Horlogerie
Autant les sujets montres et autos passionnent la presse, autant les horloges qui équipent les planches de bord des voitures ont plutôt tendance à laisser de marbre les journalistes spécialisés. Il n’existe presque aucun article sur le sujet. Il est temps de réparer cette criante injustice et de se pencher sur les dashboard clocks…
Au début de l’automobile, les tableaux de bord vont à l’essentiel. Peut-on même seulement parler de tableau de bord, pour cette petite poignée de compteurs ronds affichant les pressions d’essence ou d’huile ? Ces éléments s’inspirent des compteurs industriels monoaiguille d’alors. Les pendules de bord sont rarissimes.
« On en croise malgré tout, sur certaines De Dion Bouton et même des Renault du tout début du XXe siècle », précise François Moreau, fondateur de Réservoir, une marque de montres dont le design s’inspire des compteurs anciens.
« Leur affichage utilise des chiffres romains, contrairement aux autres compteurs qui reçoivent, le plus souvent, des chiffres arabes, rappelle le responsable de Réservoir. Imposantes pour une meilleure visibilité, elles s’inspirent des montres de gousset de l’époque. Elles disposent généralement d’importantes réserves de marche, jusqu’à sept jours. Cela évite au conducteur d’avoir à les remonter à tout bout de champ. Cette opération s’effectue le plus souvent à l’aide d’une clé, comme sur une pendule ou une horloge d’intérieur. » Plus rares sont celles qui se remontent via une lunette crantée tournante.
Des pendules de bord sur les voitures de sport ou de luxe
Après la Première Guerre mondiale, les voitures de sport sont plus nombreuses à recevoir des montres. Le superbe tableau de bord en aluminium bouchonné des Bugatti 35B à compresseur est souvent agrémenté d’un accessoire de ce type.
Les spectaculaires Bentley 4,5 l ou 6,5 l Speed Six des années 1920, qui s’illustrent aux 24 Heures du Mans, reçoivent aussi des pendules de tableau de bord. Les voitures de prestige ne sont pas en reste. Les Hispano-Suiza ou Delage, notamment, égaient leurs planches de bord d’horloges très sophistiquées, tandis que l’américaine Cadillac V16 a droit à une très élégante pendule de style Art déco.
On trouve aussi une grosse montre plate fixée par quatre vis sur la planche de certaines Rolls-Royce Phantom II. Enfin, des documents attestent d’une splendide pendule fabriquée sur mesure pour la Bugatti Royale Type 41, l’une des automobiles les plus luxueuses et les plus chères de son époque.
L’entre-deux-guerres : les pionniers
Dès 1915, Zenith dépose le brevet d’une pendule de bord pour automobile. La gamme s’étend par la suite avec des modèles proches des montres de gousset à clipper sur le tableau de bord. « Placé dans un boîtier de métal, l’objet est alors intégré à des griffes qui l’arriment solidement à la voiture, explique Laurence Bodenmann, responsable du patrimoine chez Zenith. Le système rappelle ce qui se fait en aviation à la même époque. »
Très tôt également, Edmond Jaeger (pas encore associé à Antoine LeCoultre) se spécialise dans les compteurs de mesure de vitesse : tachymètres, cinémomètres, chronographes et autres compteurs pour l’aviation. Du ciel au macadam, il n’y a qu’un pas, et, en 1927, l’équipementier français développe sa première montre embarquée pour automobile.
Combinée à un compteur de vitesse, cette pendule est pourvue d’un ingénieux système de remontage électrique, directement raccordé à la batterie du véhicule. Renault se rapproche de Jaeger pour que ses Vivastella de 1931 et Monaquatre de 1934 reçoivent une instrumentation intégrant une pendule.
De son côté, la Citroën Traction Avant, née en 1934, bénéficie elle aussi, sur certaines finitions, d’une petite pendule de bord à deux aiguilles, directement intégrée au compteur de vitesse. Pour les autres versions, il existait des montres accessoires qui pouvaient être installées au centre du volant.
Après-guerre : la règle du coup par coup
« Dans les années 50-60, l’heure devient plus facile à donner. Les pendules électriques se démocratisent », souligne François Moreau. Pourtant, les tableaux de bord d’alors sont loin d’intégrer cette indication de manière systématique. Les voitures populaires sont peu nombreuses à en disposer.
Ainsi, la Citroën 2CV, notamment, n’y a pas droit. Et la régie Renault refuse cet accessoire à ses 4CV, Dauphine, R8 ou encore R10… Il faut attendre la Renault 16, née en 1965, pour la voir réapparaître… Et encore, uniquement sur la luxueuse finition TX de 1974.
