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Orient Express un train nommé désir - the good life
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The Good Culture // Gastronomie

Peut-on (vraiment) bien manger dans un train ?

Gastronomie

The Good Culture

C'est la question que tout le monde se pose. Parce qu'il n'y a pas que les croque-monsieurs de la SNCF dans la vie...

Et la réponse est oui, à condition de regarder ce qui se fait partout ailleurs. D’Izmir à Saint-Pétersbourg, en passant par Dodoma ou Bali, tour du monde des repas à manger à bord d’un train et en gare dans le monde entier.


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Manger comme au palace dans les trains de luxe

« On pourrait dire que l’offre ferroviaire se divise en trois types de train à travers le monde, résume Jean-Baptiste Bonaventure, auteur de Voir le monde en train, 80 aventures ferroviaires inoubliables, paru à l’automne dernier aux éditions du Chêne. Il y a les trains touristiques, qui ne proposent que très rarement un repas à bord, les trains de voyageurs classiques où la cuisine varie en qualité et les trains de luxe et leur menu gastronomique. » L’Orient Express, The Royal Scotsman en Ecosse et The Golden Eagle sur le réseau du transsibérien sont littéralement des palaces sur roues qui mobilisent des chefs étoilés, à l’instar de Jean Imbert du Plaza Athénée qui signe la carte du Venice Simplon-Orient-Express depuis 2020.

Au choix pour le dîner : homard ou turbot sauce champagne et pour le brunch oeufs brouillés au caviar fourni par Petrossian, partenaire du voyage. L’entreprise Belmond, spécialiste de l’hôtellerie de luxe, est derrière tout ce décorum. Elle propose de nombreux trains d’exception à travers le monde et joue souvent la carte locale pour les repas à bord en choisissant des chefs originaires des régions traversées. En décembre 2023, c’est Jorge Munoz, natif de Lima et adepte de la cuisine Nikkei qui a été nommé à la tête des fourneaux de deux trains mythiques de la compagnie, l’Andean Explorer et le Hiram Bingham. Un clin d’œil aux spécialités péruviennes certes mais résolument tournée vers la haute gastronomie, le chef ayant obtenu une étoile sous la houlette d’Albert Adria à Barcelone.

Le tourisme commence aussi dans l’assiette. Au Brésil, on traverse une partie de l’Amazonie à bord du Serra Verde et l’on commande un barreado, une des spécialités du pays : « Le serveur remplit d’abord l’assiette de farine de manioc, avant de verser un mijoté de viandes – le plus souvent de bœuf et de bacon, décrit Jean-Baptiste Bonaventure. Il mélange ensuite le tout pour obtenir une sorte de pâte sur laquelle le client dispose lui-même des tranches de banane. »

Luxe, calme et volupté, mais aussi paradoxe et démesure rappelle l’auteur : « Dans le wagon-restaurant du Blue Train en Afrique du Sud, les tables sont dressées et les passagers sur leur 31 pour manger ont le choix entre les cinq plats au menu et un plateau de fromage. Le champagne coule à flot et cigares sont même proposés à la vente alors que le train longe les townships, bidonvilles du pays hérités de l’apartheid. »

L’Orient Express du groupe Accor dévoilera bientôt ses menus.
L’Orient Express du groupe Accor dévoilera bientôt ses menus.

Samovar, nouilles instantanées et nappes plissées

Lorsqu’on lui demande son plus beau souvenir de repas pris sur les rails, Jean-Baptiste Bonaventure nous parle d’un riz sauté aux cebettes, acheté à un vendeur ambulant à bord du train Xi’an-Chengdu, reliant les provinces du Shaanxi et du Sichuan. Chariot de passage, collation prise sur son siège ou dans les couloirs, l’offre rudimentaire fait partie du trajet là où l’objectif premier est de se rendre le plus rapidement possible à destination, et non pas de flâner entre les wagons.

