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Le périgésol : ce dégel qui menace la planète
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kate

The Good Business

Le pergélisol, dégel à haut risque

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Situé principalement dans les terres les plus septentrionales, ce sol gelé depuis, parfois, des centaines de milliers d’années commence à subir les conséquences du réchauffement climatique. Un dégel préoccupant qui pourrait conduire à la libération de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, contribuant à accélérer et à empirer le réchauffement déjà en cours. Entretien avec Antoine Séjourné, géomorphologue et maître de conférences au laboratoire Géosciences Paris Sud (Geops).

The Good Life : Pouvez-vous définir ce qu’est le pergélisol ?
Antoine Séjourné : Le pergélisol (ou permafrost, en anglais) est un sol qui demeure gelé pendant au moins deux années consécutives. Généralement, ce sol atteint, en moyenne, une température de – 4 à – 5 °C. Il s’agit d’une définition thermique qui indique seulement que la température est inférieure à 0 °C. Les pergélisols secs peuvent être de la roche, du calcaire, du granite ou même du sable. Il en existe une grande variété, et si toutes les caractéristiques sont documentées, on les répartit généralement en trois catégories : continu, discontinu et sporadique. En observant la carte de distribution du pergélisol autour des pôles, on constate qu’il est continu au nord, avec près de 700 mètres d’épaisseur. Plus on va vers le sud et moins le pergélisol est épais ; il devient discontinu, voire sporadique.

Antoine Séjourné
Antoine Séjourné DR

TGL : Où se trouve le pergélisol et quelle est sa superficie ?
A. S. : Principalement dans l’hémisphère Nord. Le pergélisol recouvre 25 % des continents de cette région. C’est la moitié du Canada et 60 % de la Russie. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont également des endroits avec une forte densité de population. Que ce soit au Canada ou en Sibérie, on y trouve de grandes villes, beaucoup de villages, et des industries minière, gazière et pétrolière. Ce ne sont pas du tout des zones désertiques. Vous pouvez aussi trouver un peu de pergélisol dans l’hémisphère Sud, sur le Kilimandjaro, le plus haut sommet d’Afrique, ou en Amérique du Sud, dans la cordillère des Andes. En revanche, l’Antarctique étant complètement recouvert par les glaciers, la présence de pergélisol y est limitée. L’effet thermique des glaciers agit comme une couverture et maintient le sol aux alentours de 0 °C, voire plus, l’empêchant ainsi de geler.

TGL : Pourquoi le dégel du pergélisol est-il si problématique ?
A. S. : On estime qu’il y a deux fois plus de carbone dans le pergélisol que dans l’atmosphère. Et on commence à connaître les types de carbone présents. Il peut s’agir de tourbières gelées, de marais, de débris organiques, mais aussi de poches de gaz. Du fait du dégel, ce qui était auparavant enfoui remonte en surface. Les poches de gaz peuvent être directement libérées dans l’atmosphère, mais concernant les débris organiques, le processus est beaucoup plus complexe. Des bactéries vont dégrader le carbone contenu dans ces débris organiques et vont ensuite le rejeter sous forme de dioxyde de carbone (CO2) ou, lorsque le milieu est privé d’oxygène, de méthane (CH4). Ce sont là les deux principaux gaz à effet de serre [l’impact du méthane étant 25 fois plus puissant que celui du CO2, NDLR], responsables du réchauffement climatique. Le problème est qu’on ne sait pas quelles quantités pourraient être libérées dans l’atmosphère, car nous avons affaire à un écosystème très complexe. C’est là que se trouve le véritable enjeu. Prenons 50 kg de carbone piégé dans le sol : rien n’indique que 50 kg de CO2 seront relâchés. On est confronté à des rétroactions positives (amplification du relargage) ou négatives (piégeage du carbone). Par exemple, certaines situations vont favoriser l’émergence de plantes, du fait de l’activité des bactéries, et ces plantes vont alors permettre de piéger le carbone par photosynthèse ; il ne sera donc pas libéré dans l’atmosphère (rétroaction négative). En revanche, le fait de libérer des gaz à effet de serre augmente la température, ce qui entraîne la fonte de davantage de  pergélisol et libère potentiellement plus de gaz (rétroaction positive).

