Reports
Ils seraient aujourd’hui 40 000 Français installés au Portugal. Et non, pas tous à la retraite, loin de là même. En quête d’une vie plus douce et d’opportunités professionnelles, ces start-uppers, industriels, designers et autres spécialistes de l’immobilier nous donnent à voir par une lucarne différente ce pays qui leur a ouvert grand les portes. Souvent pour le meilleur. Mais parfois avec quelques embûches…
Le rituel est rodé. Une fois par mois, Antoine Blanchys, le président de la French Tech Lisbonne, réunit les Français de la scène locale. En ce mercredi soir de décembre, il a convié quelques nouveaux à la Casa Cabana, une sympathique guinguette du Bairro Alto. Les jeunes gens attablés appartiennent au bataillon d’environ 400 techies français venus profiter du dynamisme et de la qualité de vie de Lisbonne, capitale du Portugal.
En plus de Diane Daudin-Clavaud, la jeune propriétaire des lieux – par ailleurs investisseuse et secrétaire de la French Tech Lisbonne –, il y a Adrien Hardy, Youtubeur start-upper qui entend démocratiser l’immobilier grâce à la blockchain ; Marion Beyer et Barbara Stenzel, deux copines qui ont monté une plateforme d’e-commerce ; et Antoine Blanchys, donc, manitou pour start-up en crise de croissance.
Installé depuis vingt ans, ce fils de Portugais marié à une locale a trouvé son paradis. « Lisbonne s’est bien développée sur la scène numérique européenne, assure-t-il. Pas mal de groupes et de start-up y ont installé leur back-office, notamment BNP Paribas et Natexis. Et il y a aussi une faune d’entrepreneurs et de digital nomads, dont une partie a débarqué avec la pandémie. Même si le système français est plus mature, Lisbonne ou Porto sont des endroits idéals pour lancer une start-up. Et nous, à la French Tech, on essaie de créer des synergies. »
À l’autre bout de la table, Marion Beyer et Barbara Stenzel correspondent au schéma décrit par Antoine. « Un premier confinement horrible » et le traumatisme des attentats de novembre 2015 ont convaincu Marion de quitter Paris et son poste de chargée des relations presse chez Sanofi-Pasteur, avec sa petite famille. « Mon conjoint est d’origine portugaise. Venir ici était une évidence : on est plus en prise avec la nature, tout le monde parle anglais, et puis, dans la rue, on se sent infiniment plus en sécurité. »
Sa copine Barbara, elle, bossait dans la pub en ligne et « en a eu marre de son bullshit job ». Ensemble, les deux amies ont créé IDIM (I Did It Myself), un site de vente de bijoux, cosmétiques et autres céramiques fabriqués par des artisans portugais. Ce soir, elles sont venues réseauter, et après même pas six mois ici, elles insistent : « Le coup de cœur est total ! »
Apéro, fiscalité et immobilier
Aujourd’hui, 40 000 Français seraient installés au Portugal : deux tiers d’actifs, et un tiers de retraités qui coulent de beaux jours. Des compatriotes qui lui répètent que c’est le coup de cœur, Laurent Goater en croise à la pelle. Directeur au sein d’un groupe industriel portugais, ce sympathique notable est aussi le président du Conseil consulaire des Français du Portugal.
