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Non, le maillot de foot n’est plus l’apanage des amateurs de ballon rond. Les maillots numérotés ont quitté les stades, les pubs et les terrains de sport, pour conquérir les podiums, les fashion shows, et la vie quotidienne. Une véritable démocratisation mode rendue possible aussi par Tik Tok. Explications.
Tout le monde – ou presque – possède un maillot de foot. Et si vous avez rangé le vôtre au fond de votre penderie, c’est le moment d’essayer de le retrouver. Car depuis quelque temps, le maillot de foot fait un retour éclatant sur la planète mode. Les fashionistas de tous les pays s’arrachent ces tee-shirt colorés avec numéro et sponsors – souvent dénichés dans la bonne fripe du quartier.
Et si la tendance a émergé depuis la fin des années 2010, elle s’est confirmée en 2022 sur Tik Tok. C’est le “Bloke Core”, qui consiste à s’habiller avec un maillot de foot, un jean boot cut et des sneakers classiques de façon rétro, tels que des Adidas Samba ou encore des Nike Cortez. L’expression, inventée par le créateur Brandon Huntley, désigne le style moyen d’un “bloke”, slang utilisé dans l’environnement de football anglais pour désigner un “frère” qui supporte la même équipe que nous. Certaines des vidéos ont accumulé des millions de vues. Pourtant, la relation entre jerseys de football et mode commence bien avant le Bloke Core.
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Une histoire longue presque dix ans
Née il y a plus d’un siècle et demi en Angleterre, le maillot de football était à ses débuts une chemise plutôt élégante à manches longues et équipée de boutons. Ses premiers pas dans la mode remontent à 2014. Cette année-là, Yohji Yamamoto conçoit un maillot pour le Real Madrid pour la saison 2014-15 basé sur le thème du dragon – une première pour un designer de mode. Quelques mois plus tard, deux des pères fondateurs du streetwear, Virgil Abloh et Gosha Rubchinskiy, font défiler pour leur marques les écharpes classiques de stade. Les synergies entre la mode et football s’installent.
En 2016, lors d’un défilé organisé dans les rues de San Gregorio Armeno en Italie, Dolce & Gabbana revisitent le maillot de foot de l’SSC Naples, notamment l’iconique n°10 de Maradona lorsqu’il jouait dans l’équipe italienne. Un parti pris artistique qui s’est d’ailleurs soldé par un procès, dans lequel la marque a été condamnée à verser à Diego Maradona 70 000 euros de dommages et intérêts.
Toutefois, avec l’essor du football aux Etats-Unis et la starification de ses joueurs, la dynamique devient claire pour designers et marques de luxe, qui multiplient collaborations et collections inspirées par le ballon rond. En 2018, c’est toujours Virgil Abloh qui se fait remarquer avec la capsule Nike x Off White “Football, mon amour”, suivi par Kim Jones et sa collection pour Nike “Football Reimagined”. La même année, à l’occasion de la Coupe du Monde en Russie, le maillot de l’équipe du Nigeria est sold out en quelques minutes depuis sa mise en vente. Et la Fondation Pitti abrite l’exposition “FANATIC FEELINGS – Fashion plays football”, qui réfléchit sur l’attraction de la mode pour le football et retrace la vie d’icônes de ce jeu tels que George Best et Eric Cantona, loin du terrain des véritables passionnés de mode. “L’idée du football fashion comme expression de style personnel de plus en plus dans le futur. Alors pourquoi ne pas porter le maillot de notre équipe préférée sous un costume ?”, faisait noter à l’époque Markus Ebner, commissaire de l’exposition et fondateur de Achtung Mode.
Arsenal. Environment. Clothes. pic.twitter.com/J9sVWe4wYX
— Héctor Bellerín (@HectorBellerin) December 11, 2019
Un bouquet de collections, collaborations et testimonials
Et aujourd’hui, la référence au ballon rond est un passage obligé pour les marques. De Balenciaga à Barragan et Ahluwalia, en passant par Gucci et sa capsule en collaboration avec Palace. Et comment oublier Ancuta Sarca, qui revisite des chaussures de football Nike et en fait des talons, où encore Martine Rose, la jeune styliste anglo-jamaïcaine qui pour ses collections s’inspire toujours de la sous-culture du football britannique et qui avec ses créations s’est plusieurs fois interessée à l’univers du football feminin. « C’est devenu systématique. Preuve en est aussi Burberry, qui sous la direction créative de Daniel Lee s’est intéressé au football et aux joueurs (l’attaquant du Chelsea Raheem Sterling étant testimonial de la dernière campagne), alors que avant cette marque restait à l’écart de ce monde pour éviter toute relation avec l’hooliganisme », détaille encore Markus Ebner. En parallèle, les collaborations entre les équipes et les marques se multiplient : Moncler et Inter Milan, Fendi et AS Roma, Dior et Paris Saint-Germain, AC Milan et Koché (dans ce cas, le maillot “pixelisé” conçu par la marque parisienne mise en vente à fin février au prix de 100 euros était épuisé en quatre jours), Dsquared et Manchester City, Zegna et Real Madrid… et plus encore.