La fonte des glaces liée au réchauffement climatique permet désormais aux brise-glace d’emprunter, en été, la route du Nord vers l’Asie en passant par le détroit de Béring.
La fonte des glaces liée au réchauffement climatique permet désormais aux brise-glace d’emprunter, en été, la route du Nord vers l’Asie en passant par le détroit de Béring. NBC Newswire GettyImages

 

TGL : Quels sont les enjeux actuels de vos recherches ?
A. S. : Dans mon domaine, il s’agit de savoir dans quelle région le pergélisol dégèle, en quelle quantité chaque année, et pourquoi. En Sibérie, par exemple, le pergélisol dégèle du fait de la hausse des températures, mais aussi parce qu’on rase des forêts pour y aménager des routes, des champs et des villages. Or, la forêt jouait un rôle de protection et maintenait le sol gelé. Si vous la détruisez pour y créer un champ, le sol finit par dégeler et par former un lac qui augmente tous les ans. C’est ce qu’on appelle un effet anthropique. L’enjeu actuel est donc de savoir quelle est la part de responsabilité de l’homme et celle du réchauffement climatique. Quand le lac en formation libère le carbone piégé dans le pergélisol, il faut déterminer quelle quantité va être libérée dans l’atmosphère – sous forme de gaz – ou dans le lac – sous forme dissoute.

TGL : Quelles sont les conséquences du réchauffement climatique ?
A. S. : Le réchauffement climatique depuis 1900 est avéré. Il se traduit par l’augmentation des températures, et vous constatez aussi son effet sur les coraux, les arbres, les stalactites, etc. Mais même s’il y a eu des accroissements de températures dans l’histoire de la Terre, ­jamais on n’en a eu d’aussi inquiétants. L’élévation des niveaux marins, le recul des glaciers et l’acidification des océans sont autant d’indicateurs qui montrent que nous assistons à un changement trop ­rapide à l’échelle des temps géologiques. Nous avons gagné 2 °C depuis 1900 en France ; en ­Arctique, c’est de l’ordre de 3 °C. En parallèle, on relève une augmentation du CO2 et du méthane atmosphériques, qui est directement liée à l’industrialisation. Dans l’histoire de la Terre, on constate des périodes de réchauffements pendant l’ère romaine ou le Moyen Age. Chez les Romains, les pics de température étaient dus au développement de leurs industries. Ils coupaient massivement les forêts, brûlaient le bois. Depuis l’industrialisation, nous dépassons tout le temps les prévisions de maximums de températures. Chaque année, ça augmente, avec comme conséquence une boucle de rétroaction positive. On obtient davantage de gaz à effet de serre qui, à leur tour, vont alimenter le réchauffement climatique, lequel augmente les températures. C’est l’effet boule de neige que les modélisateurs ne prennent pas encore en compte.

TGL : Quelles sont les actions possibles ?
A. S. : Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) réalise des séries de prévisions sur le climat en fonction des activités humaines et explore différents scénarios. Par exemple, comment tout cela va évoluer si des pays comme l’Inde ou la Chine continuent à entretenir beaucoup d’usines à charbon, ou si, au contraire, l’industrie se concentre plutôt sur les services et l’énergie renouvelable. A partir de ces postulats, ils peuvent prédire l’évolution des émissions de carbone. Le GIEC a même un scénario sur ce qui se passerait si, du jour au lendemain, il n’y avait plus aucune émission de CO2. Combien de temps faudrait-il au climat pour s’en remettre ? Si on arrêtait tout demain, on pourrait redescendre de 2 °C en cent ans environ. Les actions sont possibles, mais là, vous vous confrontez aux sphères de décisions politiques, économiques et sociétales.


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