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Les néo-gourous du vin nature décrédibilisent-ils le travail des anciens ?

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Si les prémices du vin naturel remontent à plusieurs millénaires, son histoire contemporaine date des années 80, années durant lesquelles une poignée de vignerons courageux osèrent produire des vins sans produits chimiques.

Le vin naturel étant désormais dans le goût de l’époque, la mode aura fait naître des vocations chez certains néo-vignerons ces dernières années, arborant une approche dogmatique, quitte à produire des vins déviants et à porter préjudice au travail des anciens.


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Une brève histoire du vin naturel

Si les origines du vin produit naturellement remontent aux vinifications géorgiennes 7 000 ans avec J.C, son histoire contemporaine prend racine au début du XXème siècle. Notamment avec les grandes grèves des ouvriers viticoles, qui revendiquaient déjà la production de « vin naturel », expression reprise lors du rassemblement d’un demi-million de vignerons à Montpellier le 9 juin 1907 dont le slogan fut « Vive le vin naturel ! ».

Mais au sortir de la Première Guerre mondiale, période durant laquelle l’industrie était focalisée sur la production d’armes et de munitions, les stocks restants de produits chimiques, y compris de nitrates de potassium, ont commencé à être proposés aux vignerons, promettant de meilleurs rendements et des vignes plus résistantes aux maladies. S’ensuivit l’avènement des désherbants chimiques dans les années 60s, des pesticides et insecticides assurant une aide considérable sur le court-terme pour les travailleurs de la terre qui participeront sur le temps long à l’appauvrissement des sols, à l’accoutumance des parasites aux molécules de synthèse – et paradoxalement à l’arrivée de nouvelles maladies de la vigne…

Heureusement, une poignée de vignerons valeureux et visionnaires continuèrent de travailler au plus proche du vivant, tant au niveau de la vigne que de la vinification, portés par un certain nombre de coutumes et convictions : tradition familiale, principes philosophiques, respect de l’environnement, recherche esthétique, préservation du goût et des arômes… Même parfois par avarice, comme l’explique Jean-Pierre Amoreau dans son livre « Plus pur que l’eau » (Fayard). A l’époque, ces produits étaient déjà extrêmement chers. En somme, une poignée d’irréductibles à des années lumières de certains néo-vignerons et gros faiseurs voyant dans le vin nature une simple opportunité marketing.

Le Massa Vecchia, un vin au fort caractère aromatique, fruit d’une viticulture sans concessions et sans intervention chimique.
Le Massa Vecchia, un vin au fort caractère aromatique, fruit d’une viticulture sans concessions et sans intervention chimique. Gabriele Stabile

Les pionniers du vin naturel en France

Le mouvement contemporain des vins naturels a un père fondateur : Jules Chauvet. Scientifique, négociant et vigneron, ce leveur de coude patenté originaire du Beaujolais aura passé une vie à étudier les mécanismes de la vigne et les processus de vinification, afin d’élaborer les meilleurs vins, avec le moins d’intrants possible : travail des sols, macération carbonique, fermentation en levures indigènes, travail sur les acidités… Collaborant avec les plus grands vignerons, à commencer par Pierre Overnoy dans le Jura, Marcel Lapierre dans le Beaujolais ou Philippe Pacalet en Bourgogne, voire même quelques taverniers de renom, à commencer par Alain Chapel.

Emmenée par le Père Jules, quelques vignerons courageux se lançaient alors contre vents et marées dans la vinification naturelle : Marcel Richaud, Jean-Pierre Robinot, Claude Courtois, Dominique Derain, Marc Pesnot, Pierre Breton, Thierry Puzelat, Jean-Claude Chanudet, Mark Angéli…Des avant-gardistes à leur manière – défenseurs de traditions artisanales et séculaires – à une époque moins avertie sur les risques écologiques et sanitaires.

Ces derniers, prônant le travail biologique dans les vignes, les vendanges manuelles, l’utilisation de principes biodynamiques pour fortifier les plantes et combattre les maladies, les fermentations en levures indigènes, la réduction de l’ajout de souffre (voire son absence totale) et de filtration ont essuyé les plâtres avant tout le monde, et surtout avant que le vin naturel ne devienne à la mode. Se mettant pour beaucoup les membres de leur appellation à dos, y perdant leur agrément (ne respectant pas le cahier des charges de celle-ci), expérimentant des fermentations tournant au vinaigre, des récoltes perdues suite aux maladies de la vigne, voire mettant parfois en péril l’intégralité de leur structure.

Néanmoins, grâce à un travail commun portée par une vision collective au sein de certaines régions (Beaujolais, Loire, Jura en premier lieu), par des locomotives à l’image d’Alain Castex à Banyuls, Pierre Overnoy dans le Jura, Jean-François-Nicq dans le Roussillon ou Pierre Frick en Alsace, à la solidarité entre vignerons et nouveaux arrivants, à l’échange entre vignerons et scientifiques, à un travail méticuleux et à une propreté irréprochable en cave pour éviter le développement bactérien, nombreux sont arrivés à produire des vins naturels stables, reflétant leur terroir, aux palettes aromatiques incomparables, frais, libres, digestes, sains et à grande capacité de garde. Des vins qui, pour certains, dépassent aujourd’hui le millier d’euros par bouteille sur les sites de vente en ligne.

