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Danseur étoile, ex-directeur artistique de la Compagnie nationale de danse d’Espagne, chorégraphe… José Martínez dirige la danse de l’Opéra national de Paris depuis le 5 décembre 2022. Un retour aux sources au sein d’une institution qu’il connaît bien et qu’il entend ouvrir davantage sur le monde.
Depuis que José Martínez a repris la direction de la danse de l’une des plus belles maisons au monde, une vague de légèreté plane dans les couloirs et les studios du palais Garnier. Sans doute parce que le nouveau directeur a passé vingt-quatre ans de sa vie dans ce lieu prestigieux et qu’il y a brillé sur scène. Surtout, il est heureux d’être de nouveau là. Son passé au sein de l’Opéra national de Paris, son expérience et sa vision y sont donc pour beaucoup.
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« Revenir ici n’a pas été un acte prémédité, confie-t-il, c’était même assez inespéré. À la fin de mon mandat à Madrid, je me suis remis à la création chorégraphique. Lorsque l’ancienne directrice de la danse, Aurélie Dupont, a annoncé, en juin 2022, qu’elle quittait ses fonctions, j’ai présenté mon projet de direction pour ne pas avoir à le regretter plus tard. Avoir vécu loin de Paris durant plus de dix ans et avoir eu des expériences au sein d’autres compagnies, notamment en Croatie, a été très enrichissant. Surtout qu’ici le challenge peut facilement intimider. Il s’agit de diriger une maison qui compte 153 danseurs et plus d’une trentaine d’employés uniquement voués au ballet. »
Accompagner les corps et les âmes
Dire qu’en quinze ans les choses ont changé n’est pas un euphémisme, surtout en matière de management. D’où les grands axes que le nouveau maître des lieux entend donner à sa direction.« Aujourd’hui, l’accompagnement est capital, déclare-t-il. Accompagner, c’est déclencher une étincelle, deviner le potentiel de chacun de nos danseurs, les motiver avec des projets artistiques éclectiques, leur faire prendre des risques sans mettre leur carrière en péril. D’où la nécessité d’être à l’écoute, d’engager davantage le dialogue. »
Certes, les directions précédentes avaient déjà mis en place pas mal de choses : suivi en ostéopathie, kinésithérapie ou encore cryothérapie, particulièrement efficace lorsque l’on reprend la danse après une blessure, mais également suivis psychologique, gynécologique et diététique. « Il est vrai que tout cela avait déjà été abordé, reprend José Martínez. La différence, aujourd’hui, c’est que le regard porté sur ces sujets a changé. »
Autres chantiers épineux : la gestion du planning des répétitions dans les huit studios du palais Garnier et dans les trois de l’opéra Bastille, ainsi que la réforme du concours de promotion interne du corps de ballet. Datant de 1860, ce concours consiste à promouvoir les danseurs au sein de la compagnie afin de leur faire passer les cinq grades fatidiques de la hiérarchie – quadrille, coryphée, sujet, premier danseur – pour arriver à la consécration ultime : étoile.
Pas de concours, en revanche, pour cette dernière étape, qui se fait sur nomination et après le départ à la retraite d’une étoile, 40 ans pour les ballerines, 42 pour les danseurs. « Des rôles d’étoiles sont parfois interprétés merveilleusement par des sujets qui ratent complètement leur prestation lors de ce concours qui ne reflète donc pas vraiment leurs véritables qualités et aptitudes, reconnaît José Martínez. Ce concours était donc à revoir. Le passage de sujet à premier danseur s’est donc fait, cette année, sur nomination, à titre expérimental… »
Inaugurer une « pépinière de chorégraphes » au sein de l’honorable institution, parallèlement à l’enseignement de la danse, fait également partie des grands axes de la nouvelle direction. D’anciens danseurs de la maison, comme Simon Valastro, Bruno Bouché, actuel directeur artistique du CCN-Ballet de l’opéra national du Rhin, et Nicolas Paul avaient lancé la tendance.
Et l’on sait combien la création de cette pépinière a du sens pour José Martínez, également chorégraphe – en 2008, il avait créé pour l’Opéra de Paris une adaptation dansée du film mythique de Marcel Carné Les Enfants du paradis.
La création d’une « Junior Compagnie » s’adressera aux danseurs de plus de 18 ans qui ont fini leur cursus à l’école de danse de Nanterre, mais qui n’ont pas été admis dans le corps de ballet. Encore une initiative ambitieuse qui consistera à leur offrir un complément de formation de douze à vingt-quatre mois, soit pour rejoindre le ballet, soit pour auditionner auprès d’autres compagnies.
La danse s’invitera également dans L’Opéra en Guyane, l’un des programmes de l’Académie de l’Opéra de Paris, une opération au-delà des océans qui consiste à réaliser des spectacles, créer des ateliers hors les murs du palais Garnier, afin d’initier, de sensibiliser, de coacher et de repérer de jeunes talents.
« C’est important d’exporter notre école hors de nos murs, soutient-il, de créer des succursales de notre ballet, de nourrir des échanges culturels. » Le message est donc clair : ouvrir les portes, créer de la diversité, de la mixité, accueillir des danseurs venant de conservatoires extérieurs afin de leur enseigner la noblesse, le prestige, l’excellence et la magie que l’institution défend depuis le XVIIe siècle.
Entre académisme et avant-garde
Autre casse-tête : gérer les 190 représentations par an. « 2024 est une année de transition, souligne José Martínez, où il sera question de trouver un équilibre dans la programmation. » C’est-à-dire un intermédiaire entre le grand répertoire académique et l’avant-garde. La découverte de nouveaux spectacles et de nouveaux talents est également un privilège de la fonction, à condition de jongler avec un agenda déjà fort chargé.
On se souvient de Crystal Pite, chorégraphe canadienne alors peu connue en France, et programmée depuis 2016 régulièrement grâce au sublime Seasons’ Canon qu’elle avait créé pour le palais Garnier cette année-là. Réfléchir à une nouvelle vision du répertoire est également envisagé, comme revoir les contenus et le sens de certaines œuvres par rapport aux critères sociaux et politiques d’aujourd’hui.
« Cela dit, on réinterprète déjà dans un esprit plus contemporain des grands ballets romantiques, confirme-t-il, comme Giselle, Le Lac des cygnes, La Belle au bois dormant… On danse déjà avec des pointes, technique classique par essence, dans des chorégraphies contemporaines qui s’interprètent le plus souvent en chaussons ou nu-pieds. La danse a toujours écouté les mutations de notre monde. Et le faire évoluer passera toujours par l’art. » Nous en sommes, nous aussi, convaincus.
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