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Sous le marteau, les fossiles se négocient parfois aux mêmes prix que des œuvres d’art. Alors, comment se faire plaisir sans se faire peur ?, 2024 - TGL
Sous le marteau, les fossiles se négocient parfois aux mêmes prix que des œuvres d’art. Alors, comment se faire plaisir sans se faire peur ?, 2024 - TGL
Marine Mimouni

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Des fossiles qui valent de l’or : comment bien investir ?

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Sous le marteau, les stars du Crétacé, tyrannosaures ou vélociraptors, se négocient parfois aux mêmes prix que des œuvres d’art. Alors, comment se faire plaisir sans se faire peur ?

Leonardo DiCaprio aurait un faible pour les beautés mésozoïques décharnées, tout en os. Leurs crânes surtout. Dont un d’allosaure et un autre de mosasaure (reptile marin), revendu à Russell Crowe, qui l’a lui-même cédé le double aux enchères. Nicolas Cage est aussi collectionneur : dans une vente, il a raflé, à la barbe de DiCaprio, un crâne de Tarbosaurus bataar pour 276 000 dollars. Mais il y avait un os : le fossile avait été illégalement exporté de Mongolie… où il a dû être retourné par la suite.


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Le marché des fossiles bien en vie

Autant de trophées spectaculaires, moins cependant que les squelettes entiers, qui déchaînent les passions dans les salles de vente. Le dernier record en date a été établi en juillet dernier, chez Sotheby’s, à New York. Avec ses 44,8 millions de dollars, Apex le stégosaure a massacré Stan le tyrannosaure, 31,8 millions sous le marteau chez Christie’s en 2020. Apex est l’un des stégosaures les plus grands et les plus complets (70 %) jamais trouvés, découvert en 2022 par Jason Cooper sur sa propriété, dans le Colorado.

L’apatosaure Vulcain, le plus grand dinosaure jamais mis en vente, avec ses 20 m de long.
L’apatosaure Vulcain, le plus grand dinosaure jamais mis en vente, avec ses 20 m de long. DR

Jason Cooper est un paléontologue commercial, c’est-à-dire qu’il effectue, pour son compte ou celui de ses clients, des fouilles à la recherche de fossiles qu’il excave, prépare (cela consiste à dégager les os pétrifiés de leur gangue minérale et à fabriquer au besoin les os manquants avec des imprimantes 3D) et « monte », reconstituant le squelette pour le présenter sur un support métallique, avant de le revendre.

Des opérations longues et coûteuses, qui durent de un à trois ans selon la difficulté d’accès, la complexité d’extraction et de reconstitution. Pour Apex, Cooper a travaillé dès le départ avec Cassandra Hatton, responsable du département science et culture populaire de Sotheby’s, qui a suivi et documenté toutes les opérations.

Objectif pour Sotheby’s : réaliser « la vente la plus transparente pour un dinosaure », a-t-elle déclaré. Une manière de s’assurer que le trésor est parfaitement authentique, tout à fait légal (aux États-Unis, seuls le sont les fossiles trouvés sur des terres privées et ayant fait l’objet d’un contrat) et traité dans les règles de l’art.

« Les musées et les chercheurs n’ont pas d’argent, donc n’achètent pas aux enchères, et préfèrent, de toute façon, étudier ce qu’ils ont eux-mêmes trouvé lors de leurs fouilles » dit paléontologue belge Pascal Godefroit.
« Les musées et les chercheurs n’ont pas d’argent, donc n’achètent pas aux enchères, et préfèrent, de toute façon, étudier ce qu’ils ont eux-mêmes trouvé lors de leurs fouilles » dit paléontologue belge Pascal Godefroit.

Le nouveau propriétaire d’Apex est Ken Griffin, un milliardaire américain, patron du fonds de pension Citadel, qui a, par le passé, offert le tyrannosaure Sue – le premier dino à crever le plafond, acheté 8 millions – au Field Museum de Chicago. Sue, qui justement avait envoyé son découvreur, Peter Larson, l’un des plus célèbres chasseurs de fossiles américains, fondateur du Black Hills Institute of Geological Research, derrière les barreaux, au terme d’un embrouillamini impliquant le gouvernement fédéral et les communautés sioux sur les terres desquelles il avait été trouvé.

Comme pour Sue, Ken Griffin a promis de léguer Apex à une institution. Car c’est bien le débat qui déchire la « dinosphère ». Les spécimens les plus intéressants du patrimoine naturel doivent-ils rejoindre les labos des scientifiques pour être étudiés avant d’être exposés dans les musées ou peuvent-ils disparaître dans des collections privées pour satisfaire l’ego de leur propriétaire, qui en privera le public ?

