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Le palais Galliera propose la première monographie consacrée au plus français des photographes de mode italiens, Paolo Roversi, 2024 - IDEAT
Guinevere Van Seenus, Yohji Yamamoto P/E 2005, Paris, 2004. Tirage pigmentaire sur papier baryté.
Marine Mimouni

The Good Culture // Art

Paolo Roversi : « je pense que ma photographie est simple »

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The Good Culture

Jusqu’au 14 juillet, le Palais Galliera propose la première monographie consacrée au plus français des photographes de mode italiens. Maître des tonalités douces et sépia ainsi que des noir et blanc faussement floutés, Paolo Roversi, 76 ans, fait de chaque portrait une création à l’esthétique intemporelle. The Good Life l’a rencontré devant les 140 œuvres de cette exposition événement.

Paul Miquel, rédacteur en chef de The Good Life, a rencontré le photographe Paolo Roversi.


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Autoportrait de Paolo Roversi, 2020.
Autoportrait de Paolo Roversi, 2020. PAOLO ROVERSI

« Avant d’entamer l’interview, je voudrais dire un grand merci à Sylvie Lécallier, la commissaire de l’exposition, qui a effectué un travail formidable sur plusieurs mois, même peut-être plusieurs années, commence d’emblée Paolo Roversi. C’est grâce à elle que cette monographie existe. D’abord, c’était son idée. Ensuite, elle a multiplié les visites dans mon atelier pour comprendre mon travail. Et je dois dire qu’elle a été très patiente, parce que personnellement, je vis dans l’hésitation, dans le doute. Tout le temps. Ce n’est pas facile de travailler à mes côtés, mais Sylvie a su le faire pour monter cette exposition pleine de passion et de poésie. » – Paolo Roversi

Ainsi vont les choses au pays de Paolo Roversi. Tout se dit, sans jamais forcer le trait, d’une voix douce mais assurée.

« Je suis allée au studio de Paolo de nombreuses fois, sourit Sylvie Lécallier. Il m’a ouvert grand les portes de ses archives. Paolo a tout gardé, soit cinquante ans de photos, il n’a rien jeté. Il y avait des boîtes à ouvrir, des choses à regarder, passionnantes, pour tenter de saisir justement son cheminement. J’avais envie d’essayer de comprendre comment il était arrivé, à un moment donné, à s’emparer du Polaroid, comment son studio – qui est le cœur de son travail – est devenu l’espace de création de toute son œuvre. J’ai tiré un fil, qui fut le point de départ de multiples découvertes, et il s’est avéré qu’il n’y avait plus du tout de chronologie possible, parce que les photos de Paolo Roversi brouillent la temporalité, elles effacent le temps. »

Il y a effectivement une sorte d’évidence quand on observe toutes ces images qui ne se démodent pas : c’est bien la lumière qui guide le travail de Paolo Roversi. La lumière de l’enfance qui l’a amené à la photo ; la pénombre, l’obscurité et les formes que dessine une lampe torche; la lumière du jour de son très grand atelier d’artiste transformé en studio. La lumière de la vie, en somme.

Rencontre avec Paolo Roversi

Luca Biggs, Alexander McQueen A/H 2021-2022, Paris, 2021. Tirage au charbon.
Luca Biggs, Alexander McQueen A/H 2021-2022, Paris, 2021. Tirage au charbon. PAOLO ROVERSI

The Good Life : On dit souvent de vous que vous êtes probablement le photographe qui sait le mieux regarder le modèle en face de lui. Qu’en dites-vous ?

Paolo Roversi : Quand je photographie, je dois avant tout ressentir une émotion. C’est vraiment quelque chose de profond et d’intense. Le modèle est tout seul dans l’espace vide de mon studio et c’est elle – ou lui – qui occupe le temps et l’espace et qui donne cette charge d’humanité à travers sa beauté, à travers sa présence.

Pendant les prises de vue, je dis ce que je fais, mais je ne parle pas beaucoup. Je pense que c’est cette atmosphère qui crée une énergie permettant à la personne en face de moi de s’ouvrir réellement. Voilà, pour moi, c’est un moment d’échange. C’est comme un miroir, je me reflète dans mes modèles et vice versa.

Comment faites-vous pour que vos modèles se sentent – selon vos mots – « au centre du monde » le temps d’une photo ou de plusieurs ?

Dans ce lieu un peu mystique qu’est le studio – mais aussi dans cette lumière, et parce que je me concentre sur mon modèle et que le modèle perçoit ma concentration très fortement –, les sujets se sentent importants à ce moment-là, très importants.

Et donc ils ont envie de se donner. Tout est là, dans cette force de l’échange. Il y a une émotion qui, après, quand vous regardez la photo, transparaît. Si les modèles s’ennuient quand je les photographie, le spectateur s’ennuiera aussi devant mes images.

Lampe, Paris, 2002. Tirage pigmentaire sur papier baryté.
Lampe, Paris, 2002. Tirage pigmentaire sur papier baryté. PAOLO ROVERSI

Comment décririez-vous votre esthétique ?