Plus étrange encore, les superbes tableaux de bord en aluminium des premières Jaguar Type E 3,8 l, sportives anglaises racées lancées au début des années 60, sont vierges de toute horloge. C’est avec la version 4,2 l, à planche de bord en cuir, qu’une pendule vient rejoindre les nombreux autres compteurs.
Sur ces prestigieuses anglaises à succès, le prestataire apporte la brochette de compteurs à l’usine. Ces derniers sont clippés par l’arrière à la planche de bord, puis raccordés au circuit électrique. Et le tour est joué.
Ce sont encore, à l’époque, les grands fabricants de compteurs qui conçoivent ces horloges. Jaeger compte parmi les plus importants fabricants d’instrumentation de bord, mais on peut aussi citer les anglais Smith et Lucas, l’américain Borg, l’allemand VDO ou l’italien Veglia Barletti, qui équipe certaines Ferrari.
L’époque moderne des pendules de bord
Dans les années 70 arrive l’affichage à cristaux liquides, qui va devenir un symbole de modernité. Le coût des horloges s’effondre, ce qui garantit leur généralisation à la plupart des automobiles. Aujourd’hui, tous les modèles ou presque, y compris la Renault Twingo ou la Fiat Panda, donnent l’heure de série.
Les montres sont directement intégrées à l’écran de l’ordinateur de bord : elles se retrouvent noyées dans une multitude de fonctions, et l’affichage est essentiellement numérique. Toutefois, quelques marques font de la résistance.
Ainsi, les tableaux de bord des Maserati arborent une pendule analogique ovoïde. C’est en 1985 que la marque italienne décide d’abandonner le numérique à diodes pour l’affichage de l’heure. Depuis lors, toutes les Maserati, des Biturbo jusqu’aux prestigieuses Quattroporte, reçoivent cette horloge de bord au charme désuet. Elle est devenue, au fil des ans, l’un des plus puissants symboles de la marque italienne.
Des aiguilles pour la Bentley et la DS
Plus récemment, Bentley est aussi revenue à la montre analogique. La marque de luxe anglaise s’est rapprochée de Breitling, manufacture spécialisée en montres d’aviation, pour la conception de ses pendules de tableau de bord à l’ancienne. Le partenariat débute en 2002 avec le lancement de la Bentley Continental GT.
Aujourd’hui, l’horloger suisse se charge d’élaborer le design et la mécanique des pendules qui trouvent place sur le tableau de bord de la plupart des derniers bolides anglais. Sur la GTC Convertible, le cadran de l’horloge accueille le logo du constructeur de Crewe : un B ailé d’argent.
La marque premium DS est aussi revenue tout récemment à la montre analogique. Fidèle à sa politique de luxe à la française, le constructeur s’est tourné vers la manufacture BRM Chronographes. L’horloger normand s’est chargé de la conception et du design de la pendule de bord rectangulaire de la DS7.
Reste Zenith, qui demeure muette concernant ses dernières pendules de bord. La marque suisse en a installé au compte-gouttes sur les véhicules mythiques du constructeur auto Land Rover – le Range Rover, notamment. Seuls les modèles sur mesure de la gamme SV, qui distingue les véhicules personnalisés les plus performants, y avaient droit.
Ces pendules confidentielles Zenith étaient placées au sommet de la planche de bord. Le mutisme de la manufacture horlogère suisse à leur sujet s’explique : le partenariat avec Land Rover prendrait fin cette année.
On le voit, à de rares exceptions près, les constructeurs automobiles comme les manufactures horlogères montrent peu d’empressement à faire connaître ces montres embarquées. Ces pendules ou horloges de bord vivent dans l’ombre des montres-bracelets, grandes vedettes de l’horlogerie actuelle. Seul l’automobiliste pourrait changer la donne, en réclamant, un jour, qui sait, de belles pendules à bord de ses bolides préférés…
La montre de bord en collection
Quelle cote pour les pendules de bord ?
« Il existe un vrai marché pour les compteurs anciens. Ces éléments sont nombreux à la vente », affirme François Moreau, fondateur de la maison horlogère Réservoir.
Il s’agit souvent d’éléments de rechange, destinés aux restaurateurs d’autos anciennes. « Ce marché intègre les montres de bord qui ont été pendant longtemps développées par les mêmes prestataires, Jaeger ou Zenith, notamment, et selon des codes esthétiques assez semblables », ajoute le dirigeant.
Les horloges courantes, à alimentation électrique, des années 30 à 60, ne sont pas des objets de luxe. Elles utilisent les mêmes matériaux que les compteurs : le laiton, l’aluminium ou la Bakélite. Elles se vendent quelques centaines d’euros. Non fonctionnelles pour la plupart, elles sont purement décoratives.
Plus recherchées, les premières montres embarquées à remontage à clé ou par la lunette sont un peu mieux cotées. Mais aucune n’atteint les cours stratosphériques des montres-bracelets vedettes.
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