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Des kilomètres à vélo aux quatre coins de la ville aux fittings en nocturne, Arthur Méjean dévoile son expérience d'une semaine à la fois chaotique et excitante.
Le rendez-vous est pris avec Arthur Méjean devant un café sur le canal Saint Martin à 9 heures du matin. Il est pile à l’heure, signe que ce directeur de casting trentenaire et originaire du Sud de la France n’a pas de temps à perdre.
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Derrière le côté pailleté, une course contre la montre
Débarqué à Paris au début des années 2010, Arthur Méjean a fait ses armes avec Brice Compagnon et Maida Boina, pionnière du casting, pour s’affirmer ensuite chez DMCASTING entre 2017 et juillet 2020. Aujourd’hui, avec sa société AMB CASTING, il s’occupe des campagnes publicitaires et des défilés de nombreuses marques, telles que Lanvin, Carven, et Lacoste. « Beaucoup des gens voient le côté paillette de la semaine de la mode, qui existe bien sûr, mais derrière il y a tout un univers. Pour que tout ça fonctionne, il faut être extrêmement bien organisé, la marge d’erreur doit être réduit au minimum », prévient-il.
Pour le jeune directeur de casting, en temps de Fashion Week, le réveil sonne vers 8 heures du matin. « Mais il n’y a pas de vraie routine, nuance-t-il, parce qu’il y a des imprévus de dernière minute tout le temps« . Ordinateur, gourde et baume à lèvre dans le sac : c’est tout ce qu’il lui faut pour commencer la journée.
Pendant la semaine de la mode, les directeurs de casting sont souvent amenés à courir d’un coin à l’autre de la ville. « La dernière fashion week de Milan en septembre j’avais deux clients, MM6 Maison Margiela et Moschino, qui défilaient le même jour à quelques heures de décalage. J’ai passé mes journées à faire la navette entre l’un et l’autre« , raconte Méjean qui s’est habitué au fil des années à enchaîner les rendez-vous dès neuf heures du matin pour terminer avec des fittings de fin de soirée. « L’organisation règne mais nous sommes tout de même obligés de composer avec le last minute car les mannequins, engagés sur plusieurs semaines de la mode, n’arrivent dans la ville que quelques jours avant les défilés« .
Comment être à l’heure, alors, dans un contexte où chaque minute compte, et où un retard risque de casser le mécanisme d’une machine de innombrables engrenages ? « Se déplacer en vélo, c’est le secret, confie-t-il. Personnellement, je le fais aussi parce que j’ai un côté écolo. Mais quand tu as des clients aux côtés opposés de la ville, le taxi ne t’aide pas du tout. Vous connaissez le trafic pendant la semaine de la mode. Qui a une heure à perdre dans la voiture ?« .
Ce rythme infernal en amène certains à enchaîner les nuits courtes — et pas à cause des fêtes qui font rêver les néophytes. « Soyons clairs : nous, les directeurs de casting, n’avons pas le temps d’aller aux soirées de la Fashion Week. J’accepte souvent l’invitation à un aftershow ou à un cocktail à la fin du dernier des défilés sur lequel je suis impliqué, mais même dans ce cas-là ce n’est pas évident de tenir.«
Parfois, je suis tellement épuisé que j’ai juste envie de me rouler en boule dans ma couette et de dormir”
“L’ère des top models est terminée”
Mis à part le facteur stress, la semaine de la mode est évidemment aussi pleine de moments de joie et d’euphorie. « J’adore recevoir le ‘show package’, (le catalogue des mannequins qui sont représentées par les agences, ndlr). C’est le moment où je vois de nouveaux visages et je me fais les premières idées. Il y a un côté de découverte qui me fascine dans ce processus, parce que je peux avoir un coup de cœur pour quelqu’un en photo, puis vis à vis je trouve que cette personne ne dégage rien, ou l’inverse !« .
Choisir les mannequins qui participeront à un défilé est un exercice plutôt complexe qui va au-delà de leur apparence physique. Entre les exigences de la marque, la nécessité de trouver des allures qui se marient bien avec les looks proposés et les goûts du directeur de casting, des nombreux facteurs entrent en jeu. « Un bon mannequin, aujourd’hui, c’est quelqu’un qui a de la personnalité, qui dégage quelque chose de différent, qui est à l’aise avec son corps, qui n’a pas peur de danser, de bouger, d’expérimenter avec son visage« , explique Arthur Méjean.
Les derniers rapports concernant la diversité sur le podium montre une progression toujours lente du secteur vers une représentation adéquate et un engagement trop faible pour maintenir les promesses d’inclusion faites il y a des années. « Les podiums d’avant avaient tendance à vouloir montrer des mannequins en dehors de toutes réalités. C’est désormais l’inverse : nous essayons d’être le reflet d’une mode plus réelle, de montrer des corps et des visages authentiques« . Il est vrai que ces dix dernières années ont vu le monde du mannequinat s’ouvrir à de nouveaux profils, des models auxquels les jeunes générations peuvent plus facilement s’identifier, loin des Cindy Crawford et des Naomi Campbell de l’époque.
L’harmonie du casting était l’une des clés de voûte du défilé Carven de septembre dernier selon Arthur Méjean. « Un moment très important de mon parcours« , avec le réel défi de reconstruire l’identité d’une maison parisienne historique. « Louise Trotter (directrice artistique de la maison Carven, ndlr), Suzanne Koller (styliste impliquée sur le défilé Carven SS24, ndlr) et moi même nous connaissons depuis des années, explique le directeur de casting. Ensemble nous avons réuni ensemble notre équipe idéale pour incarner l’ADN de la marque« .
D’autres moment évoquent pour Arthur Méjean des souvenirs qui le font encore rire. À l’époque de DM CASTNG, les défilés de Moschino sous la direction artistique de Jeremy Scott étaient des véritables moments de folie. « Souvent, les mannequins défilaient deux ou trois fois dans des tenues différentes. Les gens n’ont pas idée du travail que ces changements de tenues représentent car ils sont invisibles pour le public mais les changements en backstages étaient chaotiques ! Les robes et les accessoires volaient dans tous les sens, les mannequins criaient car elles n’avaient plus les bonnes chaussures… Et je me suis retrouvé une fois à rattraper en plein vol les boucles d’oreilles que Bella Hadid m’avait envoyé dessus car elle ne savait plus quoi en faire entre ses deux changements de tenues (rit, ndlr). Ou encore le défilé spécial Halloween à Los Angeles en 2019, quand nous avons dû gérer 90 mannequins dans le parc de Universal Studios. C’était la colonie de vacances !”.
L’équilibre est la clé de la vie d’un directeur de casting : « une fois la Fashion Week terminée, je file chez moi dans le Sud, à la campagne. Je dors, je mange bien, je me reconnecte à la nature et à ma famille. Je me libère de tout le stress accumulé et je recharge mes batteries« .
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