Je n’aime pas du tout analyser mon travail ni mettre des mots sur mes photos. Dire que je fais ça pour telle ou telle raison, ou que cette image est plus romantique qu’une autre, je ne saurais pas.

Je sais simplement que j’ai traversé plusieurs techniques et plusieurs langages photographiques au cours de ma carrière, mais ça n’a jamais été mon sujet. La technique photographique, c’est avant tout un accessoire pour arriver à exprimer des émotions, des sentiments.

Vous êtes pourtant connu pour vos images à la chambre grand format et surtout au Polaroid…

Oui, le travail au Polaroid m’a marqué, bien sûr. Et puis, ça s’est s’arrêté. À un moment donné, on peut être prisonnier, malgré soi, d’une technique. Et donc il a fallu que je me réinvente, entièrement. C’était inévitable. Et le digital fut la solution la plus facile pour remplacer le Polaroid.

D’abord parce que c’était celle qui me permettait d’avoir la vision de l’image tout de suite, comme avec les Polaroid, celle à laquelle j’étais habitué. Ensuite, il était obligatoire de s’adapter à une nouvelle technique, car les Polaroid n’étaient tout simplement plus fabriqués.

Guinevere Van Seenus, Yohji Yamamoto P/E 2005, Paris, 2004. Tirage pigmentaire sur papier baryté.
Guinevere Van Seenus, Yohji Yamamoto P/E 2005, Paris, 2004. Tirage pigmentaire sur papier baryté. PAOLO ROVERSI

Vous êtes aussi connu pour vos accidents photographiques, ces flous inimitables…

J’adore les accidents photographiques et les erreurs, parce que j’adore les imprévus, ce que je n’ai pas voulu faire mais qui arrive comme ça, tout seul. C’est toujours un cadeau pour moi, parce que j’aime bien l’inattendu, être saisi par quelque chose que je n’avais pas imaginé.

Est-ce là que réside la magie de la photographie ?

Non, mais la photographie est magique, ça, c’est sûr. Il y a tellement de données qui entrent en compte dans une photo. La lumière, l’exposition, la mise au point, le point de vue, l’angle… il y a tellement de composants qu’il y a toujours une place pour les accidents et le hasard. Et j’aime me laisser surprendre.

Audrey Marnay, Comme des Garçons P/E 1997, Paris, 1996. Tirage au charbon.
Audrey Marnay, Comme des Garçons P/E 1997, Paris, 1996. Tirage au charbon. PAOLO ROVERSI

Vous avez travaillé avec les plus grands designers : Yohji Yamamoto, Romeo Gigli, Rei Kawakubo et bien d’autres. Doit-on dire de vous que vous êtes un photographe de mode ?

Je suis un photographe de mode, oui, j’accepte d’être nommé ainsi. On dit parfois que mes images ne se démodent pas et qu’on a vraiment du mal à les dater. Cette impression d’intemporalité qui se dégage de mes photographies vient du fait – je pense – que je shoote exclusivement en studio. Car le studio est en dehors du monde réel.

Il y a parfois des éléments secondaires, des postures, des lumières, qui pourraient être qualifiés de «christiques» dans votre travail. Est-ce qu’il y a un aspect sacré dans vos images? Vous voulez dire en lien avec la religion ? Ou avec une forme de métaphysique ?

Oui, il y a un peu de ça. Je pense qu’il y a quelque chose de spirituel en tout cas.

Et ce côté flou… qui est pourtant si naturel. Quel est votre secret ? Vous vous demandez comment je brouille mes images, c’est ça ?

En fait, elles ne sont pas brouillées, c’est juste une histoire de petits décalages qui peuvent s’opérer entre le modèle et la robe, entre la robe et l’ambiance autour. Et ces petits décalages font aussi qu’il y a… [il réfléchit] il y a quelque chose qui se passe et qui donne cette impression d’intemporalité, ce sentiment d’être plus ou moins dans la réalité. Mais je vous le répète, je ne suis pas le mieux placé pour analyser mon travail.

Anna Cleveland, Comme des Garçons P/E 1997, Paris, 1996. Polaroid original.
Anna Cleveland, Comme des Garçons P/E 1997, Paris, 1996. Polaroid original. PAOLO ROVERSI

Il y a quelque chose de très franc, de très droit, de très doux aussi dans vos photographies. Autrement dit, on sent qu’il n’y a pas de triche. Vrai ou faux ?

Vrai. Pour moi, prendre une photo ce n’est pas encadrer quelque chose de la réalité extérieure dans l’appareil. Au contraire, c’est réveiller quelque chose à l’intérieur de ce rêve et l’amener à la lumière. C’est pour ça qu’on « donne » une photo et qu’on ne la « prend » pas. J’aime faire ce petit jeu de mots qui est, à mon sens, très signifiant.

Je pense que le style d’un artiste, c’est l’âme de celui-ci. Ce n’est pas une technique, il n’y a pas de triche. C’est simple en fait. Même si elle présente des techniques différentes, je pense que ma photographie est simple. Voilà, si vous voulez un mot pour qualifier mes photographies, je dirais qu’elles sont simples.


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Exposition Paolo Roversi
Au Palais Galliera jusqu’au 14 juillet
Site internet

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