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Nouveau directeur général de Renault, cet Italien chaleureux sort auréolé de succès après un passage convaincant à la tête de Seat. Son arrivée marque une volonté de clôturer le chapitre Carlos Ghosn, et l’ouverture de chantiers colossaux pour relancer une marque en danger.
Lorsqu’on l’avait rencontré, en 2018, à Martorell, au siège de Seat, Luca De Meo avait insisté pour faire l’interview en français. Puis, au cours de l’échange, il s’était tourné vers son directeur de la communication et lui avait glissé, comme si nous étions déjà partis : « Dis donc, ils posent des questions pertinentes nos amis. » Loin de nous l’idée de verser dans l’autocongratulation, l’intérêt de l’anecdote tient à ce qu’elle témoigne du style du nouveau directeur général de Renault.
Non content de parler italien, anglais, espagnol, allemand et donc français, Luca De Meo est un charmeur, qui adore les atmosphères conviviales et le ping-pong intellectuel. A 53 ans, ce natif de Milan est aussi un spécialiste du marketing et de l’image de marque. En trois décennies de carrière dans l’automobile, il a gravi les échelons au sein des groupes Fiat et Volkswagen. C’est ce savant mélange qui a convaincu le conseil d’administration de Renault d’en faire son capitaine dans la tempête.
De 0 à 500
Chez Renault, De Meo débarque dans une maison qu’il connaît : il y a commencé sa carrière, au marketing, en 1992. Mais là où il avait quitté une entreprise en pleine expansion, en 1998, son retour s’effectue dans un contexte maussade. Avant même la pandémie de Covid-19, Renault était en proie à une instabilité chronique liée à la chute rocambolesque de Carlos Ghosn, puis à la transition ratée avec Thierry Bolloré.
Et à ce tableau s’ajoute bien des ombres, comme le résume Alain-Gabriel Verdevoye, grand reporter à Challenges et fin connaisseur de la maison. « Tout est gelé au sein de l’alliance avec Nissan et Mitsubishi depuis deux ans. La relance du haut de gamme a été un échec complet. Idem avec le Scenic, sur lequel ils ont beaucoup misé, car le segment des monospaces est en déclin. Renault est bien sur les petits modèles et le low cost, mais son image est très bas de gamme. »
Un sacré défi, donc. Mais si Renault a choisi De Meo parmi les prétendants, c’est qu’il coche justement les cases de la mission : la planification de nouveaux produits et la métamorphose d’une image de marque sont les deux domaines où l’Italien excelle.
A ce stade, un coup d’oeil dans le rétroviseur s’impose. Après son départ de Renault et quatre années passées chez Toyota Europe, Luca De Meo rejoint Fiat en 2002. Vice-président commercial de Lancia, il besogne dans son coin pendant deux ans, jusqu’au jour où Sergio Marchionne, administrateur de Fiat, débarque dans son bureau de Mirafiori.
L’homme de confiance des Agnelli s’entiche du phénomène et l’intègre au clan fermé de ses « Marchionne boys ». Suivant les enseignements distillés par son mentor, Luca De Meo fait de Lancia le laboratoire de la méthode qu’il ne va cesser d’affiner. Il relance la marque avec l’Ypsilon, puis la Musa, deux modèles pensés pour de jeunes femmes sensibles au glamour.
Pour réussir, le trentenaire sollicite l’expertise de dirigeantes de revues de mode italiennes et se paie Carla Bruni pour l’une des campagnes. Le succès est au rendez-vous. Alors, en 2007, Marchionne consacre son poulain : De Meo pilotera le lancement de la nouvelle Fiat 500, icône maison absolue. Il va signer l’un de ses plus grands coups. Plutôt que d’imaginer une stratégie de positionnement au doigt mouillé, Luca De Meo, féru de numérique, monte un site où chacun peut concevoir la 500 de ses rêves.
Cette opération 2.0 avant-gardiste cartonne : deux millions d’enthousiastes participent. La nouvelle Fiat 500, initialement envisagée comme un modèle à bas prix, est repensée comme un produit de mode. « L’idée a été de proposer une voiture bourrée de technologie, écologique, sûre, personnalisable, et à un prix assez élevé pour la catégorie, bien qu’abordable », écrit-il dans son livre Da 0 a 500. « Cette voiture qui coûte en fabrication quelques centaines d’euros de plus que la Panda se vend en moyenne de 1 000 à 1 500 euros de plus », claironnera Luca De Meo.
De Meo, homme de storytelling
Dans la foulée, Marchionne le nomme à la tête d’Alfa Romeo, mais sur fond de crise économique et de moyens limités, il lui fixe des objectifs inatteignables. Se produit alors l’impensable : Luca De Meo se brouille avec son mentor, et met les voiles en 2009.
Chez Volkswagen, on est ravi de récupérer une telle étoile montante. Le transfuge fait ses gammes au poste de directeur marketing à Wolfsburg, apprend l’allemand en un an, est promu à la direction des ventes d’Audi en 2012, jusqu’à la consécration ou presque : en novembre 2015, en plein dieselgate, le directoire du groupe Volkswagen confie les rênes de Seat à l’Italien.