Quand Paris et la province travaillaient de concert au nom du bon glou

L’explosion du vin naturel des années 80 aux années 2000 n’aurait pas eu lieu sans le soutien de la scène œno-bistrotière parisienne, comme le souligne le documentaire Panorama de Nicolas Desdouits. A commencer par certains bars et restaurants : le Lux Bar, la Taverne Henri IV, le Sauvignon, le Café de la Nouvelle Mairie, La Cloche des Halles, le Baratin d’Olivier Camus et Raquel Carena, et plus tard le Chateaubriand et le Septime, qui auront été les fers de lance de toute une génération de néo-bistrotiers promouvant le pur jus.

Des lieux emblématiques où vignerons rhodaniens, ligériens, alsaciens, et jurassiens avaient pignon sur rue, et où l’on se poivrait le moulin jusqu’au lendemain dans des bistrots enfumés, au milieu d’une faune composé de vignerons, restaurateurs, négociants, agents et amateurs éclairés. A l’époque, des ovnis ayant mis en lumière le travail de vignerons confidentiels, érigés depuis quelques années en véritables idoles.

Enfin, les premiers salons de vin naturel accueillaient le grand public : Salon des Vins de la Loire, La Dive Bouteille, ViniCircus, La Remise, puis Sous les Pavés la Vigne… Où l‘on croise aujourd’hui plus de bobos parisiens arborant moustache, Birkenstock et casquette Patagonia que de vieux brisquards d’une autre époque. Sans crier gare, la marge était passée dans la norme.

Le vin naturel aujourd’hui : quand le militantisme prend le pas sur le goût

La boom du vin naturel aura fait naître des vocations. Néo-vignerons quittant l’enfer parisien pour la beauté des campagnes, filles et fils de vignerons reprenant le domaine familial, rares opportunistes flairant le bon tuyau… De cet engouement naît des vins formidables, produits par des vignerons de grande qualité : Julien Castell à Bandol, Maxime Magnon dans les Corbières, Maxime Renaudin dans le Languedoc, Paul Fumoso à Gigondas, Renaud Boyer en Bourgogne, Nicolas Jacob dans le Jura…

De l’autre côté de la barrière, depuis une quinzaine d’années, sévissent quelques ayatollahs du vin naturel, à l’approche sectaire, privilégiant la méthode au résultat et à l’émotion, et dont les vins décrédibilisent le travail des anciens. Lesquels prônent une approche non-interventionniste et dogmatique, le « zéro souffre » (ou 0 sulfite) à hue et à dia, jetant le discrédit sur des décennies de travail de vignerons consciencieux, à l’aune de leur militantisme.

Comme évoqué précédemment, certains procédés, à commencer par la propreté irréprochable de la vinification, doivent être respectés pour produire du vin naturel de qualité, afin d’éviter la prolifération bactérienne, et de fait les défauts du vin (acidité volatile, oxydation, goût de souris, brett, gaz…) que l’on retrouvera à la dégustation : peau de saucisson, vernis à ongle, odeur de ferme, d’œuf pourri… Des défauts qui, si maîtrisés, peuvent pour certains vins apporter une certaine légèreté et se fondre positivement dans la matière.

Ⓒ Polina Tankilevitch / Pexels.
Ⓒ Polina Tankilevitch / Pexels.

« C’est un vin nature, monsieur, c’est comme ça ! »

Du reste, la prolifération de vins empreints de défauts chez les cavistes parisiens, les tables branchées et les bars à vins peu sourcilleux sur la conservation, contribue à fortement à écorner l’image de ce que devrait être un vin nature ou naturel… « Aaaahh, ça sent bien la ferme, le terroir, quoi ! », « C’est un vin funky, rock, punk ! »… Et nos anciens de clamer « c’est dégueulasse votre vin de garage, on dirait celui que faisait mon grand-père avec ses pieds ! ». Et d’apporter de l’eau au moulin des guides et dégustateurs conservateurs, en cheville avec les grands domaines, défendant l’idée que le vin naturel est intrinsèquement mauvais.

Autant d’allégations biaisées et largement répandues, qui corroborent à l’idée que le vin produit naturellement est pétri de défauts et que ces derniers seraient, de fait, la norme. A cet égard, un caviste marseillais reconnu dans le milieu du vin naturel nous soufflait l’autre jour qu’il aurait récemment rembarré un client lui demandant « un vin qui sent le purin »…

Sous couvert de vin naturel, de nombreux professionnels du métier vendent des flacons à l’esthétique déplorable, tant au niveau du nez que du goût, fruit de problèmes de vinification, de transport ou de conservation. Et leurs géniteurs de desservir la cause qu’ils chérissent. Si le serveur vous lance un sec « c’est un vin nature monsieur, c’est comme ça » ou un caviste vous rétorque que vous devriez « éduquer votre palais car vous ne comprenez pas le vin nature », opposez-lui votre plus beau croche-pattes.

En définitive, il convient de rappeler que les vins naturels produits dans les règles de l’art sont empreints d’émotion, sensibles, délicats, fragiles parfois, mais figurent sans nul doute parmi les plus beaux jus du monde. Beaucoup révèleront avec les années leur extraordinaire capacité de garde. Mais en aucun cas vin vivant ne rime avec vin déviant. Les pionniers ont trop trimé pour que leurs connaissances n’infusent pas la nouvelle génération, et qu’une brochette d’aventuriers galvanisés par des idéaux militants viennent travestir leur talent et leur abnégation.


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