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Interview Marco Bizzarri PDG de Gucci enfant du pays - the good life
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The Good Business

Interview : Marco Bizzarri, P-DG de Gucci, l’enfant du pays

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Pilier du groupe Kering, P-DG de Gucci depuis 2015, Marco Bizzarri est un homme d’affaires visionnaire, qui a redoré, en six ans à peine, le blason de l’un des symboles du luxe les plus prestigieux. La soixantaine athlétique, d’une insatiable curiosité, ce citoyen du monde est resté fidèle à ses racines et à la cuisine italienne. Il reçoit The Good Life à Gabicce Monte, village en retrait de la côte adriatique, pour parler de tradition, d’amitié et… de gastronomie.

Habillé d’une veste bleue, superbement taillée, qui porte sur la manche gauche ses initiales MB, Marco Bizzarri pense et parle vite, grosses lunettes sur le nez et chaussé de baskets. Tapant sans cesse du pied, il gesticule comme il respire. Pour souligner avec emphase chaque mot, presque goulûment.

3 questions à Marco Bizzarri, P-DG de Gucci :

The Good Life : Nous sommes dans le restaurant Dalla Gioconda, que votre famille a récemment repris. D’où vient votre passion pour la cuisine ?
Marco Bizzarri :
Elle fait partie de mon ADN d’Italien. Je suis né à Rubiera, près de Modène, au nord de Bologne, au cœur de cette Émilie-Romagne qu’on surnomme de nos jours la Food Valley, pour la richesse de son patrimoine culinaire. Je viens d’une famille très, très modeste. Nous n’avions pas de salle de bains ni de chauffage à la maison. Mon père était céramiste, et, pour lui, la semaine de 40 heures n’existait pas. Il travaillait sept jours sur sept. Mais il y avait ce rituel, chaque dimanche, de nous retrouver tous à table. Les longs repas en famille, les odeurs, le goût des cappelletti in brodo de Maman, les vendanges des quelques vignes de Papa, l’enfant de 2 ou 3 ans que j’étais qui foulait les raisins sous ses petits pieds, tout cela ne s’oublie pas… Tout le monde élevait des cochons. Alors le jambon, la coppa, les saucissons, la pancetta poêlée avec des œufs pour le petit déjeuner du dimanche, tout ça va au-delà de mon cas personnel, mais renvoie presque à un imaginaire collectif. Nos parents qui avaient vécu la guerre étaient obsédés par la nourriture. Pendant trente ans, maman a géré une échoppe dans le centre de Rubiera. Elle y préparait ses cappelletti mythiques qui faisaient littéralement l’unanimité. Et cela dans une région où chaque famille est la gardienne de sa propre recette, tenue secrète, pour étirer la pâte et préparer la farce. Rivalisant perpétuellement avec celles de ses voisines. Mon amour de la cuisine a été largement nourri par les… Feste dell’Unità, ces grands raouts annuels organisés par le parti communiste, avec des stands de cuisine populaire venus de toute l’Italie. Un événement qui, pour des millions d’Italiens, fut un vrai catalyseur culturel. C’est là que j’ai goûté pour la première fois des produits de Calabre, des spécialités typiques de la Sicile, assez peu courants dans l’Émilie-Romagne de ma jeunesse. Mais aussi des spécialités du monde entier, mon premier verre de porto, de vinho verde, mes premiers plats argentins, je les dois aux Feste dell’Unità de Reggio d’Émilie.

Sommelier de formation, Stefano Bizzarri a pris les rênes de Dalla Gioconda, à Gabicce Monte, un restaurant sur le point de fermer que Marco Bizzarri, son père, a racheté.
Sommelier de formation, Stefano Bizzarri a pris les rênes de Dalla Gioconda, à Gabicce Monte, un restaurant sur le point de fermer que Marco Bizzarri, son père, a racheté. Gabriele Stabile

