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Sous le capot d’une montre, il y a toujours un « moteur ». Mais lequel ? Hormis quelques maisons qui les manufacturent, la plupart des marques se les procurent chez les mêmes motoristes… sans toujours afficher une grande transparence. Explications et tour d’horizon des mouvements les plus célèbres.
Manufacture ou emboîtage ? ETA ou Sellita ? 2824-2 ou 2892-2 ? Employés avec fougue par les passionnés d’horlogerie, ces termes témoignent d’un intérêt aussi précis que récent – une quinzaine d’années environ – pour la mécaniques des montres et le pedigree des calibres qui les font battre. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.
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Les temps modernes des calibres de montres
Jadis, les froides vallées de la Suisse romande et du Jura abritaient un monde horloger aux contours relativement simples. Le marketing n’existait pas, le terme « manufacture » guère plus, et l’on attendait des tocantes qu’elles remplissent leur fonction d’outil du quotidien, aussi fiable que robuste.

Les « moteurs » de ces montres – sauf exception, comme chez Jaeger-LeCoultre, Breguet ou Longines, qui les fabriquaient eux-mêmes – étaient issus des centaines d’ateliers indépendants disséminés entre la vallée de Joux et La Chaux-de-Fonds, Neuchâtel ou Bienne. Au fil des décennies, ces petites entreprises à l’identité parfois oubliée ont conçu et assemblé des mouvements pour toute l’industrie suisse, et au-delà.
Ces mouvements (ou calibres de montres) pouvaient être livrés à l’état d’ébauches, c’est-à-dire en kit, mais aussi partiellement ou totalement assemblés et décorés. Puis, à force de succès, de crises et de concentration capitalistique, nombre de ces ateliers ont fini par se fondre en 1982 dans la gigantesque entreprise ETA.

Depuis, cet ETA dans l’État horloger a fabriqué des dizaines de millions de calibres de montres fignolés et réglés suivant quatre niveaux d’exigence. Cela va du calibre « standard », destiné aux montres automatiques premiers prix, jusqu’au « certifié chronomètre », un calibre réservé au haut de gamme – l’actuelle Tambour Street Diver Chronographe de Louis Vuitton n’est-elle pas équipée d’un ETA 2894-2 ?
Mouvements de rêve
Sauf que notre époque, et l’univers de l’horlogerie n’y échappe pas, se trouve sous le charme d’un redoutable storytelling qui valorise l’authenticité du home made. Par conséquent, une marque de luxe, ou qui se veut horlogère, a tout intérêt à se prévaloir de mouvements « manufacture », créés et assemblés en interne. Une question de noblesse, de prestige et de valeur – perçue ou réelle.

Si l’on prend l’exemple de l’automobile, savoir qu’un moteur diesel Peugeot-Citroën équipe certaines Jaguar, ça ternit quelque peu le rêve. À moins que le moteur ne soit aussi de la bombe, comme dans l’iconique Rolex Daytona. Jusqu’au lancement en l’an 2000 de son propre calibre manufacture, le 4130, Rolex montait ses « Dayto » avec l’excellent Valjoux 72.
Puis la marque à la couronne s’est fournie chez Zenith – en modifiant quelque peu son légendaire calibre El Primero. La qualité et le prix des Daytona d’avant 2000 n’en ont pas pâti, bien au contraire. Volontiers entretenue par le marketing des marques de montres, la nouvelle mode des calibres manufacture surfe sur un flou artistique grandissant.

En effet, les motoristes, ainsi qu’on appelle les fabricants de calibres de montres, proposent de tels niveaux de personnalisation à leurs clients (de la maison ultraconnue à la petite marque horlogère lancée par des copains sur Kickstarter) que ces derniers peuvent être tentés de rebaptiser les calibres… et d’entretenir l’ambiguïté sur ce qui est « in house » ou non, manufacture ou seulement « emboîtage » – quand un horloger se contente d’installer un mouvement joliment décoré dans une boîte siglée. Et comme rien n’oblige les marques à indiquer la provenance de leurs mouvements ni de leurs centaines de composants, le public peut y perdre totalement son latin.
L’ETA autonome
Cela se complique encore lorsqu’on sait que le Swatch Group, propriétaire d’ETA, a peu à peu fermé le robinet des calibres vendus aux marques tierces, préférant les réserver à ses maisons de montres comme Tissot, Hamilton ou Longines… D’où l’essor soudain d’autres motoristes, tenus de grandir à toute vitesse pour fournir les horlogers privés d’ETA. Comment faire ? Un mouvement inédit demande des moyens financiers et industriels colossaux, sans compter un savoir-faire d’exception.

