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French tech : pépites et licornes en ordre de marche

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L’écosystème de la tech française, désormais mature et structuré, est devenu attractif pour les investisseurs étrangers. Reste à lui donner du temps pour que les start-up deviennent de véritables « champions globaux » et rayonnent bien au-delà de nos frontières.

Le « French tech bashing », c’est fini ! Si la tech française a été relativement ignorée par les étrangers jusqu’au début des années 2000, cette époque est bel et bien révolue. Désormais, la France est aussi réputée à l’international pour ses start-up que pour l’aéronautique ou le luxe. À tel point qu’il devient difficile d’être à jour sur les levées de fonds, les implantations ou les acquisitions réalisées par des jeunes pousses nationales à l’étranger tant les annonces se multiplient.

Signe de la maturité de son écosystème, en 2020, la France a bénéficié de près de 5,2 milliards de dollars d’investissements dans ses start-up contre 4,8 milliards en 2019. Elle est ainsi le seul pays du trio de tête européen (Royaume-Uni, Allemagne, France) à avoir connu une augmentation des investissements, et ce malgré la pandémie de Covid‑19.

C’est ce qui ressort du rapport annuel State of European Tech 2020 publié par Atomico, l’une des grandes sociétés d’investissement, créée par le fondateur de Skype, Niklas Zennström. « Certes, la France reste le troisième marché européen en valeur derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne, mais en progressant en 2020, elle a prouvé la résilience de son écosystème tech. Par ailleurs, elle a multiplié le nombre de tours de table par 4,2 entre 2014 et 2019, alors que l’Allemagne l’a multiplié seulement par deux », précise Franck Sebag, associé chez le cabinet d’audit et de conseil Ernst & Young (EY).

L’attractivité de la French Tech a un revers. Si elles rêvent de s’implanter aux États- Unis ou en Asie, beaucoup de pépites sont financées ou rachetées, souvent par l’un des grands acteurs américains ou chinois, avant d’avoir concrétisé leur rêve.
L’attractivité de la French Tech a un revers. Si elles rêvent de s’implanter aux États- Unis ou en Asie, beaucoup de pépites sont financées ou rachetées, souvent par l’un des grands acteurs américains ou chinois, avant d’avoir concrétisé leur rêve. Ariel Martín Pérez

La part des investissements étrangers dans les start-up européennes, qui est de 30 % pour les tours de table de 0 à 2 millions de dollars, grimpe à 82 % pour les tours de 100 à 250 millions de dollars, et même à 91 % pour les tours supérieurs à 250 millions de dollars. « Soulignons qu’en 2020 de gros investisseurs étrangers étaient présents dans cinq des dix tours de table menés par des start-up françaises supérieurs à 100 millions d’euros, dont trois dépassaient 200 millions d’euros », ajoute-t-il. Selon le baromètre de la performance économique et sociale des start-up du numérique, publié par EY et France digitale, première communauté de start-up en Europe, près d’une start-up française sur trois (31 %) comptait au moins un investisseur étranger dans son capital en 2019.

En moyenne, les start-up réalisent 34 % de leur chiffre d’affaires à l’étranger. Cette part monte à 37 % pour celles qui réalisent plus de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires. « La notion d’“international” a été disruptée par la transformation numérique. Il faut plutôt parler de “global”. Les start-up d’aujourd’hui naissent et pensent avec un modèle global. Le monde est leur marché, surtout dans le domaine du logiciel, qui s’achète sur des plates-formes dans le cloud et peut donc servir et se vendre partout », remarque Godefroy de Bentzmann, président du syndicat professionnel Syntec Numérique.

Lancement du label French Tech en 2013

La scène tech française est entrée dans le radar des investisseurs étrangers après le mouvement des Pigeons, fin 2012. « C’est là que le secteur est passé de l’artisanat à l’industrie et que les start-up ont pris conscience de leur existence en tant que communauté. Depuis, la croissance a été phénoménale. La France est devenue attractive pour les investisseurs. D’une part, les conditions de création d’une start-up y sont les meilleures au monde et le pays a un réservoir de talents. D’autre part, le marché américain est saturé, les capital- risqueurs se battent pour y faire les meilleurs deals et les valorisations s’envolent ! » affirme Arthur Porré, cofondateur d’Avolta Partners, banque d’affaires spécialisée dans la tech.