Sorte de super conseiller municipal, il répond bénévolement aux tracas qu’on lui remonte et se déplace régulièrement entre Lisbonne, Porto, l’Algarve et Caldas da Rainha, les quatre zones qui regroupent l’essentiel des Français. Que viennent-ils y dénicher ? Laurent Goater résume : « La raison principale, c’est la qualité de vie, le climat, et aussi la sécurité. Le Portugal est une société pacifiée et tolérante. Beaucoup d’actifs viennent pour cela, quitte à gagner moins. À Lisbonne ou Porto, les Français mènent une vie de citadins. En Algarve, on passe sa retraite en vacances – tongs la journée et apéro le soir venu. Et à Caldas, on trouve des couples retraités binationaux qui ne souhaitent pas forcément se réinstaller dans leur village d’origine. »
Laurent Goater, en revanche, tempère l’image d’un Portugal qui miserait tout sur le dumping fiscal pour être attractif. « Certains pays pratiquent des taux bien plus bas. Les Français qui viennent faire de l’optimisation fiscale sont une minorité. Toutefois, c’est vrai, il y a quelques avantages : de nombreux métiers peuvent opter pour un impôt sur le revenu fixé à 20 %. Et les taxes foncières sont très basses. À Lisbonne, je paie 500 euros par an. Pour un bien équivalent à Paris, ce serait sans doute dix fois plus. »
L’immobilier, justement, est souvent au cœur des préoccupations de tous les Français qui débarquent en terre lusitanienne. Installée depuis une vingtaine d’années, Cécile Gonçalves, fondatrice de l’agence Maison au Portugal, décrypte les logiques à l’œuvre. « Même s’il y a eu un effet de rattrapage des prix, le Portugal reste un marché animé par une dynamique de valorisation des biens, particulièrement dans le haut de gamme. Les investissements sont sûrs. Et dans une ville comme Lisbonne, neuf et ancien confondus, la moyenne du mètre carré est de 5 000 euros. Et pour les investisseurs, les bureaux aussi sont moins chers qu’ailleurs en Europe, il faut moins de capitaux pour monter sa boîte, et les salaires moyens sont plus bas. » Autant de facteurs, donc, qui renforcent l’attractivité.
Les chiffres des Français du Portugal
• 17 000 inscrits à l’ambassade, mais plus vraisemblablement autour de 40 000 Français.
• Une population majoritairement répartie entre Lisbonne (45 %), le Nord (23 %) et l’Algarve (18 %).
• Environ 13 000 retraités français.
• Environ 1,1 million de Français ont visité le Portugal en 2020 (contre 600 000 en 2010).
• Les demandes d’installation ont baissé d’environ 50 % en 2020 par rapport à 2019 selon Maison au Portugal.
• 93 % sont satisfaits de leur vie au Portugal.
La fluidité entrepreneuriale attire les Français au Portugal
Fondatrice d’Arteo, une agence de design iconographique et d’aménagement d’intérieurs, Gwénaëlle Massé vivait à São Paulo jusqu’en septembre 2020. L’envie de revenir en Europe, la langue, le dynamisme du pays, et la sécurité physique et économique l’ont convaincue de venir ici. En plus de la tolérance et de la gentillesse des Portugais, cette cheffe d’entreprise a eu une autre bonne surprise : « Créer une boîte est très simple ! En arrivant, j’ai monté une structure afin d’enregistrer ma société ici. Des avocats s’en sont occupés pour une somme assez modique, autour de 2 000 euros. Quant à mon conjoint, il voulait créer l’équivalent d’une EURL. Il est passé par un centre spécialisé qui facilite l’accès à tous les documents. Ça lui a pris une heure et c’est gratuit. »
Ravie, Gwénaëlle Massé note aussi que les conditions d’embauche présentent certains avantages : « Il est possible, dans certains cas, de recruter un stagiaire longue durée. On trouve aussi des professionnels bien formés à des salaires accessibles par le biais des bourses d’emplois. » Et puis, l’identité tricolore confère quelques avantages : « On est super bien accueillis par les Portugais, note Gwénaëlle. Et ici, les Français se font bien plus confiance qu’au Brésil. Après, le risque, c’est l’entre-soi. Pour que mes enfants s’intègrent, ils pratiquent le surf et le football en dehors du lycée français. »
Après des années à y passer des week-ends, Goran Topalovitch, ancien directeur de l’éditeur de mobilier italien Cassina à Paris, a lui aussi posé ses valises à Lisbonne. Bien qu’en âge de prendre sa retraite, ce fringant personnage n’est clairement pas venu là pour s’adonner à la doublette « tongs la journée, apéro le soir » qui fait fureur dans l’Algarve.
En quelques mois, son activité et son aura de Parisien branché lui ont ouvert les portes de ces maisons de Comporta ou des beaux quartiers lisboètes dont les propriétaires manquent parfois du talent requis pour les meubler à la hauteur des millions qu’elles ont coûtés.
