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Formée avec le « K » de « Korean » et le « pop » de « pop music », la K-Pop est un courant musical né dans les années 90 et devenu, en quelques décennies, un véritable phénomène culturel, économique et social dépassant largement les frontières de la Corée du Sud.
La K-Pop s’impose comme l’un des produits d’exportation les plus rentables, participant à l’augmentation du rayonnement culturel planétaire du pays : le Hallyu.
Près de la porte de Dongdaemun, dans l’un des quartiers les plus touristiques de Séoul, le gigantesque bâtiment du Dongdaemun Design Plaza à l’architecture néofuturiste signé Zaha Hadid trône au milieu de carrefours encombrés.
Ce jour-là, ses courbes aux surfaces argentées se détachent à peine du ciel gris. Si, pour tous, le complexe multifonctions s’est imposé comme une architecture incontournable du paysage urbain, peu le fréquentent en dehors d’événements culturels, expositions de design ou fashion-weeks.
À l’intérieur, une atmosphère amorphe se dégage de ces immenses espaces qu’on traverse sans vraiment croiser âme qui vive, hormis quelques touristes entrés par curiosité, mais tout aussi vite ressortis. Alors qu’on s’apprête à en faire de même, passé l’espace consacré au design et à la culture, un surprenant fourmillement de vie nous accueille.
Des groupes d’adolescentes se pressent à l’intérieur d’une boutique. Un néon au-dessus annonce SMTown & Store. à l’intérieur, des accessoires en tous genres déclenchent des exclamations de joie dans toutes les langues.
Des écrans diffusent des performances à la synchronisation parfaite, et des haut-parleurs coulent des chansons reprises immédiatement par les personnes présentes qui connaissent les paroles par cœur.
De grands panneaux pendent du plafond, sur lesquels sont imprimés des visages de jeunes hommes et femmes à la plastique calibrée et au style impeccable : les fameuses idoles sud-coréennes.
Nous voici dans l’un des temples de la consommation de la K-Pop de l’une des principales maisons de production. Les origines de la K-Pop remontent aux années 50. La Corée du Sud découvre alors de nouveaux genres musicaux du fait de la présence des forces américaines.
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Mélangeant influences occidentales et asiatiques, le divertissement sud-coréen prend alors son essor avec l’apparition des premiers boy bands et girl groups.
Le secteur, quant à lui, s’industrialise rapidement avec la création d’abord de SM Entertainment, fondée en 1995 par Soo-man Lee, suivie de YG Entertainment et JYP Entertainment.
Ces entreprises du divertissement sont considérées comme les pionnières de l’industrialisation et de l’internationalisation de la K-Pop.
Le formatage de la culture
On doit à Soo-man Lee l’invention du système kiheoksa, où toute la transformation de jeunes talents anonymes en superstars se fait en interne, selon un processus rigoureux et astreignant.
3 termes de K-Pop
- Idole : terme propre au système de la K-Pop, il désigne les artistes de cette industrie musicale et comprend une dimension de polyvalence. En effet, une idole possède des compétences en tant que chanteur, rappeur, mais également en tant que danseur, mannequin ou encore acteur.
- Concept : thématique spécifique donnant l’identité d’un nouvel album, musicale, chorégraphique, mais également visuelle.
- Fandom : ce sont des mouvements de soutien officiellement reconnus par les entreprises produisant les groupes de K-Pop. Chaque fan club possède des signes distinctifs, comme une couleur ou un nom associés au groupe qu’il soutient.
Au printemps 2022, à l’occasion du 20e anniversaire de Korea Program à l’université américaine de Stanford, Soo-man Lee évoque le concept de « technologie de la culture », un système de management unique qui crée et propage de la culture en quatre étapes : le casting (l’identification des talents), l’entraînement, la production de contenu et, enfin, le marketing.
Une recette appliquée depuis par toute l’industrie du divertissement. Dès les années 2000, les labels sud-coréens de K-Pop conquièrent avec succès le marché japonais, le deuxième mondial pour l’industrie musicale derrière celui des États-Unis.
3 questions à Shin-Eui Park
Professeure à l’université Kyung Hee, au département de management des arts et de la culture, et directrice du centre pour le management des arts et de la culture.
Pourquoi la K-Pop est-elle, selon vous, un objet culturel digne d’intérêt ?
