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Unique, Heligoland l’est certainement pour son histoire aussi mouvementée que des montagnes russes, 2024 - TGL
Unique, Heligoland l’est certainement pour son histoire aussi mouvementée que des montagnes russes, 2024 - TGL
Marine Mimouni

The Good Guide // Getaway

La curieuse histoire de l’île de Heligoland, en Allemagne

Getaway

The Good Guide

Elle aime se décrire comme l’unique île allemande en haute mer. Unique, Heligoland l’est certainement pour son histoire aussi mouvementée que des montagnes russes. Mais elle l’est aussi pour son délicieux petit air rétro que l’on savoure comme une curiosité.

Qui donc a déjà entendu parler de cette île au drôle de nom ? À près de soixante-dix kilomètres des côtes allemandes, ce caillou de un kilomètre carré surgit dans la mer du Nord avec ses falaises vertigineuses de grès rouge. On accède à Heligoland en ferry depuis Hambourg ou Cuxhaven, en espérant que la houle ne fasse pas des siennes.


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Heligoland, l’île surprise

La météo régit, comme partout dans le monde, le ballet des ferrys. Par mauvais temps, les bateaux restent au port et l’île peut être coupée du monde durant une semaine, parfois plus. Cela explique peut-être son ambiance singulière, flottante et irréelle.

Heligoland et sa voisine, Düne, en mer du Nord.
Heligoland et sa voisine, Düne, en mer du Nord. DR

Le temps y semble suspendu, comme figé à jamais dans une scène de film. Pour preuve, certaines enseignes n’ont pas changé depuis les années 50-60. Cette impression est décuplée par l’absence de voitures – elles se comptent sur les doigts d’une main. En fait, Heligoland tiendrait presque d’une île de Playmobil. Ses maisonnettes colorées y sont pour beaucoup.

« Cet ensemble architectural date des années 50. Il est aujourd’hui classé. Les maisons aux formes cubiques, inspirées par la Scandinavie, sont ensoleillées au moins une fois par jour. Elles sont très rapprochées les unes des autres pour se protéger des vents forts », explique Stephan Hauke, ancien directeur de l’office de tourisme d’Heligoland.

Carte postale des années 70, fidèles à la représentation que nous avons encore aujourd’hui de cette île, atemporelle
Carte postale des années 70, fidèles à la représentation que nous avons encore aujourd’hui de cette île, atemporelle DR

À l’époque, l’artiste Johannes Ufer imagine une palette de quatorze couleurs pour habiller les édifices. Les propriétaires sont alors libres de choisir leur teinte. « Heligoland, c’est Brasilia en version allemande », ajoute Stephan Hauke.

Nombre d’architectes ont en effet cette référence. Un certain optimisme et une joie se lisent sur les façades, dont celle de l’étonnant hôtel de ville. L’île devait se réinventer. Elle avait été quasiment rasée durant la Seconde Guerre mondiale.

Disparition, résurrection

En 1945, l’armée de l’air britannique lance 7 000 bombes en un peu plus d’une heure trente. Deux ans plus tard, elle récidive avec 6 700 tonnes d’explosifs, soit la plus grande explosion non nucléaire de tous les temps. L’objectif est de faire disparaître l’île de la carte. Pourtant, le port d’Heligoland, les murs de défense, le phare et le tronc d’un mûrier datant de 1810 restent miraculeusement debout.

Le front de mer, entièrement reconstruit après les attaques de la Royal Air Force en 1945.
Le front de mer, entièrement reconstruit après les attaques de la Royal Air Force en 1945. DR

À la fin de la guerre, les Britanniques, qui ont pris possession des lieux, continuent de piler l’île avec leurs bombes – elle leur sert de terrain d’entraînement. Heligoland sera restituée à ses habitants en 1952. C’est alors que le grand chantier de reconstruction commence. Le tourisme balnéaire reprend dans la foulée.

Dès les années 60-70, l’île devient une destination Butterfahrten, ces voyages en quête de bonnes affaires. L’île a en effet un statut particulier de duty free. Allemands du continent et Danois viennent en ferry y acheter de l’alcool, des parfums, des cigarettes à peu de frais.