Le paléontologue belge Pascal Godefroit, de l’Institut royal des sciences naturelles, à Bruxelles, est clair : « Les musées et les chercheurs n’ont pas d’argent, donc n’achètent pas aux enchères, et préfèrent, de toute façon, étudier ce qu’ils ont eux-mêmes trouvé lors de leurs fouilles. » Il faut donc dénicher des sponsors ou un généreux donateur privé, comme Griffin.

Comme pour Sue, Ken Griffin a promis de léguer Apex à une institution. Car c’est bien le débat qui déchire la « dinosphère ».
Comme pour Sue, Ken Griffin a promis de léguer Apex à une institution. Car c’est bien le débat qui déchire la « dinosphère ». DR

Le Museum d’histoire naturelle de Nantes a, quant à lui, la chance de bénéficier du financement intégral, par la Métropole de Nantes, de sa campagne de fouilles dans le Wyoming : le sauropode exhumé sera la star du musée totalement rénové (fin 2025), gage d’un public nombreux. Une opération d’intérêt bien comprise donc. De même que le futur musée d’Histoire naturelle d’Abou Dhabi s’enorgueillira d’exposer Stan, le super tyrannosaure acheté plus de 30 millions de dollars par cet État.

Des dinos à Rothko

En comparaison, l’apatosaure Vulcain, le plus grand dino jamais proposé aux enchères (20 mètres de long, 4 mètres de haut) paraît presque abordable : il a été adjugé 6 063 000 euros, frais compris, le 16 novembre 2024 à Dampierreen-Yvelines, par les maisons Collin du Bocage et Barbarossa, et acquis par « un collectionneur qui souhaite rester anonyme et le confier à un musée ». Il a été trouvé dans la formation de Morrison (Wyoming), une mine d’or pour les paléontologues.

Le Museum d’histoire naturelle de Nantes a la chance de bénéficier du financement intégral, par la Métropole de Nantes, de sa campagne de fouilles dans le Wyoming : le sauropode exhumé sera la star du musée totalement rénové (fin 2025), gage d’un public nombreux.
Le Museum d’histoire naturelle de Nantes a la chance de bénéficier du financement intégral, par la Métropole de Nantes, de sa campagne de fouilles dans le Wyoming : le sauropode exhumé sera la star du musée totalement rénové (fin 2025), gage d’un public nombreux. DR

L’expert de la vente, Éric Mickeler (par ailleurs associé de la société Thétis, spécialisée dans le commerce de fossiles, de la fouille au service après-vente), précise qu’il est exceptionnellement complet et qu’il s’agit a priori d’une nouvelle espèce (donc présentant un intérêt certain pour la science). Reste qu’à ce prix-là, on peut s’offrir une œuvre d’art.

Art Basel, la plus grande foire d’art contemporain, a d’ailleurs tenté de mélanger les genres, à Miami, en 2018, en accueillant l’expo DeXtinction (à l’initiative de la société suisse Interprospekt, spécialisée dans le fossile), qui montrait des reliques préhistoriques, squelette d’allosaure, œufs de dino, etc.

Mais peut-on comparer un fossile vieux de 150 millions d’années avec une œuvre contemporaine ? Ou s’agit-il, à l’heure du changement climatique, de se faire peur en considérant que ces animaux qui ont régné sur la planète, comme l’humain aujourd’hui, ont brutalement disparu ? Alors, dino, Rothko ou Picasso ? Comme sur le marché de l’art, les records précités concernent des éléments exceptionnels et ne reflètent pas la moyenne des ventes.

Art Basel, la plus grande foire d’art contemporain, a d’ailleurs tenté de mélanger les genres, à Miami, en 2018, en accueillant l’expo DeXtinction qui montrait des reliques préhistoriques, squelette d’allosaure, œufs de dino…
Art Basel, la plus grande foire d’art contemporain, a d’ailleurs tenté de mélanger les genres, à Miami, en 2018, en accueillant l’expo DeXtinction qui montrait des reliques préhistoriques, squelette d’allosaure, œufs de dino… DR

En outre, les prix fluctuent. Avant de craquer, Éric Mickeler conseille de demander systématiquement une contre-expertise. Attention aux arnaques : squelettes contenant très peu de vrais os ou bricolés avec des os de plusieurs spécimens. Attention aussi à la provenance : la Chine, la Mongolie, l’Argentine, le Maroc, entre autres, interdisent la sortie des fossiles de leur territoire.

Toujours vérifier les documents légaux : ils comprennent le point GPS de la découverte, la carte de fouille, la carte ostéologique de remontage du spécimen, les photos des phases de la découverte et de la restauration du fossile, les titres de propriété du terrain, les documents douaniers… Reste qu’avec quelques milliers et parfois centaines d’euros, on peut aussi se faire plaisir avec des ready-mades naturels immémoriaux : une griffe, une dent, un œuf, une empreinte, une vertèbre. Il suffit de consulter les catalogues des maisons de vente et des sociétés spécialisées.


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