En novembre 2013, alors qu’elle est ministre chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique, Fleur Pellerin lance le label French Tech. « Le secteur souffrait d’un déficit de visibilité. Le marché intérieur était suffisant pour une start-up à ses débuts, mais le passage à l’échelle, le “scaling”, nécessite l’internationalisation et donc des investisseurs étrangers, qui à l’époque n’intervenaient que très peu dans les entreprises françaises. Aujourd’hui, ils sont tous présents en Europe », raconte-t-elle. Depuis, elle a convaincu le moteur de recherche sud-coréen Naver d’investir dans la société de capital-risque Korelya Capital qu’elle a cofondée en 2016.

Un premier fonds de 200 millions d’euros a été investi dans des sociétés comme Devialet, Vestiaire Collective, AB Tasty ou JobTeaser. « Pour les Coréens, ça a été un véritable pari d’investir en France. Mais le pari est gagné, puisque Naver réinvestit 100 millions d’euros dans le nouveau fonds de 400 millions d’euros que nous constituons actuellement », poursuit-elle.

Des pépites (trop) attractives

L’attractivité de la French Tech a un revers. Si elles rêvent de s’implanter aux États- Unis ou en Asie, beaucoup de pépites sont financées ou rachetées, souvent par l’un des grands acteurs américains ou chinois, avant d’avoir concrétisé leur rêve. Certains plaident pour limiter, voire empêcher les rachats de start-up européennes par les géants du numérique. Les avis sont partagés entre réalisme et ambition.

L’éditeur français de jeux vidéo sur mobiles Voodoo est devenu une licorne – une entreprise privée de moins de 10 ans valorisée plus de 1 milliard de dollars – lorsque le chinois Tencent est entré à son capital en août 2020 (pour un montant non communiqué), qui a porté sa valorisation à plus de 1,2 milliard d’euros. Voodoo avait déjà réalisé l’une des plus importantes levées de fonds de la French tech – 200 millions de dollars – auprès de Goldman Sachs en mai 2018.

Les start-up françaises.
Les start-up françaises. Ariel Martín Pérez

Pour Frédéric Mazzella, président fondateur de BlaBlaCar et coprésident de France digitale, « il faut être lucide, l’Europe a pris un retard considérable. L’international est un passage obligé de la croissance, surtout pour les produits digitaux. D’une part, les rachats sont souvent le fait de géants américains, car ils sont beaucoup plus nombreux que les géants européens ; d’autre part, les grands deviennent encore plus grands, car ils font beaucoup d’acquisitions et qu’ils les intègrent bien. »

En témoigne l’exemple de BlaBlaCar : « Accel Partners a investi dans notre société en 2012 après avoir scanné tout ce qui existait en covoiturage dans le monde. Ils nous ont mis en relation avec les autres “bons” acteurs du secteur, nous en avons racheté certains et nous sommes aujourd’hui leader du covoiturage. »

Créer des écosystèmes

Même si elles sont en train de donner naissance à des leaders mondiaux, la France comme l’Europe doivent encore trouver la bonne formule pour accompagner la croissance de leurs start-up tout en développant leur attractivité sans pour autant devenir le réservoir de technologies de pointe des géants américains ou asiatiques.

« Nous pouvons produire des champions, mais pour les consolider, il faut du temps. La Silicon Valley existe déjà depuis plusieurs générations, la France en est à sa première génération de start-up. Nous devons maintenant choisir dans quels domaines investir – le quantique, l’hydrogène, etc. –, définir et agréger les secteurs industriels capables de créer de la valeur. Prenez l’exemple de l’assistant vocal développé par la start-up française Snips, qui vient d’être rachetée par Sonos. En fait, Snips, qui était visionnaire en termes de positionnement, a du sens dans l’écosystème de Sonos, pas tout seul ! La question est comment s’agréger en écosystèmes pour devenir des champions globaux ! » conclut Stéphane Distinguin, CEO de l’agence d’innovation Fabernovel. Un sacré défi pour la France si elle veut rattraper son retard…


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