The Good Life : Du monde agricole au sommet de l’univers du luxe, c’est un sacré parcours. Comment y êtes-vous parvenu ?
Marco Bizzarri : Rien ne me prédestinait à la mode. Chez moi, les études étaient la clé pour décrocher un poste fixe. Ma famille n’avait pas les moyens pour investir dans l’enseignement supérieur. Au lieu d’une orientation L ou S, qui aurait impliqué, après le lycée, au moins cinq années d’université, j’ai opté pour études de ragioneria (lycée professionnel de compatibilité). Le hasard a voulu que je rencontre en classe Massimo Bottura, qui n’était pas encore le grand chef mondialement réputé, devenu, depuis, mon meilleur ami. Nous venions de milieux très différents. Massimo était déjà un électron libre plein d’idées, mais il prenait ses études à la légère, au grand désespoir de ses parents. Moi, au contraire, têtu, perfectionniste, je bossais jour et nuit, dévorais mes livres d’école. Alors que Massimo, lui, faisait sans cesse les 400 coups. Chaque jour, à Modène, en sortant de l’école pour la pause déjeuner, il appelait sa mère Luisa pour lui annoncer depuis une cabine téléphonique « J’arrive avec Marco ! Tu nous prépares un riso e bisi ? » Un risotto aux petits pois, emblématique de la cuisine italienne, que Massimo Bottura, permettez la digression, a mis à la carte des Gucci Osteria, la ligne de restaurants de cuisine italienne contemporaine que nous avons ouverts ensemble à Florence, Beverly Hills, Tokyo et Séoul. Demandant à chaque chef d’en élaborer une version à partir de la recette d’origine, une propre variation de la tradition, très personnelle, rebaptisée Pronto Luisa. Cela en dit long sur la complicité qui existe entre Max et moi. Avec les années, nous avons pris des chemins divergents. Moi dans la mode, lui devenant le grand chef mondialement célébré. Mais, philosophiquement, ça n’a aucun sens de dire qu’aujourd’hui je suis quelqu’un de différent. Nous sommes toujours les mêmes personnes, mais enrichies par des expériences différentes. Au début des années 90, quand les portables n’existaient pas, je tombe un jour sur sa mère au sortir d’une cabine téléphonique, qui, surprise, me dit : « Tu n’es pas au courant ? Massimo a fait une folie, il a acheté un restaurant ! » Alors que je m’étais finalement inscrit à l’université, il avait mis ses parents devant le fait accompli, rachetant une trattoria de campagne près de Modène. À l’époque, il s’imaginait en patron, en oste, pas en cuisinier. C’était bien avant ses stages chez Alain Ducasse ou Ferran Adrià, qui l’ont aidé à devenir ce qu’il est aujourd’hui.

The Good Life : Comment avez-vous convaincu vos parents de vous envoyer étudier à l’université ?
Marco Bizzarri : J’ai toujours été un élève modèle, le premier de la classe. Alors ils ont accepté de m’envoyer à l’université de Modène, où beaucoup de professeurs venaient de l’université Bocconi de Milan, la référence en la matière. En bête de travail, j’ai terminé les cours pile en trois ans [sur 4 à l’époque, NDLR], classé premier sur 600 élèves. Le diplôme en poche, je suis parti à la recherche d’un travail, et, depuis la même cabine téléphonique, j’ai appelé Arthur Andersen, une importante société de consulting. Ils ont tiqué, ils ne comprenaient pas pourquoi je les contactais et m’ont rétorqué froidement : « Cher monsieur, ça ne marche pas comme ça : c’est nous qui choisissons les meilleurs candidats. » Je leur ai répondu : « Vous faites une grave erreur, vous ne m’avez pas contacté, alors que je suis le premier de ma promotion. » J’ai passé trois entretiens dans la même journée, et, en fin d’après-midi, je ressortais avec le contrat signé. À partir de là, tout s’est enchaîné. Mon arrivée chez Mandarina Duck, où j’ai rencontré Marithé et François Girbaud, alors à l’acmé de leur carrière, m’a amené à développer la marque en Italie, mais surtout à l’étranger. Notamment à Hong Kong, en 1997, l’année de la rétrocession à la Chine, ma première expérience internationale comme chef du marché. Nommé ensuite P-DG de Lamarthe, pilier avec les deux autres L – Lancel et Longchamp – de la maroquinerie, je me suis installé pour quatre ans à Paris, où j’ai fait passer le chiffre d’affaires de l’entreprise de 3 à 20 millions d’euros, entre 1997 et 2000. Puis j’ai rejoint Stella McCartney à Londres – ma première incursion dans le monde du luxe –, dont j’ai accompagné le développement. Entre 2006 et 2008, le chiffre d’affaires est passé de 10 à 60 millions. Après ça, j’ai intégré Bottega Veneta.

Marco Bizzarri en quelques dates

• 19 août 1962 : naissance à Rubiera, petite ville au nord de Modène.
• 1993 : après des études d’économie à l’université de Modène et de Reggio d’Émilie, il intègre la griffe spécialisée en maroquinerie Mandarina Duck.
• 2005 : au sein du groupe Kering, il est nommé P-DG de la marque Stella McCartney, avant de diriger Bottega Veneta, de 2009 à 2014.
• 1er janvier 2015 : il devient P-DG de Gucci, nomme Alessandro Michele directeur créatif de la maison. La consécration mondiale est immédiate.
• 2018 : avec son ami d’enfance Massimo Bottura, il crée, à Florence, la première Gucci Osteria, qui voit la chef d’origine mexicaine, Karime López, décrocher sa première étoile Michelin en un an.
• 2021 : à titre privé, il achète, rénove et relance 2 restaurants historiques qui lui sont très chers : Dalla Gioconda, à Gabicce Monte, et l’Osteria del Viandante, à Rubiera.

Retrouvez la suite de l’interview de Marco Bizzarri, dans le numéro d’été de The Good Life, disponible en kiosque et sur The Good Concept Store.


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