femmes.
La bijouterie s’en trouve dépoussiérée, aussi bien par l’univers de la mode, toujours sensible aux moindres changements d’air, que par l’arrivée de bijoutiers-créateurs, français ou étrangers, qui abolissent les frontières du genre. Ces derniers sont souvent leurs propres ambassadeurs : leur allure, leurs tatouages, leurs barbes hipster, leurs blogs abondamment imagés sont source d’inspiration et suivis sur les réseaux par les fans qui « likent » les pièces qui en jettent avant de s’en emparer.
En 1972, David Bowie exhibait déjà une broche singe
Autre vecteur d’image : des stars qui aiment s’afficher, comme Harry Styles, Jay Z, Lenny Kravitz ou Pharrell Williams, qui soignent leur look et glissent de grosses bagues à chaque doigt, ornent leurs cous de mailles d’or imposantes, pour faire le buzz. Le séduisant coach et footballeur Gareth Southgate n’hésite pas à sortir en cravate et gilet, mais c’est son bracelet (pour femmes a priori) qui fait la une d’un match, et son auteure, Monica Vinader, est dévalisée en quelques jours.
Grâce à ces têtes d’affiche à la fois dandys et prescripteurs, la perle blanche, portée en pendant d’oreille, devient un marqueur de luxe. Elle défile sur le tapis rouge, au point que les boucles d’oreilles ne sont plus vendues en boutique par paires, mais à l’unité ! Cette génération Z se veut anticonformiste et avantgardiste, mais c’est oublier qu’en 1972 David Bowie exhibait déjà une broche singe devenue iconique, que le monde du rock se fournissait chez The Great Frog, à Londres, bijoutier des pointures du rock, de Motörhead à Iron Maiden, en passant par Metallica, Iggy Pop ou le groupe Oasis, qui se ruaient (et nous aujourd’hui) sur la bague à double tête de mort. Le bijou demeure un objet transgénérationnel toujours empreint d’une symbolique forte.
3 questions à Caroline Gaspard - Fondatrice d’Akillis.
Quand avez-vous fondé votre marque ?
En novembre 2007. J’avais 25 ans et je vivais à… Moscou, où je fréquentais un club de tir. Là, j’ai pensé à transformer une balle en motif, comme un trophée puissant
et un peu dangereux. Je me suis formée à la gemmologie, puis j’ai imaginé le puzzle et le bracelet qui s’emboîte. Selon moi, la fonction du bijou est de marquer une appartenance : 40 % de ma clientèle est masculine, c’est énorme ! Nous avons 57 revendeurs dans le monde – aux États-Unis, aux Émirats arabes unis, à Londres ou à Marbella – et un magasin à Paris, bien sûr.
Quels matériaux travaillez-vous ?
Nous proposons du titane, un matériau inaltérable, très difficile à travailler techniquement, qu’on sublime de diamants noirs. Mais Akillis offre aussi des pièces en or blanc ou rose.
Vos bijoux sont-ils unisexes ?
Depuis le début, nous vendons nos boucles d’oreilles à l’unité. Les chaînettes à accrocher à l’oreille et le clou piqué dans le lobe sont populaires auprès des hommes et, pour le soir, les bagues, broches ou colliers portés en accumulation.
Ad Antic. Adanticdesign.com
Anchor & Crew. Anchorandcrew.com
Alice Waese. Alicewaese.com
Miansai. Miansai.com
Carré Y. Carre-y.com
Tant d’Avenir. Tantdavenir.com
Le Gramme. Legramme.com
Studebaker Metals. Studebakermetals.com
Yannis Sergakis. Yannissergakis.com
Mad Lords. Madlords.com
ICYMI. Icymi.fr
White Bird. Whitebirdjewellery.com
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