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Sous l’impulsion de jeunes entrepreneurs aussi amoureux de la nature montagnarde qu’en quête de projets éthiques et responsables, la laine du massif pyrénéen respire à nouveau et sa filière s’organise.
Tout le monde apprécie ces pulls nordiques proches des shetlands écossais. Si, devenus célèbres, ils figurent, cet hiver encore, dans les lookbooks, c’est aussi grâce aux… séries, comme The Killing ou Trom. Au fil des épisodes, ce vêtement consolide le caractère du personnage qui l’arbore, et redonne, en sus, de l’énergie à un artisanat 100 % local. Comme, par exemple, le chandail traditionnel du pêcheur des îles Féroé, qui bénéficie d’un incroyable revival. La laine du massif pyrénéen a également le vent en poupe.
On aimerait que son cousin des Pyrénées connaisse le même succès. Les pulls en laine à grosse maille ne sont en effet pas l’apanage des Scandinaves, des Irlandais ou des Écossais ; les bergers du massif pyrénéen en font et en portent depuis belle lurette, même si l’on n’en entend plus parler.
Qui se souvient des publicités pour les laines du massif pyrénéen ? Ou des robes de chambre portées dans les films de Claude Chabrol ? La fast fashion a eu raison de ces modèles à tricoter soi-même, même si elle utilise encore leurs pelotes. Car, quand, après la tonte, la toison n’est pas brûlée par les paysans, faute de débouché – les déchetteries les refusent –, les ballots de laine en suint sont expédiés et bradés en Asie d’où ils reviennent sous la forme de vêtements.
Des ateliers qui se font rares
Ainsi, presque toute la filière a disparu et il n’existe plus, en France, que quelques ateliers de traitement, parmi lesquels le Lavage de laines du Gévaudan, à Saugues (Haute-Loire), et Sibada Laines, la filature de Niaux (Ariège). Mais, du Pays basque à l’Occitanie, les initiatives se multiplient, portées par une génération de jeunes entrepreneurs qui ont fait une croix sur leur carrière tracée en ville.
Ainsi, après des études à Montréal, Jean Delatour Ventura, ingénieur, s’installe à Masparraute (Pyrénées-Atlantiques) pour créer une entreprise en lien avec le monde agricole, Tokilia. Choqué par la catastrophe écologique qu’il découvre en montagne – le pastoralisme traditionnel entretient les pâturages –, il veut collecter la toison des brebis afin que, à terme, plus un seul poil ne soit détruit au Pays basque.
Il lave, carde et tisse, mais, à l’habillement, il choisit une autre voie : l’ameublement, en rembourrage comme en habillage, ainsi que le fil à façon pour des collaborations avec des créateurs de mobilier et des designers. « On sent un intérêt fort pour ces produits qui s’inscrivent dans une démarche responsable », confie-t-il.
Laetitia Modeste était, elle, issue de la mode parisienne quand elle a conçu son pull masculin Modeste. Pour plaider sa cause éthique, elle parcourt plus de trois cents kilomètres à vélo, reliant ainsi tous les artisans, du berger au fileur, qui concourent à sa création. Aujourd’hui, dans son atelier-boutique de Montpellier, elle fabrique ses pulls masculins qui plaisent aussi aux filles.
« Ce n’est pas la crise sanitaire qui a suscité ce sursaut, note Pascal Gautrand, délégué général du Collectif Tricolor. Mais la prise de conscience de la désertification industrielle et artisanale à travers l’émergence du made in France. C’est d’ailleurs lors d’un salon Made in France (MIF), en partenariat avec Première Vision, que le Collectif est né. »
Tricolor participe, avec l’Agence des Pyrénées, au renouveau de cette filière qui s’étire de l’Atlantique à la Méditerranée. Loin de la Nouvelle-Zélande et de ses millions de brebis, dans les hauts pâturages des vallées d’Aspe, du Barétous ou de l’Ossau, les élevages comptent en moyenne 300 brebis (basco-béarnaises et manech tête noire ou tête rousse). « Du fait de la longue saison passée en plein air et en altitude, ces brebis laitières développent une laine résistante, saine, isolante, gonflante, chauffante », se réjouit Marc Haritchabalet, éleveur à Lanne-en–Barétous.
Appréciable quand les températures baissent… Mais, si l’on veut enfiler un de ces pulls en laine du massif pyrénéen, il faut que les producteurs de sa matière soient rémunérés au juste prix et que la filière s’organise. Ce à quoi s’emploie l’Agence des Pyrénées, organisme investi à fédérer les métiers de la laine et à leur inventer de nouveaux usages.
3 questions à John Palacin - Président de l’Agence des Pyrénées et conseiller régional d’Occitanie.
La laine de montagne, c’est un enjeu pour la région ?
Nous sommes arrivés à une situation absurde où cette laine qui a été utilisée pendant des siècles est détruite. Donc, oui, cela en est un, d’autant plus quand on parle de circuits courts, où l’on s’interroge sur le gaspillage, la sobriété… Mais l’enjeu est aussi de se demander à quoi elle peut servir et comment elle peut se substituer à des produits importés. Une réflexion sur les investissements collectifs à lever.
C’est une question de moyens ?
Les moyens, ce n’est pas toujours ce qui manque. Ce qu’il faut, c’est expérimenter une plate-forme de l’offre et de la demande afin de savoir à quel prix on peut tondre, trier, laver… On regarde ce que fait la British Wool [organisme britannique géré par des agriculteurs pour soutenir la filière, NDLR] pour nous en inspirer. Cela demande de mobiliser, fédérer les éleveurs, peut-être sous forme de coopératives. On doit sourcer la laine, en avoir une traçabilité pour créer une certification. Sur le plan politique, cette relocalisation est inspirante.
Reconstruire une filière, c’est long ?
On réfléchit à l’échelle de cinq à sept ans. La pandémie, la guerre en Ukraine obligent à recréer des emplois, à avoir des fabricants locaux. C’est une nécessité industrielle, économique et sociale.
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