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The Good Culture
De « L’Ile des oubliés » à « Sa Majesté des mouches », en passant par « Sukkwan Island », The Good Life a quelques suggestions à faire pour faire passer le temps sur sa serviette.
« Îles » ne riment pas toujours avec paradis. Elles peuvent en effet aussi être des lieux de secrets, de survie ou d’enfermement… Voici une short-list de livres à lire cet été.
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1 – Secrets de famille
Une jeune Anglaise part en Crète à la recherche de ses racines. Et face au village de sa mère se dresse une île mystérieuse, en forme d’animal allongé, Spinalonga. Plus qu’un ghetto, c’est une microsociété qu’elle va alors découvrir.
Succès mondial, écrit à partir de faits réels, L’Ile des oubliés pourrait rebuter les férus de grande littérature. Les personnages sont un poil manichéens et l’intrigue file droit comme dans les meilleurs page-turners. Pour autant, à mesure que secrets et intrigues de famille se dévoilent, on se laisse emporter par le souffle du meltem.
Véritable témoignage historique, avec des personnages de femmes forts et émouvants, cette saga intergénérationnelle a tous les accents d’une tragédie antique. Sens du devoir et amour impossible sont les piliers du destin. Reste le besoin de transmettre, de témoigner ou de fuir la fatalité. « L’Ile des oubliés », l’un des livres à dévorer cet été.
L’Ile des oubliés, Victoria Hislop, Le Livre de Poche, 528 p., 9,70 €.
2 – Voyage sans retour
Avec son complice Robert Bober, Georges Perec réalisa en 1979 un documentaire sur Ellis Island, l’île des Larmes, porte d’entrée vers l’Amérique, face à Manhattan. De ses pérégrinations et observations dans ce centre de transit abandonné est sorti un étrange opuscule où se retrouvent les grandes thématiques de son œuvre.
À savoir l’errance, la recherche de l’identité et la disparition : « Ellis Island est pour moi le lieu même de l’exil, c’est-à-dire le lieu de l’absence de lieu, le non-lieu, le nulle part. » À l’embouchure de l’Hudson, il redonne un nom, un parcours, un objet à tous ces oubliés de l’histoire.
Seize millions de personnes qui, de 1892 à 1924, accomplirent un voyage sans retour. Minutie, sens du détail, anecdotes, tout l’arsenal perecquien est ici déployé pour faire revivre, l’espace de quelques pages émouvantes, l’utopie d’une vie meilleure. Rare et important travail de mémoire.
Ellis Island, Georges Perec, P.O.L, 80 p., 10,50 €.
3 – Échange a sens unique
Le postulat de départ est simple. Un jeu digne de l’Oulipo. Écrire une lettre quotidienne à un atoll hostile et inhabité de 1,72 km2 perdu dans le Pacifique : tout résident, 98799 La Passion-Clipperton. Folle entreprise poétique où Clipperton devient un personnage, un confident, un « cher ami ».
À travers une écriture puissante et ludique, Irma Pelatan revient sur l’histoire de l’îlot depuis sa découverte, son occupation par les Mexicains jusqu’à ses plus intimes tragédies : cyclones, meurtre, naufrages et sentiment d’abandon. Elle déverse au fil de ses digressions épistolaires ses propres joies, hantises et échecs.
Drôles, étranges, humbles, déprimants et sincères, c’est une marée discontinue de sentiments qui déferlent au fil des pages. Et de cet échange à sens unique, on se prend à rêver qu’une réponse lui parvienne par-delà l’océan. « Lettres à Clipperton », l’un des livres à dévorer cet été.
Lettres à Clipperton, Irma Pelatan, La Contre Allée, 224 p., 21 €.
4 – Innocence en danger
Un avion s’écrase sur une île tropicale idyllique. Seuls rescapés, des enfants, livrés à eux-mêmes. Et ce qui s’apparente à des vacances prolongées et sans contraintes va bientôt tourner à une lutte pour la survie.
Œuvre majeure de William Golding, Sa Majesté des mouches, prix Nobel source d’inspiration pour la série Lost, se range parmi les romans cultes. Dans un style fluide, on est vite embarqué par les intrigues et autres aventures des gamins. Une bête rôde sur l’île. Ou seraient-ce les fantasmes d’une communauté qui devient violente et malsaine ?
Brillante analyse de la psychologie de groupe, entre leaders, suiveurs, despotes, chasseurs ou gardiens du feu, l’innocence s’efface devant la brutalité des rapports de force. Offrande sacrificielle, meurtre et loi du plus fort rappellent que la civilisation reste toujours fragile. Même au paradis, la barbarie n’est jamais loin. « Sa Majesté des mouches », l’un des livres à dévorer cet été.
Sa Majesté des mouches, William Golding, Gallimard Folio, 256 p., 9,40 €.
5 – Retour de bagne
Fin du XIXe siècle, l’auteur d’Oncle Vania se lance dans une folle entreprise : se rendre à Sakhaline, à l’autre bout de l’empire, dans une colonie pénitentiaire. Il en reviendra bouleversé et avec le plein d’inspiration pour ses œuvres à venir.