Mais voilà : comme ces bons vieux « tracteurs » (le surnom affectueux donné à quelques calibres ETA) attestent de décennies de fiabilité et que, de surcroît, leurs brevets sont tombés dans le domaine public, autant les copier ! Prenons le 2824-2, un trois-aiguilles avec date, sûrement le calibre le plus précis jamais produit à l’échelle industrielle.
Puisqu’il est quasi entièrement réservé au Swatch Group, tous les motoristes vendent désormais des clones du 2824-2, affichés comme tels et aussi performants : ainsi des Suisses de Sellita et leur SW-200. Si, de facto, un mouvement découle souvent d’une architecture connue et d’ancêtres illustres, le but des constructeurs est d’en améliorer sans cesse les performances (réserve de marche, amagnétisme, précision) au fil des années et des nouvelles itérations.

Voilà comment, malgré ou grâce à la politique du Swatch Group, les motoristes se développent, tels que La Joux-Perret et son calibre G100 (utilisé entre autres par Frederique Constant ou March LA.B), Soprod et son Newton ou son M100 (qu’on retrouve chez Serica), ou encore, dans le haut de gamme, Vaucher Manufacture Fleurier, célèbre pour son calibre extraplat Seed VMF 5401 et ses variantes personnalisables (parmi les clients : Hermès, Parmigiani Fleurier ou Richard Mille).
Calibres de montres : manuf’ ou emboîté ?
Malgré tout, certaines maisons continuent de créer des mouvements authentiquement manufacture. Dans le très haut du panier suisse, on retrouve François-Paul Journe ou Romain Gauthier, ainsi que des maisons horlogères plus que centenaires, telles que Rolex, Patek Philippe ou Vacheron Constantin.

Au Japon, citons Seiko et Citizen, et en Allemagne, A. Lange & Söhne ou, sur un versant plus abordable, la jeune marque Nomos Glashütte. Alors, faut-il privilégier un « manuf » ou non ? Réponse de Normand : tout dépend. Un ETA, Sellita ou La Joux-Perret finement réglé lors de l’emboîtage peut être aussi bon, voire meilleur, qu’un mouvement in house tout neuf à la fiabilité non éprouvée.
Et surtout, il sera plus aisément réparable, et pour moins cher. Le seul problème, finalement, c’est celui du flou. Du manque d’informations. Des prix trop élevés eu égard aux mouvements plus ou moins « maison » (plutôt moins que plus). Aujourd’hui, stimulées par l’engouement pour l’horlogerie, les innovations continuent de fleurir.

Chez les Japonais, où l’on conçoit depuis toujours des calibres de haut vol, Citizen a lancé en 2022 le Miyota 9075, un véritable GMT, aussitôt suivi par Seiko et son NH34 : deux nouveautés qui permettent à la sophistiquée fonction GMT d’équiper des montres à moins de 1 000 euros. Quant au succès mondial de Tissot avec la PRX, il doit beaucoup au calibre Powermatic 80, un héritier du 2824-2 dont la réserve de marche a été portée à 80 heures.
Sous des noms différents et avec de légères modifications, le Powermatic 80 équipe désormais plusieurs maisons du Swatch Group. Peu à peu, cette tendance initiée par Nicolas Hayek et le Swatch Group (produire des calibres réservés à ses marques) gagne d’autres acteurs du marché tels que LVMH. La division horlogère du groupe français tend à faire de Zenith son fournisseur de calibres pour les maisons de son portefeuille, comme Gérald Genta, TAG Heuer ou Dior.

À l’inverse, le groupe Rolex-Tudor, avec Kenissi, une manufacture de mouvements créée dans les années 2010, semble privilégier une certaine ouverture. Si Kenissi était à l’origine vouée à équiper Tudor de calibres ultraperformants, labellisés COSC et Metas, il vend aujourd’hui son expertise à Chanel, Breitling, Bell & Ross ou encore Norqain. Tic-tac, la recomposition horlogère est loin d’être finie.
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