The Good City
Transport
Comment une ancienne cité industrielle finlandaise est-elle devenue Capitale européenne verte en 2021 ? Cette ville moyenne a mis les bouchées doubles pour switcher et pousser loin, très loin, la mise en œuvre d’une mobilité alternative globale sur son territoire. Ou quand une volonté d’avenir côtoie une détermination profonde.
Vélos à gogo, système de skis partagés, expérimentation d’un rationnement volontaire des émissions de carbone lors des déplacements locaux : Lahti, c’est l’histoire d’une résilience, celle d’une ville et de ses habitants, qui inspire et force le respect. Une histoire de courage et d’audace, et aussi d’une envie de vivre, furieusement.
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Ville futuriste
Bienvenue dans une cité finlandaise bien loin de l’image d’Épinal : une ville au passé industriel, ni riche ni pauvre – profil qui pourrait être celui d’une agglomération moyenne française (mais avec des lacs et des forêts) –, marquée par les stigmates de son histoire ouvrière. Un exemple réaliste. Idéal.
Nous sommes donc dans le sud de la Finlande, à environ une heure et demie de route au nord d’Helsinki. Avec 120 000 habitants sur 517 kilomètres carrés (superficie qui correspond à plus de deux fois celle de Marseille), Lahti est la septième ville du pays.
Célèbre pour les compétitions de saut à skis, qu’elle accueille chaque année, elle l’était malheureusement tout autant pour la pollution extrême de son lac : le Vesijärvi, qui fut, jusqu’à peu, le plus pollué du pays. Il y a moins de dix ans, on y brûlait encore du charbon afin d’alimenter le système de chauffage de la commune.
Milla Bruneau, fille de pêcheur, productrice télé désormais aux manettes du département développement business et emploi de Lahti, raconte ainsi dans une émission sur la RTS que, lorsqu’elle était enfant, « tous les déchets industriels, les produits toxiques et les eaux sales de la ville étaient déversés dans le lac ». Cela a duré jusqu’à ce qu’un jour les habitants craquent. Conscients de la catastrophe, las de ses conséquences, ils se sont mobilisés.
Résultat ? À force de nettoyage et d’initiatives dépolluantes, ils sont parvenus à réoxygéner le lac et son écosystème. Alors, à la faveur d’un magistral effet boule de neige, toute la vie quotidienne a changé. À ce moment-là, raconte l’actuel maire, Pekka Timonen, à la chaîne Arte venue rendre compte du phénomène, les citoyens ont compris que, lorsqu’ils se relevaient les manches ensemble, ils étaient puissants. Alors ils ont continué.
Le permis carbone individuel
Cette mentalité volontaire, presque rude, explique sans doute l’objectif local d’une neutralité carbone dès 2025 (soit dix ans plus tôt que la date fixée par le pays lui-même et 25 ans plus tôt que l’Union européenne) ainsi que le succès de l’expérimentation menée il y a quelque temps dans la commune : sur la base du volontariat, un traçage des déplacements locaux et du carbone émis par chacun via une application créée sur mesure.
En d’autres termes : le fameux permis carbone individuel dont on parle partout sans parvenir à se mettre d’accord. Lahti, elle, a sauté à pieds joints dans le grand bain.
Elle s’est autorisé cette première mondiale : celles et ceux qui relevaient le défi recevaient des récompenses, leurs économies de carbone étant converties en monnaie virtuelle permettant d’acheter des tickets de bus, des services vélo (des réparations, par exemple), d’aller à la piscine, ou même d’assister à des matchs de l’équipe locale de hockey. Objectif ? Réduire de 25 % les émissions personnelles entre le début et la fin du programme. Et ça a fonctionné.
L’initiative, dite « CitiCAP », intégrée à un programme d’actions financé par le fonds européen Urban Innovative Action, a été un franc succès, favorisée par plusieurs conditions devenues modèles pour qui voudrait la tenter ailleurs : un terrain favorable, c’est-à-dire une ville où se passer de voiture est possible, un consensus politique, de la pédagogie, une coconstruction citoyenne, pas d’obligation, pas de sanction et, enfin, un projet en phase avec son temps, impliquant l’utilisation du numérique.
Pour faire court : une prise en main globale, joyeuse et inspirée, à des années-lumière (c’est paradoxal, mais primordial de le comprendre) du slogan de la ville : « Dark. Cold. Enduring. » (« Sombre. Froid. Tenace. »). Une énigme ? Tout le contraire, en fait. Une source immense d’espoir, incarnant le fameux déclic qui, lorsqu’il survient, déclenche un flot de créativité.
D’accord, tout cela se passe en Scandinavie… Il n’empêche : on a le droit (le devoir ?) de s’en inspirer. « Change is an endurance sport » (« le changement est un sport d’endurance »), argumente l’agence de communication qui conçoit les stratégies de Lahti. Comprendre : plus on vient du sombre, du rude, plus on peut « alchimiser » à force de courage, de volonté et de persévérance. La boucle résiliente est bouclée.
À Lahti, aujourd’hui, tout le monde se déplace à vélo (électrique), à skis, en bus (électrique), à pied. Tout le monde pêche aussi, navigue et se baigne dans le lac régénéré. 99% des déchets sont valorisés : les plastiques sont transformés en copeaux et envoyés dans une centrale pour produire de l’électricité, la matière organique devient compost et biogaz, tandis que les cartons, papiers, verres, sont recyclés.
En outre, la ville vise aussi 2050 pour parvenir à une économie circulaire zéro déchet. Note pour maintenant : le mot « courage » vient du latin « cor », qui signifie « cœur ». Haut les nôtres ! Sans carbone et en chœur !
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