Food
The Good Guide
Sur le large trottoir de la rue Jean-Pierre Timbaud, les initiés se pressent et les néophytes s'inquiètent. Goûteront-ils au sacré Graal, ce soir ?
J’ai vécu longtemps avec deux certitudes : je n’aime ni le fromage, ni les pizzas. Pour le premier, ça comprend — non ? Qui a envie de manger quelque chose qui a moisi des mois dans une cave sombre ? Pour les pizzas, c’est plus compliqué. L’idée n’est pas que je déteste ces galettes plates surchargées (parfois souschargée) d’ingrédients divers et farfelus… Plus que le tout, réuni sur une pâte trop molle ou trop épaisse, qui s’effondre sur les genoux ou est impossible à mastiquer, ne me réjouissais guerre — jusqu’à ce dîner chez Rori.
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Tout le monde veut une part de Rori
Juste avant l’été, Paris s’est subitement enflammée pour une nouvelle vague de pizzerias. Certaines promettaient une version gastronomique du classique italien, d’autres promettaient une expérience 100 % new-yorkaise. Mais Rori, perché en haut de la rue Jean-Pierre Timbaud, a pris une autre voie, la sienne.
Pas besoin d’un grand espace pour imposer son style : une dizaine de tables au maximum et un comptoir en acier pour observer le ballet des pizzaiolos. L’atmosphère est soignée, les luminaires signés par Axel Chay, superstar du design français. Les murs cirés de rouge ajoutent une touche retro bien dans l’air du temps. Les carafes et verres en Inox, à disposition sur la table dès qu’on s’y installe, s’inscrivent dans la tendance du moment. 10/10 pour la déco.
Installée au comptoir, on apprécie mieux l’énergie de la salle. La hauteur des chaises haute est idéale, la place parfaite pour deux, offrant une bulle d’intimité dans une salle vivante, rythmée par une playlist tout droit sortie d’un road trip californien. Même dans les toilettes, les tubes continuent à plein volume. On s’y croirait presque.
Le chef Florent Peineau m’explique que l’idée d’une pizza à la pâte fine et craquante est venue d’un séjour gourmand intensif à New York. De passage avec aux Etats-Unis avec Angela Kong et Antoine Bernardin, les propriétaires de Rori et du restaurant Bouche, installé de l’autre côté de la rue, où le chef signe également la carte, le trio fomente son prochain projet. « On avait dans l’idée d’ouvrir une pizzeria à notre sauce. Je ne voulais pas forcément proposer de pâte à la napolitaine. C’est à New York que nous ait apparue l’idée d’une pizza plus ferme, plus croustillante, tout en restant fine. »
Chez Rori, les pizzas prennent aussi des airs de petites œuvres d’art. Prenez la pizza aux pommes de terre que nous avons goûtée : de fines lamelles sont disposées avec une précision quasi-chirurgicale, comme si chaque morceau avait été soigneusement posé à la pince à épiler. Une esthétique qui, sans surprise, passe à merveille sur les réseaux sociaux. Pour les puristes, on retrouve une option plus classique, toute new-yorkaise, à la sauce tomate et aux pepperoni. Mais l’originalité est reine : Rori promet une pizza « spéciale » chaque mois (mozzarella, fenouil, finocchiona et chili flakes ce mois-ci).
Ma première pizza — pas la dernière
Pourquoi ai-je aimé ces pizzas, moi qui ne les aimais pas avant ? Peut-être parce que chaque ingrédient est maîtrisé, la garniture parfaitement dosée, ni trop généreuse, ni trop discrète. Et, malgré une vaste circonférence — vous devriez voir la taille des cartons pour les commandes à emporter —, chaque part, de la pointe à la croûte, conserve une texture ferme et croustillante tout en évitant l’écueil d’une croûte trop épaisse.
Rori n’est pas un coup d’essai. C’est le second restaurant d’Angela et des propriétaires de Bouche, l’adresse bistronomique située juste en face. Pour faire écho à leur premier lieu, le duo propose dans sa nouvelle adresse de s’ouvrir l’appétit avec une dizaine d’entrées simples mais efficaces (une stracciatella agrémentée de piment padrons, une croquette rectangulaire à la ‘nduja, une saucisse piquante italienne) car une pizza fine, c’est aussi une pizza moins lourde.
Pour les amateurs de bouchées plus consistantes, Rori propose également une pizza inspirée des pâtes siciliennes, entre la focaccia et la pizza classique. Une part, plus roborative, qui, selon le chef Peineau, saura rassasier même les plus gourmands.
Rori contente ainsi tous les goûts, même les plus critiques — et le mien ! Mais une constante demeure : l’accueil chaleureux et souriant, même si l’on doit s’armer de patience. Car depuis cet été, Rori est devenu l’une des adresses les plus prisées de Paris. Réserver plusieurs jours à l’avance est désormais la norme, et il n’est pas rare d’y croiser des visages familiers à l’extérieur.
Restaurant Rori
96 Rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris
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