En Chine, pas de train sans un thé brûlant. La bouilloire est à libre disposition pour verser l’eau chaude, aussi bien dans une tasse que pour préparer l’un des plats les plus consommés à bord : les nouilles instantanées. Une même habitude qu’on retrouve étonnamment en Russie à bord du transsibérien où tout le monde se rassemble autour du samovar d’usage public pour déguster sa noodle cup bien chaude : « Contrairement à une idée reçue, le transsibérien n’est pas un train conçu pour assouvir des fantasmes de voyages enneigés mais bien pour relier les villes de part et d’autres du pays. Les Russes l’empruntent pour aller travailler sur un chantier, pour rendre visite à une grand-mère malade… »

Du côté des voiture-bar, certaines compagnies ferroviaires, comme la CFF en Suisse, ont réhabilité le service à table : une trentaine de couverts disposée sur des nappes blanches dans un wagon de train épuré où l’on commande à manger comme au restaurant en consultant un menu toujours orienté vers les spécialités helvétiques. Même si l’addition reste salée, cette offre de restauration sur rails trouve ses clients, dans un pays où l’on circule plus en train que dans les autres pays européens tant le réseau ferroviaire y est développé. Aux Etats-Unis, c’est la qualité de la cuisine de la compagnie Amtrak qui maintient les wagons restos à flots avec un investissement dans des véritables cuisines permettant par exemple des grillades à la commande.

Un train au Sri Lanka.
Un train au Sri Lanka. belmond

« Une cuisine dans un train, c’est autant de sièges manqués »

Comment expliquer une telle disparité ? « Cuisiner demande de l’énergie et une ressource en eau à embarquer avant le départ. Mais le nerf de la guerre, c’est l’espace. Un réfrigérateur et une cuisine équipée, c’est autant de sièges passagers manqués pour la compagnie. » Et Jean-Baptiste Bonaventure de rappeler que l’intérêt de la SNCF, par exemple, vise plus à réduire le temps de trajet entre les villes de France qu’à investir dans carte de la voiture-bar : « Cela explique en partie la médiocrité des plats proposés et la déception à l’arrivée des collaborations avec des chefs notoires : les recettes sont pensées pour être transportées et réchauffées dans le petit espace du wagon-bar, pas pour être cuisinées sur place. »

Compliqué de cuisiner à bord, mais pas impossible. Quitte à allumer les feux et prendre des risques. La compagnie des chemins de fer indonésien emploie des chefs pour cuisiner des nasi goreng à la minute, dans un wok crépitant sur les flammes. Autre exemple, en Tanzanie, l’une des deux lignes du pays possède une cuisine improvisée de deux mètres carrés où les repas commandés sont préparés directement devant vous. Les casseroles mijotent et tanguent dans un wagon bringuebalant, les fritures sont d’autant plus périlleuses : « Plus la réglementation est stricte dans un train, moins vous aurez de chance de bien manger. »

Ajoutez à cela les trains qui ne possèdent pas d’offre de restauration à bord — et ils sont nombreux à travers le monde. Le salut se trouve alors à quai ou en gare, le Japon en a d’ailleurs fait sa spécialité avec ses ekiben, dont le nom est une contraction d’eki uri bento, qui signifie « plateau-repas vendu en gare ». Leur composition varie selon la région où vous prenez le train : le poulpe est par exemple très recherché dans les ekiben des provinces de l’Ouest mais le raffinement de ce plateau à emporter est au rendez-vous dans tout le pays.

En Inde, des petits kiosques sont souvent installés sur le quai et l’on y achète de la viande fondante, des crêpes et du riz épicé, emballés dans du papier et qui se mangent avec les doigts. En France, les croque-monsieurs vendus à bord et autres risottos tassés dans des bocaux sont souvent décriés pour leur rapport qualité-prix.

Et si on prenait le temps de bien manger avant de prendre le train ? Les buffets de gare se sont d’ailleurs refait une beauté dans l’hexagone et nombreux sont les chefs ayant investi dans ces lieux de passages, comme l’avait analysé François Simon en 2022.

Mollard, fondée en 1895, est l’une des brasseries historiques de Paris.
Mollard, fondée en 1895, est l’une des brasseries historiques de Paris. jean-louis-vandevivere

« Voir le monde en train, 80 aventures ferroviaires inoubliables », Jean-Baptiste Bonaventure, éditions Du Chêne.

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