Et en 2023 le trend est plus fort que jamais. Le “Bloke Core” viral sur Tik Tok est descendu dans la rue, et les recherches Google de “football jersey” ont atteint fin 2022 leur point culminant des cinq dernières années. Les maillots de foot sont le nouveau look favori des célébrités paparazzées “par hasard”, et le dimanche, star et influenceurs posent derrière leurs oeufs benedict… en maillot de foot. Non sans rappeler le retour de hype des images des frères Liam et Noel Gallagher, leaders de l’ancien groupe Oasis, habillés avec la jersey du Manchester City (dont les deux chanteurs sont des grands fans depuis toujours) en 1994, et la papesse de la mode, Kim Kardashian a même été repérée à Los Angeles avec un maillot vintage de l’AS Roma de la saison 1997/98. Comme par hasard, les recherches sur Google autour du club romain ont augmenté de 2,894 pour cent en une semaine.
😎 Mamma mia, Kim! 💛❤️#ASRoma pic.twitter.com/Fb2jh3PfGA
— AS Roma (@OfficialASRoma) January 28, 2023
Du déjà vu ?
Cette extrême popularité des maillots de foot est due à une combinaison de facteurs. L’un des principaux, c’est “l’arrivée dans la high fashion de nouveaux directeurs artistiques biberonnés par l’esthétique streetwear, la télévision, et la médiatisation des sports”, comme le faisait remarquer Eva Rodrigues Gregorio – assistante de recherche sur la mode sportive au musée des Arts décoratifs de Paris – dans une interview à GQ en décembre dernier, la passion de la mode pour les maillots de football s’est affirmée dans les dernières années en même temps que la renaissance du style des années 90, toujours en vogue : shorts de vélo, bucket hats, chemises ouvertes boutonnées au-dessus de T-shirts, sacs à dos, corset tops, tie dye…
Une désirabilité, celle du maillot de foot, acquise aussi grâce à l’attractivité des joueurs les plus célèbres (deux millions de maillots Lionel Messi ont été vendus en 2021 par le PSG) qui ont donné à cette pièce un halo plus mainstream. « Il y a encore quelques années, ce succès n’aurait pas eu le même retentissement, surtout en France, où le football était un sport « pas assez intellectuel » et les gens se cachaient presque pour lire L’Equipe. Maintenant, c’est tout l’inverse : la passion foot s’est vraiment démocratisée et est désormais assumée partout (même dans le luxe) ! », expliquait juste il y a quelques mois sur Grazia David Bellion, ancien joueur et cofondateur du magazine Sport-Étude.
Certes, l’explosion de la tendance va de pair avec certains événements qui ont ravivé l’intérêt public pour le football. La première vague de l’obsession pour les maillots de football a eu son apex en 2018, lors de la Coupe du Monde en Russie. Ce n’est pas un cas que le trend “Blok Core” ait gagné du terrain en 2022, en coïncidence avec une autre Coupe du monde qui s’est déroulée les derniers novembre et décembre au Qatar. Mais à bien regarder, on est face à un processus plus ample, la popularisation d’une sous-culture, une dynamique pas nouvelle pour le monde de la mode. Pensez au style punk et notamment aux t-shirts des groupes rock, tout d’un coup devenues un must have de son propre vestiaire, même sans être passionnée du genre musical. Ou encore aux vêtements de skate, une fois marginaux et considérées même “cheap”, devenus une tendance plébiscitée par l’industrie du luxe.
Mais la tendance des maillots de foot peut-elle durer ? Pas si sûr, surtout quand le streetwear perd de plus en plus son intérêt pour l’industrie du luxe. Les maisons de luxe – et le tout récent tournant de Balenciaga en est la preuve – reviennent à leur ADN : le tailoring.
L.P.
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