C’est d’abord par le biais de son « fandom » (communauté de fans) que je me suis intéressée à la K-Pop. Il s’agit d’une caractéristique qui démarque la K-Pop des autres musiques. La simple popularité ne peut expliquer un tel niveau de diffusion et d’empathie chez les fans à une échelle mondiale, sans exception régionale. Cette musique est appréhendée comme une sorte de valeur sociale, elle n’est pas seulement une affaire de goût, elle permet de trouver un sens à la vie. Par exemple, les BTS sont allés
jusqu’à prononcer un discours pour les jeunesà l’ONU. Ce n’est pas seulement du fait de leur popularité auprès du public, mais parce qu’ils ont aussi une chanson intitulée Love Yourself, qui invite les gens à s’accepter et à se respecter. Une sorte de nouvelle culture émerge à l’échelle mondiale, et c’est là que cela devient intéressant.
Pourquoi le cas du groupe BTS et des Army (le nom de ses fans) est-il unique ?
Pour caractériser de manière métaphorique les Army, j’ai utilisé le concept de tribu du philosophe français Michel Maffesoli. On assiste à des réunions informelles où la spontanéité et l’enthousiasme individuels sont étonnamment équilibrés et organisés, et qui se caractérisent par une véritable prise de décision et une force de frappe de l’action. Dès les années 90, Maffesoli avait prédit que les individus seraient capables de vivre des expériences différentes de la vie officielle et institutionnelle, grâce au développement des technologies de communication. Ces « tribus » émergentes constituent des organisations informelles et temporaires qui méritent, notamment, d’être étudiées de manière académique.
On parle de la 4e génération de groupes de K-Pop, que cela signifie-t-il ?
À chaque génération correspond un changement d’environnement social et culturel faisant ressortir des aspects particuliers de la K-Pop. Pour la 4e génération, la place des réseaux sociaux est cruciale et déterminante. À cet égard, on peut observer que la Hallyu (vague culturelle sud-coréenne) se développe et conserve un statut stable grâce à cela.
Pensez-vous que c’est un phénomène culturel qui peut se pérenniser ?
Oui, car au vu de la manière dont le phénomène du fandom se démarque chez les adolescents et les jeunes adultes dans leur vingtaine, on peut s’attendre à ce que cet appel aux jeunes persiste. L’activité sur les réseaux sociaux est amenée à se poursuivre, impliquant, dès lors, une interaction permanente qui permettra de développer une communauté culturelle autour de nouveaux goûts.
Une décennie plus tard, et grâce à l’avènement des réseaux sociaux et des plates-formes de diffusion comme YouTube, la consommation de contenus liés à la K-Pop se développe, et le secteur s’implante également sur les marchés internationaux, notamment occidentaux.
En 2012, les radios américaines et européennes passent en boucle la chanson Gangnam Style du chanteur Psy, lancée par YG Entertainment. Le clip vidéo devient le plus visionné au monde et se hisse à la deuxième place du classement américain Billboard, qui ajoute le genre de la K-Pop comme catégorie officielle dans la foulée.
Lancé en 2013 par Big Hit Entertainment (depuis devenu Hybe), le groupe BTS formé de sept garçons s’est imposé comme l’une des success-stories les plus flamboyantes de l’histoire de la K-Pop, avec un retentissement international sans précédent.
En 2017, il devient le groupe le plus populaire du monde, raflant les prix du classement Billboard et battant des records. En 2019, il a été rapporté que le groupe avait généré un PIB de 4,65 milliards de dollars équivalant à 0,29 % du PIB national.
Aujourd’hui, au-delà de leur statut d’artistes, les membres sont également devenus officiellement ambassadeurs culturels de la Corée du Sud ou se sont associés à l’Unicef à l’occasion de la campagne « Love Myself » prêchant un message d’amour de soi à destination des jeunes.
Surnommés les Big Four, SM Entertainment (130,7 millions d’euros de revenu net au troisième trimestre 2018), JYP Entertainment (26,9 millions d’euros), YG Entertainment (50,5 millions d’euros) et Hybe Corporation (anciennement Big Hit Entertainment et 167 millions d’euros) dominent largement l’industrie de la K-Pop.
Les big four dominent largement l’industrie de la K-Pop
Éparpillés dans l’hypercentre de Séoul, leurs sièges se dressent telles de véritables forteresses, visibles, mais hermétiques. L’impression d’accessibilité de ces idoles se cultive soigneusement sur les réseaux sociaux où rien n’est laissé au hasard.
La trajectoire de la K-Pop s’accompagne de l’avènement d’un capitalisme du divertissement visant la production de valeurs esthétiques. Longtemps considérée comme une sous-culture, la K-Pop a fini par s’imposer comme un nouveau type de média à part entière en créant une pop culture globale esthétisée sud-coréenne.
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