The Good Business
Situé rue d'Aboukir depuis 30 ans, le nom de sa marque Jonas & Cie a circulé entre les hommes d’affaires et les politiques jusqu’à arriver, en 2016, à l'oreille d’Emmanuel Macron et de son épouse Brigitte. Le futur du costume, pour Laurent Touboul, est radieux. Celui des tailleurs, un peu moins.
En rentrant dans sa boutique au 19 rue d’Aboukir 75002 Paris un mardi matin à 10 heures, on le voit déjà au travail, en train de passer en revue les tissus, les motifs et les couleurs, avec le ton ferme et tranquillisant de celui qui a derrière lui une expérience énorme. Pour Laurent Touboul, tailleur de notoriété, est une autre journée d’aller et retour entre son magasin – où, au fond d’un couloir tout étroit, une petite salle carrée héberge des centaines de costumes sur cintres – et l’atelier pour les retouches installé dans la même rue quelques mètres plus loin, au numéro 15.
Tout en nous montrant la réserve où il accueille les VIP qui désirent un peu plus de discrétion pendant leurs achats, habillé d’une chemise blanche et d’un trois pièces en bleu foncé et vert pétrole, cet homme aux cheveux blancs et à la poignée de main ferme parle avec enthousiasme de sa routine. “Hier, c’était l’enfer (rires). Heureusement, c’est un non-stop, surtout parce que notre équipe ne se compose que de six personnes”.
Dans l’atelier, la team est affairée : il faut s’occuper des rectifications – qu’elles soient pour leurs clients ou pour les boutiques qui s’adressent à eux. Chaque semaine, des centaines de costumes à retoucher sont pris en charge. Et tous les lundis, la boutique reçoit des dizaines de costumes sur mesure fabriqués par l’atelier. Pour leur réalisation, à partir de tissus Vitale Barberis (Italie), Reda (Italie) et Holland and Sherry, (Écosse) il faut environ un mois. Puis, bien sûr, il y a les clients, nombreux tous les jours, à accueillir et à conseiller de A à Z.
La navette, les clients, les costumes… Ce quotidien, Laurent Touboul le vit depuis 30 ans, voire depuis son début en 1994 dans l’entreprise familiale Jonas & Cie, fondée par son père Jean-Claude dans les années 80. Au début, le business de la marque était plutôt la vente de costumes Daniel Cremieux à 50% de leur prix moyen. Peu après avoir rejoint son père, Laurent a vite compris qu’il fallait développer le côté des retouches, pour leur propre costumes et pour ceux des boutiques parisiennes des marques qui recouraient à des professionnels extérieurs pour les rectifications. À ce moment-là, les affaires ont décollé.
“Comme dans toutes les activités de succès, le secret a été le bouche à oreille qui a bien fonctionné”, explique Laurent Touboul. Il se trouve qu’avant, au coin de la rue Aboukir, il y avait un siège du Figaro. À un moment donné, plusieurs journalistes ont commencé à commander des costumes sur mesure chez Jonas & Cie en amenant dans la boutique parfois des politiciens, parfois des célébrités d’autre sorte. En peu de temps, Laurent s’est fait une réputation dans toute Paris.
La consécration, pour son nom et sa boutique, arrive en 2016, lorsqu’un certain Emmanuel Macron, à l’époque encore ministre de l’Économie, devient client de Jonas & Cie juste quelques mois avant sa candidature pour les présidentielles de 2017. “Depuis, il ne nous a jamais abandonnés – raconte le tailleur – Au fil des années, nous avons développé une relation de confiance qui encore aujourd’hui est solide. Pareil, avec son épouse Brigitte. Comme je dis toujours, les hommes contents restent fidèles… à leur tailleur ! (rires)”.
Aujourd’hui affirmé comme l’un des tailleurs les plus renommés de Paris, à un moment où le tailoring est à nouveau tendance dans la mode, Laurent est sûr que le costume a un avenir radieux. Il l’avait dit à la fin du premier confinement, quand tout le monde voulait savoir si le changement des styles de vie causé par la pandémie de Covid 19 aurait eu une influence sur l’achat des costumes, et il le répète aujourd’hui: “Le costume ne mourra pas. C’est une pièce qui ne se démode jamais et aimée par une clientèle diversifiée. Certes, nous habillons des politiciens, des avocats et des hommes d’affaires, mais aussi des étudiants et de jeunes futurs mariés”.
En revanche, le métier de Laurent paraît être dans une phase de déclin en France, le nombre des tailleurs se réduisant de plus en plus. “Je ne suis pas particulièrement inquiet pour moi. Nous, on a la passion, on a ce métier dans l’ADN. Mais c’est vrai que la catégorie est en difficulté – reconnaît-il. Les vrais tailleurs n’existent presque plus, et le métier peine à se faire désirable pour les jeunes générations. “Grâce aux possibilités marketing offertes par les réseaux sociaux, une vague de pseudo-tailleurs industriels, attirés plus par le business que par le métier, est apparue. Mais est-ce qu’ils vont résister au défi du temps ?” Sans la passion, rien n’est moins sûr.
L.P.
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