Vue des falaises de l’île allemande Heligoland.
Vue des falaises de l’île allemande Heligoland. DR

« Il y avait alors 800 000 visiteurs par an, remarque l’ancien directeur de l’office de tourisme. Il y en a aujourd’hui 350 000. Nous essayons de développer un autre tourisme, plus proche de la nature et de la santé. Le duty free rapporte beaucoup moins qu’auparavant. L’île a pris un tournant en pariant sur la carte de l’écologie. Dès les années 2010, elle a développé un parc éolien offshore. »

Lequel lui rapporterait près de 15millions d’euros par an. « L’île coûte cher, poursuit Stephan Hauke. Tout est importé et tous les déchets sont exportés. La location d’un appartement de 45 m2 revient à 1 300 €. C’est hors de prix. Nous sommes à Heligoland, pas à Paris, Munich ou Londres ! » Le parc immobilier est tendu, car il faut, aussi, des logements pour les saisonniers.

Des hommes et des phoques

L’île a en effet une longue tradition touristique. Après avoir appartenu au Danemark, elle passe entre les mains de la couronne britannique en 1807, qui la transforme en station balnéaire. C’est l’âge d’or du tourisme. Mais en 1890, elle échange Heligoland avec l’Allemagne, qui abandonne dans un traité ses vues sur Zanzibar, en Afrique de l’Est. L’Allemagne y poursuit alors l’activité touristique.

Düne est un morceau de terre qu’elle a perdu en 1721 à la suite d’une tempête.
Düne est un morceau de terre qu’elle a perdu en 1721 à la suite d’une tempête. DR

Plus d’un siècle plus tard, on se promène dans le nord de l’île, habitée par les fous de Bassan, là où se dresse un phare de 85 mètres et une antenne de l’OTAN. Sur le chemin en hauteur, on observe le trafic maritime pas loin de l’embouteillage. Cargos et bateaux de croisière attendent leur permission d’entrée dans l’Elbe pour remonter jusqu’à Hambourg.

Le tour de l’île terminé, que faire ? Le recommencer dans l’autre sens ! Passé 17 h 30, les magasins ferment. Quant aux cuisines des restaurants, elles s’arrêtent à 20 h 30. Une boîte de nuit ? N’y pensez même pas ! De toute façon, la plupart des jeunes ont quitté l’île pour leurs études. Certains, aussi, ne supportent plus l’entre-soi de ces 1 280 habitants.

« Tout le monde se connaît, on croise un ami toutes les cinq minutes. Entre insulaires, on se serre la main seulement deux fois dans sa vie : quand on arrive sur l’île, si on n’y est pas né, et quand on la quitte à jamais. Le reste du temps, on se dit bonjour avec un « mooin » (salut !), plus rapide qu’une poignée de main » sourit un local.

Faire une virée à bord d’un voilier à Heligoland.
Faire une virée à bord d’un voilier à Heligoland. DR

« Il est très difficile d’avoir une vie privée ici, avance le Français Cédric Meunier, de l’institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine. Mais il y a aussi un esprit de famille. Les uns font attention aux autres. C’est important, car la population est vieillissante. »

D’autant qu’elle a aussi Düne, un morceau de terre qu’elle a perdu en 1721 à la suite d’une tempête. Cela lui rajoute 0,7km2 , ce qui est loin d’être négligeable au milieu de nulle part. On y est d’un coup de bateau à moteur. Ses longues plages de sable blanc accueillent une colonie de 800phoques qui lézardent au soleil.

Carte postale des années 70 de l’île allemande Heligoland.
Carte postale des années 70 de l’île allemande Heligoland. DR

L’été, elle a ses sauveteurs dignes d’Alerte à Malibu. Düne a aussi un petit aéroport avec trois pistes courtes de 260 à 480 mètres. Lesquelles sont partagées avec les oies. Pour décoller, il faut parfois attendre patiemment leur passage.

Alors, on imagine l’envol brinquebalant de l’albatros Orville dans Bernard et Bianca. Décidément, Heligoland a la saveur d’un dessin animé de l’enfance. Une rare parenthèse hors du temps.


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