Objectivement, De Meo débarque dans un contexte favorable. Jürgen Stackmann, son prédécesseur, a remis la marque sur d’excellents rails financiers, et le lancement de la Leon a donné un sacré coup de vernis à l’image de Seat.
Mieux, l’Allemand lui lègue une enveloppe de 3,3 milliards d’euros d’investissement. Mais avec sa faconde et sa proximité, Luca De Meo insuffle un enthousiasme incroyable à Martorell. Ramón Casas, le responsable de la ligne de montage de la Leon, près de trois décennies de Seat dans les pattes, nous confiait, séduit, en 2018 : « Luca nous a apporté de la fraîcheur, et une manière de travailler plus libre, plus créative et plus autonome. Il vient régulièrement faire un tour sur la ligne, discute avec les employés, en prend parfois une dizaine pour un petit déjeuner, et écoute les problèmes. C’est une démarche inhabituelle de la part d’un président. »
Sous son égide, Seat devient plus sexy que jamais et, forcément, les ventes explosent, non seulement en Espagne et en Italie, mais aussi sur des marchés réputés plus difficiles, à cause d’un déficit d’image, notamment en France ou en Allemagne. De Meo ouvre aussi le chantier de l’électrification et joue la carte du digital à fond. Audace ultime, il va jusqu’à inaugurer une nouvelle marque, Cupra, proposant des véhicules racés et musclés à des prix de vente moyens bien supérieurs à ceux d’une Seat classique.
Cette approche, il l’a déjà éprouvée, avec succès, en Italie, lorsqu’il avait relancé Abarth, un label sportif appartenant à Fiat. Sans chichi, De Meo nous avait exposé la stratégie Cupra lors de notre rencontre, au moment du lancement. « Si on est capable de construire un storytelling différent de la marque Seat, de la conception du produit jusqu’à la distribution et la communication, ça peut nous permettre d’accéder à une clientèle qui autrement n’achèterait pas une Seat. Je l’ai vu avec Abarth : j’en ai livré à des gars “rich and famous” en Italie qui, normalement, ne conduisent pas des Fiat. »
Un des cadres de Seat nous confie à quel point ce lancement est un tour de force : « Cupra, c’est son bébé. Il a réussi la gageure de vendre au groupe le lancement d’une nouvelle marque. En Europe, ça n’arrive que tous les dix ou vingt ans. Et il a convaincu en interne, dans un monde traditionaliste, de créer une marque à caractère sportif, quand partout on parle d’électrification. »
L’occasion, pour ce dirigeant, de souligner en creux le style managérial De Meo, donnant un aperçu de ce qui attend ses collaborateurs chez Renault. « Luca avait la capacité de lancer une nouvelle idée par jour, sachant que tout n’aboutirait pas. Il était toujours très préparé pour les réunions. C’est quelqu’un qui définit la vision lui-même, mais qui est aussi dans la discussion. Dans la mise en oeuvre, il délègue beaucoup, mais parfois, quand ça ne va pas assez vite, il peut imposer. »
Conquête de nouveaux territoires
S’il est encore trop tôt pour juger du succès de Cupra, personne, à Martorell, n’avait envie de voir « Luca » partir, tant il a rendu une fierté latine à Seat. Matías Carnero, président du comité d’entreprise et délégué syndical UGT, confiait ainsi à l’annonce de son départ que « c’est une très mauvaise nouvelle ».
Herbert Diess, le patron de Volkswagen, lui, s’est résolu à libérer sa star à contrecoeur, en mettant un maximum de bâtons dans les roues de Jean-Dominique Senard, son homologue chez Renault. Résultat, entre la nomination et l’entrée en fonction, De Meo et Senard auront rongé leur frein pendant près de six mois, clause de non-concurrence oblige.
Chez Renault, une maison qui a traditionnellement consacré les ingénieurs plutôt que les marketeux, le choix d’un Luca De Meo a pu dérouter. Alain- Gabriel Verdevoye, lui, y voit au contraire une décision bien réfléchie. « La présidence et la relation avec l’Alliance seront menées par Senart, analyse-t-il. Clotilde Delbos se chargera de la finance pure, et pour l’ingénierie et l’industriel, Gilles Le Borgne fera le boulot. Ce qu’il manquait, ce sont des vendeurs et des gens du marketing, pour améliorer l’image de marque. Il a exactement ce profil. C’est à la fois la force et la limite potentielle du personnage. Comme il n’est pas ingénieur, et pas allemand, il ne serait jamais devenu président de Volkswagen. Mais là, s’il s’y prend bien, il sera PDG de Renault. »
Avant cela, il devra toutefois inventer de nouveaux concepts et produits, se mettre les ingénieurs dans la poche, apprendre à travailler en Extrême-Orient, notamment au Japon, et composer avec les ingérences de l’Etat français, autant de territoires inconnus.
Mais comme le note l’un de ses proches, « Luca a vécu dans quatorze pays, travaillé pour des Japonais, des Allemands, des Français. Même s’il a son style, il s’adapte toujours à son environnement. » Les défis qui l’attendent sont donc gigantesques, mais jusque-là, l’Italien ne s’est jamais cassé les dents. Réputé pour adorer les honneurs et les récompenses, nul doute que s’il parvient à redresser la barre de ce navire mal en point, elles ne manqueront pas de pleuvoir de toute part.
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