Fourmillant de détails, de portraits et d’anecdotes, ce livre s’apparente à un fin recensement d’un bagne pas comme les autres où des hommes libres côtoient des forçats. C’est un environnement hostile mais attachant avec ses babouchkas, prostituées, officiers, médecins, techniciens qui tentent de se recréer un univers. Corruption, déshumanisation, l’échec de la colonisation de Sakhaline est évident pour Tchékhov.
L’écosystème engendré par le bagne ne permet pas de former des colons valables ou des repentis capables de développer l’île et de fonder une société plus harmonieuse. Et on s’interroge avec lui sur ce « à quoi peut bien songer, de quoi peut bien rêver une jeune et jolie fille jetée par le sort à Sakhaline, cela Dieu seul pourrait le savoir ».
L’Ile de Sakhaline, Tchékhov, Folio, 576 p., 11,70 €.
6 – Un an en enfer
Attention, livre-choc ! Un homme et son fils de 13 ans décident de passer une année sur une île déserte en Alaska. L’installation dans la cabane est difficile, les conditions de vie précaires et les ours rôdent, tandis qu’il faut se préparer à l’hiver. Les rapports se tendent.
Angoisse, rancœur et folie ne sont plus très loin. Et puis survient la page 123… Rarement, devant une telle noirceur, la question d’arrêter de lire se pose avec autant d’intensité. Rien n’est épargné.
Les petits arrangements avec la réalité, la détresse et la plongée vers les abysses. Le chaos devient l’ordre naturel dans une nature impassible où feu, glace, et eau se confondent.
Pris dans une écriture vénéneuse, la solitude et le froid, on cherche les traces d’une rédemption, un soupçon de bonheur qui ne viendront jamais. Horrible, puissant et envoûtant. « Sukkwan Island », l’un des livres à dévorer cet été.
Sukkwan Island, David Vann, Gallmeister, 208 p., 9,20 €.
7 – Ethnopolar
Sardaigne. Des meurtres rituels non élucidés. La pluie qui ne vient pas. Encore une disparition. Et un duo explosif d’inspectrices cabossées que tout sépare. Voici quelques-uns des ingrédients de cet ethnopolar violent, angoissant et sans répit.
Hors des sentiers touristiques, l’île apparaît dans toute sa sauvagerie, ses senteurs et son dialecte. L’immersion est totale et l’enquête remonte le temps des cultes paléolithiques oubliés. Le récit est joliment construit.
Descriptions, scènes de crime, interrogatoires et analyses psychologiques se succèdent. Le suspense s’élève crescendo telle la brume au flanc d’une forêt dense et inquiétante. Qui sera désigné coupable ? La déesse mère ? Un flic véreux ? Ce vieux paysan ?
Peu importe, car lorsque l’investigation devient frénétique, pris à la gorge, on est vite englouti par une obsession terrible et enchanteresse. On en redemande presque… Et comble de bonheur, L’Ile des âmes est le premier opus d’une série en cours.
L’Ile des âmes, Piergiorgio Pulixi, Totem, 560 p., 13,20 €
8 – Échappée de HP
Milieu des années 50. Un duo de marshals débarque sur une île au large de Boston connue pour abriter un hôpital psychiatrique. Leur mission : retrouver une patiente qui s’est échappée, avec pour unique indice un cryptogramme composé d’une série de chiffres et de lettres.
Grand maître des ambiances noires et claustrophobiques (Gone, Baby, Gone ou Mystic River), Dennis Lehane prouve ici qu’il est aussi un fascinant horloger. Rarement la mécanique du suspense, de l’impossibilité de démêler le vrai du faux aura été si froidement menée. Trompés malgré eux, personnage et lecteur partent à la chasse aux indices.
Car entre rêve, sentiment et réalité, où se cache la vérité ? Il faudra fouiller les grottes sombres de l’inconscient. Faire exploser les limites de la thérapie. Et explorer ce mystérieux phare pour espérer trouver la lumière dans un twist final inoubliable. Jubilatoire et oppressant. « Shutter Island », l’un des livres à dévorer cet été.
Shutter Island, Dennis Lehane, Rivages/Noir, 300 p., 25,50 €.
9 – Épidémie meurtrière
Sur une île imaginaire, Mingher, « la perle de la Méditerranée orientale », une épidémie de peste se développe. Alors que des mesures sanitaires s’imposent, les tensions entre les communautés religieuses s’accentuent. Et face aux croyances et superstitions, la science progressiste du docteur Nuri, dépêché par la Sublime Porte, est d’un bien faible secours.
Admirable conteur d’histoires dans la grande histoire, Orhan Pamuk mélange avec subtilité réalité et fiction. Par l’entremise de lettres écrites par la nièce du sultan, il décrit l’agonie de l’Empire ottoman gangrené par la vanité, les luttes de pouvoirs et l’immobilisme.
La narration, minutieuse et savante, se balade entre bandits grecs, geôles infestées de rats et paysages somptueux. Et pour tenir en haleine son lecteur, Les Nuits de la peste, œuvre protéiforme, revêt les atours d’un roman policier à l’eau de rose de Mingher. Une grande fresque prophétique qui sonde les limites du multiculturalisme face à l’adversité.
Les Nuits de la peste, Orhan Pamuk, Gallimard Folio, 800 p., 11,70 €.
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