The Good Paper
Pour réussir sa mutation à l’heure du numérique, le grand quotidien francophone belge mise sur des supports en ligne et papier, gratuits ou payants, à haute valeur ajoutée.
Avant, à Bruxelles, on recommandait de lire Le Soir « pour y voir plus clair ». Mais début avril 2019, cent trente-deux ans après sa création, le grand quotidien francophone belge s’est doté d’un nouveau slogan : « Repensons notre quotidien ». Ce changement de formule est bien plus qu’une trouvaille publicitaire, à l’ère de la révolution numérique, où les citoyens se font acteurs et les consommateurs prescripteurs.
« Ce slogan, explique Olivier De Raeymaeker, directeur général du Soir, est la traduction du parti pris de notre journal généraliste qui entend être utile “au quotidien” à son lecteur en lui donnant des clés pour agir et en collant à ses diverses préoccupations dans la vie de tous les jours, qu’il s’agisse de politique intérieure belge, d’actualité internationale, sociétale, économique ou sportive… Nous voulons aussi, à travers ce nouveau slogan, affirmer notre volonté de reconnexion au lecteur à l’heure où le rôle des médias est souvent remis en cause. »
Le Soir, liberté et combativité
Tourné vers l’avenir, Le Soir l’est depuis son premier jour de parution, sous le règne de Léopold II, le 17 décembre 1887. Sous son titre, cette mention : « Journal quotidien gratuit », comme l’est, aujourd’hui, son site Internet, aux côtés du tout nouveau service premium en ligne payant, Le Soir +, qui a été lancé en octobre dernier et qui est appelé à devenir, en quelque sorte, le navire amiral du groupe.
Précurseur, Le Soir l’était aussi dans l’éditorial d’Emile Rossel, son fondateur (avec Nicolas Corbelin et Edgar Roels), qui promettait, à la une du tout premier numéro et sur fond d’émeutes sanglantes à Liège et dans le Hainaut, qu’il s’interdirait « de prendre position dans les luttes qui irritent et qui divisent ». Neutre, mais pas pleutre, puisqu’en 2005, à l’occasion de la sortie de sa nouvelle formule en format berlinois et sur quatre cahiers, il se réaffirme politiquement ni de gauche ni de droite, mais libre dans le travail de ses journalistes et combatif pour « la liberté d’expression, la tolérance, le multiculturalisme, la différence ».
En 2007, en pleine crise politique et institutionnelle, tandis que députés francophones et néerlandophones ne veulent plus se parler, même pour s’insulter, le journal bruxellois du 100, rue Royale se paie le luxe de sortir, quatre semaines durant, une édition quotidienne commune et d’arborer, côte à côte en première page, les deux logos du Soir et du Standaard flamand. « On s’est battu contre les clichés et les préjugés habituels, stigmatisant l’autre camp, assimilant les Wallons à des paresseux ou les Flamands à des racistes, et le comble, c’est que ça s’est très bien vendu ! » se souvient Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef et « icône » du journal au sein duquel elle a commencé sa carrière en 1984 et où elle officie toujours.
Mutation numérique
En avril dernier, Le Soir a mis en place une nouvelle maquette, tant sur ses supports numériques que papier, afin d’offrir « une information plus claire, plus hiérarchisée et plus profonde ». Son modèle se veut « freemium », c’est-à-dire avec, d’une part, un site gratuit (www.lesoir.be) et, de l’autre, des contenus payants « à haute valeur ajoutée » qui se déclinent tant sur le print que sur le numérique (www.plus.lesoir.be).
De fait, le nombre des abonnés numériques ne cesse d’augmenter, tandis que les annonceurs se voient offrir, souligne-t-on à la direction du Soir, « un contexte premium » à leurs messages, quels que soient leurs formats : annonce papier, display classique, native, vidéo… « Nous proposons aux lecteurs, par ailleurs bombardés en permanence par une multitude d’informations, de toutes provenances et invérifiables, une sélection plus forte, plus axée sur le décryptage, le débat, la connaissance et l’investigation », explique quant à lui Christophe Berti, rédacteur en chef.
De père italien, cet ancien journaliste sportif à la carrure athlétique pilote avec talent la rédaction de ce journal qui se veut à la fois « généraliste et de qualité, où l’on considère un sujet sur l’équipe nationale de foot, les Diables rouges, aussi important qu’un sujet sur le Premier ministre belge ». Parmi les atouts du titre, il peut miser sur le partenariat, noué sous le nom de LENA (Leading European Newspaper Alliance), avec d’autres grands titres européens : Die Welt, El País, La Repubblica, Le Figaro ainsi que les suisses Tages- Anzeiger et La Tribune de Genève.
Humour et amour des BD
Cette alliance, présidée depuis début 2019 par Olivier De Raeymaeker, permet d’entreprendre des enquêtes conjointes – notamment sur des sujets qui touchent le lectorat européen, comme la crise des réfugiés syriens ou les relations entre l’UE et la Russie –, mais constitue aussi un argument de poids pour décrocher l’interview d’une personnalité d’envergure internationale, souvent plus difficile à obtenir pour un seul titre.
L’humour et l’amour des BD, qui caractérisent les Belges, ont également toujours accompagné l’histoire du journal bruxellois. En 1943, un faux Soir est publié clandestinement pour se payer la tête des fridolins, tandis que l’occupant a fait main basse sur le vrai Soir, pour les besoins de la propagande nazie. Hélas, les courageux auteurs de la mystification et des pastiches du Führer seront arrêtés et torturés par la Gestapo, tandis que l’imprimeur et les distributeurs mourront en déportation.
Il y eut des périodes heureusement plus insouciantes ensuite : celles où Hergé publiait, en feuilleton dans Le Soir, ses premières Aventures de Tintin ; où Geluck y dessinait son fameux Chat ; où les facéties du héros de Ric Hochet y amusaient tant les lecteurs. Aujourd’hui, pour les faire sourire, Pierre Kroll, le Plantu belge, a pris le relais, tandis qu’un journaliste expert en bande dessinée, Daniel Couvreur, chef du service culture, y rend compte de l’actualité.
Etoiles montantes
Le Soir, qui se veut journal de qualité, tire une légitime fierté de ses experts. Ainsi de l’excellente et passionnée Colette Braeckman qui tient un blog sur lequel elle décrypte la géopolitique pour les lecteurs du quotidien. Grand reporter dans l’âme, elle a ausculté toutes les convulsions de la planète et, notamment, celles de l’Afrique postcoloniale.
Xavier Counasse, 31 ans et déjà couronné par différents prix de journalisme, est, lui aussi, l’une des fiertés du Soir. Et, plus encore, une étoile montante, un espoir pour l’avenir du quotidien. Il lui a d’ores et déjà été confié la responsabilité de la cellule « Investigations » et des grandes enquêtes transversales impliquant diverses rubriques.
Tout visiteur du Soir en est intimement convaincu : le métier d’informer a encore de beaux jours devant lui. Et ce n’est pas l’infatigable Béatrice Delvaux qui dira le contraire. A condition, bien sûr, que l’on continue de dénicher d’autres jeunes journalistes de talent comme Xavier Counasse. Et qu’on veille toujours à les « recruter les yeux dans les yeux, et à les juger au pied du mur ». C’est dit !
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