Après une vie passée à Paris, Goran ne tarit pas d’éloges sur sa ville d’adoption : « Malgré le travail, j’ai cette impression permanente d’être en vacances tout le temps. Et comme la communauté est petite, les choses vont très vite. À situation égale, à Paris, ça aurait été compliqué de trouver des clients, surtout à mon âge. Tout y est compartimenté, alors qu’ici tout le monde se mélange ! J’ai notamment des échanges formidables avec de jeunes Portugais. L’apprentissage est mutuel ! »
S’installer au Portugal ?
L’œil de Cécile Gonçalves, fondatrice de Maison au Portugal.
« D’un point de vue général, le parc immobilier est très hétéroclite. Il faut bien cadrer son projet. S’installer pour vivre ou faire de l’investissement locatif suppose deux approches différentes. J’inciterais à passer par des professionnels, car le marché n’est pas transparent. Dans l’ancien, les coûts cachés sont nombreux, avec de la précarité énergétique et des travaux : faire appel à un avocat pour l’achat est indispensable ! Le choix du lieu, lui, se fera en fonction de votre activité. Le Nord et Porto sont plus industriels. Lisbonne, elle, dispose d’un lycée français. Autre bel avantage : c’est un hub aéroportuaire tourné vers l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Sud. Quant à l’Algarve, si vous êtes dans le tourisme ou avez des activités dans le Sud, cela peut avoir du sens, et le Portugal est un petit pays, on est à Lisbonne en seulement 2 h 30 de route. Une autre donnée doit également être prise en compte : plus vous allez au Sud, plus les hivers sont doux et l’océan est chaud. Pour une vie de citadin, studieuse, optez pour Lisbonne ou Porto. Pour plus de nature et d’océan, ce sera l’Algarve. Enfin, avec la crise, on note une tendance émergente : les Français achètent de plus en plus de résidences secondaires dans des petites villes périphériques, au bord du fleuve ou de l’océan, avec terrasse ou piscine, parfois en coliving. »
Cauchemar en cuisine
Si la vie est douce, l’installation n’est pas toujours simple. Éric et Patricia Charlet avaient vendu leur restaurant de la banlieue de Strasbourg pour ouvrir L’Os à Moelle, un établissement à la gloire de la cuisine française.
« On adorait Lisbonne, pour sa lumière et la plage pas loin. Alors, il y a trois ans, on a franchi le pas… », embraie Patricia. « Mais on a commis plusieurs erreurs, complète Éric. La plus grosse, c’est de ne pas s’être mieux imprégné de la culture, en travaillant un peu ici avant de nous lancer. On arrivait avec notre rythme et nos standards français, or, la mentalité est beaucoup plus “cool” et les serveurs n’étaient pas formés à la vente. Le décalage nous a valu pas mal de problèmes. »
Pour ne rien arranger, sept mois après l’ouverture, le restaurant doit fermer à cause de la pandémie. Et en raison de la jeunesse du commerce et d’un dispositif de soutien bien moindre que le « quoi qu’il en coûte » français, le couple, sans aides, vacille. Pour ne rien arranger, la banque détentrice du bail les menace d’expulsion.
Heureusement pour eux, le réseau français se met en marche, et l’intervention, notamment, de Laurent Goater, débouche sur un accord. Depuis, grâce à la solidarité du réseau français, mais aussi de nombreux Portugais qui ont pris goût au bœuf bourguignon et à la crème brûlée d’Éric, L’Os à Moelle a repris du brillant.
« Si je devais donner un conseil à un Français, résume Éric, ce serait le suivant : entourez- vous d’un avocat et d’un bon expert-comptable, prenez conseil auprès des nombreuses associations françaises existantes et soyez prêt à travailler dur ! » Et à Patricia de conclure, avec tout de même un peu de légèreté : « Ça a été dur, on a dû changer notre fusil d’épaule, former notre personnel et s’impliquer encore plus, mais ce service à la française porte ses fruits. Et puis, on a ce cadre de vie si sympa, la plage pas loin, et ça fait des après-midis de détente inégalables… » Le Portugal a décidément de nombreux atouts.
Lire aussi
Portugal, les ambitions d’un élève modèle
Immigration, retraités, rayonnement mondial… zoom sur le Portugal
Le liège, un patrimoine portugais
Interview : 3 questions à Carlos Moedas, maire de Lisbonne
The Good Life 52 : un voyage de Lisbonne à Los Angeles avant le printemps